Si, comme nous l’avons vu, la fabulation est habituelle chez l’enfant, elle ne peut plus être ainsi considérée lorsqu’elle se produit chez l’adulte. On parle alors de mensonge pathologique ou de mythomanie. Cette notion désigne la conduite d’un sujet poussé par une force compulsive à produire d’une manière répétitive des récits imaginaires, à inventer des vies chimériques ou à simuler des conduites fictives. C’est un trouble de la personnalité qui se situe à la limite du normal et du pathologique. On le retrouve aussi bien dans les névroses que dans les psychoses et les perversions.
Le mécanisme principal de ce fonctionnement est un clivage du moi qui est, en quelque sorte, divisé en deux parties opposées qui s’ignorent mutuellement. Tout se passe comme si une partie du moi se vit comme dévalorisée, culpabilisée et honteuse de ne pas être à la hauteur d’un idéal désiré, alors que l’autre partie se trouve dans le déni de ces sentiments et se construit un univers identitaire les contredisant. Autrement dit, une partie de ce sujet sait qu’il ment et vit dans la terreur constante d’être démasqué, alors que l’autre partie croit à la vérité du rôle qu’il performe, si bien qu’il parvient à donner le change à son entourage. Le psychanalyste autrichien O. Fenichel, cité par Alberto Eiguer, avait trouvé cette belle formule pour illustrer les procédés mythomaniaques: «S’il est possible de faire croire à quelqu’un que ce qui est faux est vrai, alors il est aussi possible que ce qui est vrai et dont le souvenir me menace soit faux.»
C’est pour ces raisons que la mythomanie est considérée comme une pathologie narcissique, narcissisme que le sujet doit préserver pour échapper à un éventuel effondrement psychique aux conséquences dramatiques. Avec l’agencement d’un ensemble d’actions et de tactiques pour se rendre crédible, le menteur s’accroche à son mensonge en le consolidant, afin de maintenir son fragile équilibre. Il fonctionne alors en effet miroir: si l’interlocuteur ne montre aucun doute quant à sa sincérité, alors cela le renforce dans sa propre croyance. Jusqu’au moment où des indices apparaissent, que les questionnements et les doutes des autres se font de plus en plus insistants, lui indiquant que son mensonge risque d’être percé à jour. C’est alors que le mécanisme de clivage s’effondre: devant le risque d’être mis à nu, le mythomane envisage sa propre disparition tout comme éventuellement celle des autres, comme si, de cette façon, il effaçait toute trace de son mensonge et de sa honte aux yeux des autres comme aux siens, tel que nous l’a montré Emmanuel Carrère dans son essai L’Adversaire.
La psychanalyste Michèle Bertrand précise: «Chacun de nous apprend à composer, par la force des choses, entre ce qu’il désire être, et ce qu’il peut devenir. Mais le mythomane est incapable de prendre en compte ce qui relève de telles limites. Toute sa quête est orientée par la nécessité d’acquérir une vérité qui serait un moi purement choisi. Il invente des histoires pour se donner de l’être, acquérir un contenu, une densité d’être, une consistance. Ce qui rend sa situation inextricable, c’est que sans cette prétention à être ce qu’il a choisi d’être, il n’est plus rien à ses propres yeux. D’où l’absolue nécessité de maintenir ses fabulations envers et contre tout.»
On ne peut passer sous silence, en parlant du mensonge pathologique, le pitoyable record détenu par la caste politico-économique véreuse libanaise dans ce domaine. Adeptes de la politique en tant qu’«école du mensonge» (Y. Mishima), malades de leur perversion devenue «ordinaire», comme l’est le mal pour eux, les membres de cette caste utilisent ce type de mensonge comme arme de prédilection dans les nombreux domaines où ils sévissent. La régression au monde magique, pulsionnel et omnipotent de l’enfance domine le psychisme de ces individus qui laissent libre cours à leur envie de se débarrasser des limitations nécessaires à toute vie communautaire afin d’imposer leur emprise destructrice sur toute valeur humanisante. On les observe ainsi manipuler les pensées ou les actions de suiveurs immatures, serviles et/ou complices, en les orientant vers les objectifs qui servent leurs intérêts particuliers.
Voici comment Xavier Bouchereau décrit le manipulateur pervers comme s’il vivait au Liban: «Il est patient, souvent organisé, il est animé par une pulsion d’emprise et malheureusement rien ne l’arrête. Il utilise les mots pour ordonner son scénario, il impose son décor, sa petite musique. L’histoire est écrite d’avance et tous les mensonges sont bons pour qu’elle se déroule comme prévu. Pour celui qui s’adonne à de tels fonctionnements, l’autre est réduit à une chose, un objet qu’il manipule pour son propre plaisir. Il joue les marionnettistes. Rien ne doit le contrarier. Par le mensonge manipulatoire, l’autre est sciemment évidé de sa subjectivité, il est projeté dans un environnement où rien ne tient et où le seul repère devient le manipulateur lui-même, au point que certaines personnes manipulées finissent par s’unir à leur manipulateur dans la défense du mensonge dont ils sont devenus tributaires. Et le piège se referme.»
