Sortir de l’autocratie : diagnostic (1/3)
Bravo, M. Michel Aoun a réussi à nous faire rejoindre la triste cohorte des pays du Moyen-Orient dont le président est un autocrate. Non seulement le Liban n’a-t-il pas été convié au sommet de la démocratie organisé par Joe Biden, mais notre président vient d’apparaître dans le dernier numéro de l’Economist aux côtés des satrapes du genre Assad, Sissi et du nouvel autocrate-en-devenir à Tunis, Kais Saied.

Soulignant que le fort des hommes forts est la manipulation de la Constitution pour rester au pouvoir, l’hebdomadaire britannique de référence a noté les tentatives du parti du président de laminer les élections des Libanais de l’étranger pour les empêcher d’influer sur le vote interne : “Michel Aoun, le président, s'inquiète [du vote des Libanais de l’étranger]. Cela peut nuire au Courant patriotique libre (CPL), le parti chrétien qu'il a fondé. Sous la loi électorale actuelle, les expatriés votent comme le reste des Libanais, dans leurs régions d'origine. Le CPL a plutôt cherché à se tailler six sièges pour la diaspora, limitant son vote à un petit réduit aux côtés des 128 membres du Parlement. Lorsque les législateurs ont rejeté la proposition, M. Aoun s'est référé au Conseil constitutionnel, arguant que le système a privé la diaspora de son droit à la représentation. (Son appel a échoué.) Il s’est montré moins soucieux des autres droits, comme la liberté d'expression. Cet été, il a soutenu les sanctions pénales contre ceux qui insultent les politiciens.”

Deux caractéristiques de l’autocrate à la tête du pays sont en plein essor au Liban : manipulations constitutionnelles pour se perpétuer au pouvoir (y compris par le truchement d’un gendre), et violation des libertés fondamentales, notamment la poursuite de citoyens au pénal pour toute critique qui touche à sa personne.

Ce constat souligne une réalité tragique. Le pays est engagé sur la voie de la dictature. Les deux piliers constitutionnels du pouvoir, le président de la République et le président de la Chambre, refusent de démissionner alors que le pays est en révolte continue contre eux depuis plus de deux ans. C’est là une expression probante de la dictature. Et lorsque des citoyens les critiquent, ils serrent la vis en utilisant le parquet pour les arrêter pour lèse-majesté, tout en empêchant ce même parquet d’enquêter sur le meurtre massif commis au port et d’en arrêter les responsables, ou de poursuivre les auteurs d’assassinats politiques perpétrés en plein jour comme ceux de Lokman Slim, Joe Bejjani, ou Albert Dagher, pour ne citer que les plus récents sous le mandat actuel. M. Aoun couvre les assassinats en série de ses opposants depuis 2006, en toute impunité.

En cette année charnière devant marquer la fin des mandats du Parlement et du président actuels si la Constitution est respectée, il faut s’attendre à une manipulation constitutionnelle et électorale guidée par la seule détermination de rester au pouvoir coûte que coûte, et à un renforcement corollaire des méthodes de répression d’opposants pour leur simple opinion critique.


Le Liban libre continue de résister. Mais comment bâtir sur un soulèvement qui n’a pas abouti dans le changement au sommet? Par le vote aux législatives, les électeurs feront de leur mieux pour donner leur appui à des candidats opposés au régime, malgré les violations manifestes de la loi par les gens au pouvoir. Ces violations sont bien connues, même si les “observateurs” étrangers toujours pressés n’y accordent pas l’attention nécessaire pour en circonscrire les effets.

J’en souligne deux des plus intolérables, au-delà de lois taillées ad personam – on se souvient que le système électoral a été amendé après les échecs électoraux successifs du “gendre” à Batroun pour lui permettre enfin d’avoir un poste de député.

La première est l’intimidation par la violence. Mener une campagne électorale dans le Sud, la Békaa, la banlieue sud, ou encore Baabda, relèverait du suicide. L’ancien mufti de Tyr, Sayyed Ali el-Amine, éminent dignitaire chiite, n’habite plus dans sa région dont il a été chassé par la menace, sa maison ayant été détruite et ses bureaux confisqués, alors que son homonyme, notre collègue journaliste Ali el-Amine, avait été agressé violemment dans son village de Chakra, à Nabatiyé, lors des dernières élections de 2018.

La seconde est l’absence de contrôle des dépenses électorales. Le plafond des dépenses autorisées par la loi électorale sera violé quelques heures après le début de la campagne. Il est fixé à moins de 30,000 dollars US par candidat (au taux actuel, qui baisse de jour en jour, en plus d’un calcul compliqué basé sur le nombre de votants). La réalité est que les machines électorales fonctionnent à des centaines de milliers de dollars. Le déséquilibre entre candidats du pouvoir et ceux qui les défieront sera d’autant plus tragique avec l’appauvrissement considérable des gens depuis la crise. Les partis qui dominent le pays depuis des lustres sont les seuls à disposer encore de ressources financières pour les élections, et ils n’ont cure des plafonds établis par la loi. Les dés électoraux sont pipés.

Prochain article. Sortir de l’autocratie (II). Élection d’un Conseil de la Révolution
Commentaires
  • Aucun commentaire