La question de la neutralité au Liban est remise sur la sellette de temps à autre. Elle est tour à tour mise en avant puis écartée, sans jamais vraiment connaître de dénouement réel ni d’adoption officielle dans les doctrines politiques ou les positions gouvernementales.
D’aucuns considèrent que la politique du «ni Orient ni Occident» est une forme de neutralité et que le Pacte national de 1943 s’inscrit dans ce contexte. En effet, les chrétiens se sont engagés à ne plus avoir les yeux tournés vers l’Occident (politiquement) et les musulmans ont, en contrepartie, renoncé à l’unité arabe. Au milieu de ces renoncements mutuels, le travail s’est alors centré sur l’identité libanaise et le rassemblement d’idées relatives à la neutralité.
Théoriquement, les pays ayant fait les frais de leur position géographique ont adopté la neutralité, espérant y trouver une issue à plusieurs de leurs problèmes. Cependant, un monde sépare la théorie en sciences politiques et relations internationales de la réalité sur le terrain.
En effet, la neutralité requiert un consensus local et régional, voire international. Les voisins du Liban, la Syrie et Israël, ne lui faciliteront pas la tâche en raison de leur position, leurs calculs et leurs intérêts. En effet, l’un et l’autre ont déjà eu recours à la scène libanaise pour y régler leurs comptes loin de leur territoire. Qui plus est, ils ont su maintenir des «lignes rouges» qui n’ont jamais été franchies, même au summum de l’invasion israélienne du Liban en 1982.
La Suisse, quant à elle, avoisine la Hongrie, l’Allemagne, l’Italie et la France. Tandis que l’Autriche avoisine la Slovénie, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque, l’Allemagne, la Suisse et l’Italie. Cette liste montre clairement la différence entre la Suisse et l’Autriche d’une part, et le Liban de l’autre. En effet, les voisins du Liban ne lui ont pas permis de vivre en paix ni dans la stabilité, chacun y cherchant son propre intérêt.
Si les enjeux régionaux sont tellement complexes, il est clair que le contexte interne n’est pas plus aisé ; il est rendu complexe par les loyautés extérieures contradictoires des parties libanaises, certaines allant même jusqu’à adopter des agendas qui ne sont pas nécessairement liés à l’intérêt national libanais et y sont même opposés.
Le désaccord endémique libanais a toujours porté sur les constantes nationales, le rôle du Liban dans la région et son identité arabe; identité toujours revendiquée depuis l’indépendance jusqu’à l’accord de Taëf de 1989, au terme d’une guerre civile destructrice.
La neutralité est l’un des outils de la politique étrangère et n’est pas un objectif en soi. Si les Libanais divergent sur les définitions et les concepts fondamentaux de leur politique étrangère, ils ne pourront certainement pas se mettre d’accord sur un seul point de ses clauses.
Il est vrai que certains estiment que la neutralité ne signifie pas un désengagement des affaires arabes, mais il est également vrai que ce résultat sera inévitable en raison du repli sur soi, croissant, d’un grand nombre de Libanais. Le Liban doit rester solidaire des Arabes et ne pas être neutre à leur égard. Il ne fait nul doute que l’histoire, la géographie et l’intérêt direct l’exigent.
Pratiquement, le conflit local touche la plupart des grandes questions: l’identité du Liban, son rôle et sa position, la fonction sociale de l’État, les priorités économiques, la politique étrangère, le confessionnalisme politique, le développement équilibré, la décentralisation administrative, la politique de défense, ainsi que d’autres dossiers stratégiques.
Dans un contexte de profonde division interne et de grands bouleversements régionaux suite à l’accord entre Riyad et Téhéran, les difficultés s’accumulent pour le Liban, sans solution palpable. En dépit des obstacles et des problèmes, l’expérience libanaise, dans sa pluralité et sa diversité, mérite d’être préservée et tous les efforts doivent être déployés pour réussir une telle entreprise.
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