Ce sont surtout les dirigeants des régimes autoritaristes ou ceux qui sont fanatiquement orientés qui sont atteints de cette pathologie, bien qu’on les retrouve également dans les régimes démocratiques. Ils érigent massivement le mensonge politique en technique de manipulation des pensées. Pire encore, ils la présentent comme une aptitude exceptionnelle, une prétendue intelligence supérieure, s’offrant même comme modèle à imiter. Leur parole est dépouillée de toute sincérité, elle n’est aucunement destinée à communiquer, encore moins à dialoguer mais à leurrer, à dominer et à soumettre. Les accords ou ententes qu’ils prétendent sceller ne sont que des pièges tendus à leurs adversaires qui se laissent prendre. C’est bien ce qu’on observe au Liban, qui se targue d’une devanture-écran qualifiée de démocratique alors qu’en réalité il est régi par des coalitions mafieuses policières, gestionnaires à leur profit du patrimoine de ce pays. Ils imposent leur dictature à une population exsangue, passive ou, pour une partie, déconnectée de la misère ambiante. Leurs mensonges et leur conduite ont pour conséquence l’apparition de sentiments d’hostilité entre des individus ou des groupes d’individus qui se regardent les uns les autres en chiens de faïence, craquelant les liens régis par un contrat social prévalent cahin-caha jusque-là, avec le risque d’apparition de conflits armés.
Ce vendredi 24 mars, on a célébré la Journée internationale pour le droit à la vérité. Gageons que les scélérats des hautes sphères ont dû bien rigoler!
Laissons le mot de la fin à la philosophe Hanna Arendt: «Si tout le monde vous ment en permanence, la conséquence n’est pas que vous croyez les mensonges, mais plutôt que personne ne croit plus rien. En effet, les mensonges, par leur nature même, doivent être modifiés, et un gouvernement menteur doit constamment réécrire sa propre histoire. Le destinataire ne se contente pas d’un seul mensonge – un mensonge qui pourrait durer jusqu’à la fin de ses jours –, mais il reçoit un grand nombre de mensonges, selon la direction du vent politique. Et un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut plus se décider. Il est privé de sa capacité d’agir, mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez alors faire ce que vous voulez.»
Le mécanisme principal de ce fonctionnement est un clivage du moi qui est, en quelque sorte, divisé en deux parties opposées qui s’ignorent mutuellement. Tout se passe comme si une partie du moi se vit comme dévalorisée, culpabilisée et honteuse de ne pas être à la hauteur d’un idéal désiré, alors que l’autre partie se trouve dans le déni de ces sentiments et se construit un univers identitaire les contredisant. Autrement dit, une partie de ce sujet sait qu’il ment et vit dans la terreur constante d’être démasqué, alors que l’autre partie croit à la vérité du rôle qu’il performe, si bien qu’il parvient à donner le change à son entourage. Le psychanalyste autrichien O. Fenichel, cité par Alberto Eiguer, avait trouvé cette belle formule pour illustrer les procédés mythomaniaques: «S’il est possible de faire croire à quelqu’un que ce qui est faux est vrai, alors il est aussi possible que ce qui est vrai et dont le souvenir me menace soit faux.»
C’est pour ces raisons que la mythomanie est considérée comme une pathologie narcissique, narcissisme que le sujet doit préserver pour échapper à un éventuel effondrement psychique aux conséquences dramatiques. Avec l’agencement d’un ensemble d’actions et de tactiques pour se rendre crédible, le menteur s’accroche à son mensonge en le consolidant, afin de maintenir son fragile équilibre. Il fonctionne alors en effet miroir: si l’interlocuteur ne montre aucun doute quant à sa sincérité, alors cela le renforce dans sa propre croyance. Jusqu’au moment où des indices apparaissent, que les questionnements et les doutes des autres se font de plus en plus insistants, lui indiquant que son mensonge risque d’être percé à jour. C’est alors que le mécanisme de clivage s’effondre: devant le risque d’être mis à nu, le mythomane envisage sa propre disparition tout comme éventuellement celle des autres, comme si, de cette façon, il effaçait toute trace de son mensonge et de sa honte aux yeux des autres comme aux siens, tel que nous l’a montré Emmanuel Carrère dans son essai L’Adversaire.
