Retombées du discours de Hassan Nasrallah : Quelle politique étrangère pour le gouvernement Mikati ?
Au Liban, la nouvelle année commence sous le signe d’un véritable cafouillage politique autour de sa politique étrangère et met en évidence de nouveau un problème existentiel pour un pays qui essaie de lutter pour sa survie et qui se voit entraîné sur une voie qui n’est pas la sienne. Une question récurrente se pose après le discours anti-saoudien lundi du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et la réaction virulente du Premier ministre, Nagib Mikati: Qui de l’Exécutif ou de la milice armée qu’est le Hezbollah dicte la politique étrangère de Beyrouth?
Un bras-de-fer semble ainsi engagé entre Nagib Mikati, déterminé à préserver les relations de Beyrouth avec les pays du Golfe, et le Hezbollah qui poursuit sa campagne contre l’Arabie saoudite, se faisant ainsi l’écho du conflit irano-saoudien dans la région. Il n’ira cependant pas au-delà des échanges rhétoriques.
Le secrétaire-général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a tenu un discours virulent lundi soir à l’égard des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite, qualifiant le royaume wahhabite de « terroriste » et l’accusant de « prendre en otage les Libanais installés dans les pays du Golfe ». Ces propos ont été aussitôt rejetés par le Sérail, dans un communiqué publié par le bureau de presse du Premier ministre, Nagib Mikati, qui essaie vraisemblablement d’éviter une escalade supplémentaire des tensions entre Beyrouth et Riyad. ʺ La position du secrétaire général du Hezbollah au sujet de l’Arabie saoudite ne représente pas le gouvernement et la majorité des Libanais ˮ, a indiqué le communiqué du Sérail. Quelques heures plus tard, c’est au tour du président Michel Aoun de se démarquer des propos du chef du Hezbollah, en soulignant devant ses visiteurs mardi, son attachement « au maintien des meilleures relations avec les pays arabes ». Il s’est dit " soucieux » de ses relations avec les communautés arabe et internationale, « plus particulièrement avec les pays du Golfe, et à leur tête l’Arabie saoudite ", tentant ainsi à son tour une réorientation de la politique étrangère du gouvernement.
Même si son commentaire était plus nuancé et moins agressif que celui de Nagib Mikati qui était également revenu à la charge au sujet de l’engagement du Liban en faveur de la politique de distanciation, il reste que les deux pôles de l’Exécutif ont voulu envoyer des signaux positifs aux pays du Golfe qui rechignent à rétablir des relations normales avec le Liban. Leur pouvoir s’arrête cependant là, aucun des deux n’ayant la capacité d’aller plus loin dans sa fronde et risquer de se mettre le Hezbollah à dos et d’envenimer le blocage et l’instabilité politique.
Nagib Mikati qui, depuis sa désignation pour diriger le gouvernement, se présente comme étant à égale distance de toutes les parties, n’avait pas hésité à prendre la défense du parti pro-iranien, il y a quelques jours, en refusant de lui faire porter la responsabilité du blocage du Conseil des ministres. Il avait déclaré que le Hezbollah " est un parti politique libanais" et assuré qu’il n’était pas possible de "parler de mainmise d’un Etat étranger sur le Liban" lorsqu’il avait été interrogé sur l’influence iranienne sur le pays.
Ces positions en demi-teintes dissimulent mal l’incapacité de l’Exécutif à imposer ses choix, en matière de politique étrangère entre autres, et montrent que le gouvernement de Nagib Mikati n’a pas les moyens de la politique qu’il prône. Car, non seulement le Premier ministre a été attaqué mardi par la formation chiite, à travers un de ses députés à cause de sa réponse à Hassan Nasrallah, mais des portraits du roi Salmane d’Arabie et de son ambassadeur au Liban, Walid Boukhari, avec des inscriptions insultantes dessus, ont été accrochés dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. Ils devaient être enlevés en soirée par les agents des Forces de sécurité intérieure (FSI) sur ordre du ministre de l’Intérieur, Bassam Maalaoui. L’affichage provocateur des portraits du roi d’Arabie, pour la première fois dans un fief du Hezbollah, semble être un message davantage adressé au Sérail qu’à Riyad.