La psychanalyste Michèle Bertrand précise: «Chacun de nous apprend à composer, par la force des choses, entre ce qu’il désire être, et ce qu’il peut devenir. Mais le mythomane est incapable de prendre en compte ce qui relève de telles limites. Toute sa quête est orientée par la nécessité d’acquérir une vérité qui serait un moi purement choisi. Il invente des histoires pour se donner de l’être, acquérir un contenu, une densité d’être, une consistance. Ce qui rend sa situation inextricable, c’est que sans cette prétention à être ce qu’il a choisi d’être, il n’est plus rien à ses propres yeux. D’où l’absolue nécessité de maintenir ses fabulations envers et contre tout.»
On ne peut passer sous silence, en parlant du mensonge pathologique, le pitoyable record détenu par la caste politico-économique véreuse libanaise dans ce domaine. Adeptes de la politique en tant qu’«école du mensonge» (Y. Mishima), malades de leur perversion devenue «ordinaire», comme l’est le mal pour eux, les membres de cette caste utilisent ce type de mensonge comme arme de prédilection dans les nombreux domaines où ils sévissent. La régression au monde magique, pulsionnel et omnipotent de l’enfance domine le psychisme de ces individus qui laissent libre cours à leur envie de se débarrasser des limitations nécessaires à toute vie communautaire afin d’imposer leur emprise destructrice sur toute valeur humanisante. On les observe ainsi manipuler les pensées ou les actions de suiveurs immatures, serviles et/ou complices, en les orientant vers les objectifs qui servent leurs intérêts particuliers.
Voici comment Xavier Bouchereau décrit le manipulateur pervers comme s’il vivait au Liban: «Il est patient, souvent organisé, il est animé par une pulsion d’emprise et malheureusement rien ne l’arrête. Il utilise les mots pour ordonner son scénario, il impose son décor, sa petite musique. L’histoire est écrite d’avance et tous les mensonges sont bons pour qu’elle se déroule comme prévu. Pour celui qui s’adonne à de tels fonctionnements, l’autre est réduit à une chose, un objet qu’il manipule pour son propre plaisir. Il joue les marionnettistes. Rien ne doit le contrarier. Par le mensonge manipulatoire, l’autre est sciemment évidé de sa subjectivité, il est projeté dans un environnement où rien ne tient et où le seul repère devient le manipulateur lui-même, au point que certaines personnes manipulées finissent par s’unir à leur manipulateur dans la défense du mensonge dont ils sont devenus tributaires. Et le piège se referme.»
Ce sont surtout les dirigeants des régimes autoritaristes ou ceux qui sont fanatiquement orientés qui sont atteints de cette pathologie, bien qu’on les retrouve également dans les régimes démocratiques. Ils érigent massivement le mensonge politique en technique de manipulation des pensées. Pire encore, ils la présentent comme une aptitude exceptionnelle, une prétendue intelligence supérieure, s’offrant même comme modèle à imiter. Leur parole est dépouillée de toute sincérité, elle n’est aucunement destinée à communiquer, encore moins à dialoguer mais à leurrer, à dominer et à soumettre. Les accords ou ententes qu’ils prétendent sceller ne sont que des pièges tendus à leurs adversaires qui se laissent prendre. C’est bien ce qu’on observe au Liban, qui se targue d’une devanture-écran qualifiée de démocratique alors qu’en réalité il est régi par des coalitions mafieuses policières, gestionnaires à leur profit du patrimoine de ce pays. Ils imposent leur dictature à une population exsangue, passive ou, pour une partie, déconnectée de la misère ambiante. Leurs mensonges et leur conduite ont pour conséquence l’apparition de sentiments d’hostilité entre des individus ou des groupes d’individus qui se regardent les uns les autres en chiens de faïence, craquelant les liens régis par un contrat social prévalent cahin-caha jusque-là, avec le risque d’apparition de conflits armés.
Ce vendredi 24 mars, on a célébré la Journée internationale pour le droit à la vérité. Gageons que les scélérats des hautes sphères ont dû bien rigoler!
Laissons le mot de la fin à la philosophe Hanna Arendt: «Si tout le monde vous ment en permanence, la conséquence n’est pas que vous croyez les mensonges, mais plutôt que personne ne croit plus rien. En effet, les mensonges, par leur nature même, doivent être modifiés, et un gouvernement menteur doit constamment réécrire sa propre histoire. Le destinataire ne se contente pas d’un seul mensonge – un mensonge qui pourrait durer jusqu’à la fin de ses jours –, mais il reçoit un grand nombre de mensonges, selon la direction du vent politique. Et un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut plus se décider. Il est privé de sa capacité d’agir, mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez alors faire ce que vous voulez.»
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