Un refus catégorique des propos de M. Mikati
Nagib Mikati a été vivement critiqué par le député Hassan Fadlallah qui lui a reproché sans ambages d’avoir « préféré obtenir un satisfecit des Saoudiens au lieu de s’indigner face aux abus répétés de l’Arabie saoudite envers le peuple libanais". « Nous nous attendions à ce que Mikati s’insurge pour défendre la dignité du Liban, mais au lieu de cela, il s’est retourné contre les Libanais, mettant en doute l’appartenance nationale d’une majorité d’entre eux qu’il a accusée de terrorisme ", a-t-il dit, avant d’insister sur la " libanité " de la " résistance " pro-iranienne. Selon lui, le chef du gouvernement a commis une « grave erreur ». Dans le même ordre d’idées, le vice-secrétaire général du Hezbollah, Naïm Kassem, a accusé tous ceux qui qualifient le Hezbollah de terroriste ʺd’être des agents qui représentent l’injustice mondiale et les massacres collectifs », ajoutant qu’il est « du droit des forces de la Résistance et des propriétaires d’une terre de coopérer ensemble contre les forces du mal », dans ce qui semble être une allusion à la guerre au Yémen et au soutien que son parti apporte aux rebelles Houthis, défendus par l’Iran.
Face à ce durcissement qui risque d’aggraver de nouveau la crise diplomatique entre Beyrouth et les pays du Golfe, Baabda et le Sérail ont-ils d’autres possibilités que d’appeler à un dialogue national ? Le président du Conseil, rappelle-t-on, avait souhaité la tenue d’un dialogue national – initiative lancée au départ par le président de la République lors de sa dernière intervention télévisée - "pour protéger les relations du Liban avec la communauté internationale et les pays arabes, de manière à ne pas s’ingérer dans leurs affaires intérieures et à ne pas offenser les autres pays ". Il avait insisté sur la nécessité de préserver la neutralité du Liban vis-à-vis des pays de la région, dans une allusion à peine voilée aux opérations militaires et attaques verbales virulentes du Hezbollah à l’encontre des pays du Golfe. Un discours qui s’inscrit dans le prolongement de l’engagement que M. Mikati avait pris envers Paris et Riyad en décembre dernier pour que l’Arabie cesse de boycotter le Liban. M. Mikati aurait-il cependant les moyens de cette politique ?


Un gouvernement sous ventilation assistée
Pour l’ancien député du courant du Futur, Ahmad Fatfat, la réponse est négative. Farouchement hostile au Hezbollah, M. Fatfat a expliqué à _Ici Beyrouth _ que ʺ le communiqué de M. Mikati, stigmatisant le discours de Hassan Nasrallah contre l’Arabie saoudite, ne possède aucune valeur réelle, car les pays du Golfe s’attendent à des actions concrètes et non pas à des discours contradictoires de la part du Premier ministre ˮ. Et d’ajouter ʺ je ne vois aucune issue positive pour Nagib Mikati. Il fait face à une impasse. Toutefois, deux options, à mon sens, pourraient s’offrir à lui : démissionner ou garder le gouvernement bloqué tel qu’il l’est actuellement, jusqu’aux élections législatives ˮ. ʺ Quoiqu’il en soit, reprend-il, son gouvernement est de facto démissionnaire et est sous ventilation assistée ˮ.

L'ancien ministre, Ibrahim Najjar, devait pour sa part analyser la situation en estimant dans une déclaration à _Ici Beyrouth _ que "le Liban paie très cher le prix des négociations de Vienne". "Il est clair qu’il est le ventre mou de l’Occident et des Arabes. Nous avons connu des épisodes du genre lorsque la Syrie voulait faire pression sur l’Occident", a-t-il relevé, en estimant que le Liban a toutefois "une arme absolue : la légalité constitutionnelle". "Il faut que le président de la République sache que notre Premier ministre parle pour 70% des Libanais", a insisté Ibrahim Najjar. Et de poursuivre: ""Mikati doit avoir les moyens de sa politique. Notre ministre des Affaires étrangères devrait se redresser et dire clairement que le Liban est un pays arabe, membre fondateur de la Ligue arabe. La fragilité des moyens n’est pas une bonne raison de se taire. Il y va de notre dignité de citoyens".

Entre-temps, les forces hostiles à la politique dans laquelle le Hezbollah entraîne les Libanais se sont élevées contre le discours préjudiciable au Liban de Hassan Nasrallah.
L’ancien Premier ministre, Fouad Siniora, a considéré que les propos de ce dernier constituent ʺ un crime caractérisé contre le Liban et les Libanais ". Une position reprise par Saad Hariri, ancien Premier ministre et chef du courant du Futur, qui s’est adressé directement au secrétaire général du Hezbollah : " Je sais que vous ne renoncerez pas à la provocation et aux insultes à l’encontre des pays du Golfe, mais l’Histoire sera sans pitié pour un parti qui vend son arabité, la stabilité de sa patrie et les intérêts de ses gens pour une part de participation aux guerres régionales ".
Plus encore, le député du Rassemblement démocratique (du chef du parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt), Waël Abou Faour a estimé que « l’offense adressé à l’Arabie saoudite a pour but de détruire les relations libano-saoudiennes et d’entraîner le Liban dans l’axe iranien ˮ. Et d’insister sur le fait que ʺla politique du Hezbollah constitue un fardeau pour le Liban et prend son peuple en otage ˮ.
En soirée, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a estimé dans une interview à Sky News Arabiya, que « la politique agressive du Hezbollah sert davantage l’intérêt de l’Iran dans la région que les intérêts du peuple libanais et risque d’aggraver l’isolement du pays au niveau arabe »
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