Au cours des dernières semaines, les deux institutions muséales les plus prestigieuses de Russie ont annoncé la cession de deux de leurs artefacts les plus renommés à l’Église. Cette démarche symbolise la montée en puissance de l’influence ecclésiastique auprès du Kremlin, qui cherche à consolider son soutien en pleine crise ukrainienne.

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Au cours des dernières semaines, un éventail saisissant d’événements a secoué le monde culturel russe. Les deux musées les plus renommés du pays ont dévoilé leur intention de confier deux de leurs pièces les plus emblématiques à l’Église orthodoxe, signalant ainsi une ascension fulgurante de son influence auprès du Kremlin. Cette manœuvre intervient en plein conflit ukrainien, où le soutien ecclésiastique est convoité par le gouvernement.
Alors que la communauté religieuse accueille favorablement le transfert de ces trésors nationaux, les spécialistes en art déplorent une tactique politique risquée, qui menace le devenir de pièces à la fois précieuses et vulnérables.
La nouvelle a ébranlé le paysage culturel russe en mai, lorsque le Patriarcat a dévoilé la décision du président Vladimir Poutine de lui attribuer par décret l’icône de La Trinité d’Andreï Roublev. Ce véritable emblème national, datant du XVe siècle, est l’une des plus mystérieuses icônes russes. Son harmonie incomparable a captivé les masses pendant un siècle à la galerie Tretiakov de Moscou.
KirillI Kudryavtse/AFP
Dès le 4 juin, l’icône sera exposée dans la Cathédrale du Christ-Sauveur, située à proximité du Kremlin. Par la suite, l’œuvre sera relocalisée dans son monastère d’origine, la Trinité-Saint-Serge à Serguiev Possad - souvent appelé le « Vatican russe » - situé à 70 km de Moscou.
Presque simultanément, l’illustre musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg a révélé son intention de restituer le tombeau du prince Alexandre Nevski, héros national du XIIIe siècle, au monastère qui le logeait avant la révolution bolchevique.
Olga Maltseva/AFP
Face à la situation géopolitique actuelle, le directeur de l’Ermitage, Mikhaïl Piotrovski, justifie ces actions en expliquant que « la valeur sacrale du monument est plus importante que sa valeur artistique ».
Ces dons présidentiels surviennent dans le cadre de l’offensive de Moscou en Ukraine, soutenue activement par le chef de l’Église orthodoxe russe, le patriarche Kirill, un allié de M. Poutine. En transférant ces reliques à l’Église, le président « aspire à redonner à la Russie ses fondations », affirme Léonid Kalinine, ancien responsable de l’art religieux au Patriarcat, lors d’un entretien avec l’AFP.

Tout comme par le passé, les symboles religieux jouent un rôle indéniable dans ce conflit actuel.
En avril dernier, lors d’une visite dans une région du sud de l’Ukraine sous occupation russe, le président Vladimir Poutine a offert aux soldats une réplique d’une icône, dont l’original a été acheminé dans une église dédiée aux forces armées. Dans ce climat de tensions, La Trinité de Roublev, représentant trois anges assis à une table autour d’une coupe commune, émerge comme un symbole de l’unité nationale.
« Contempler La Trinité de Roublev aidait jadis les princes russes à surmonter la discorde du monde », confie à l’AFP Lev Lifshits, octogénaire et auteur de nombreux ouvrages sur l’art ancien russe.
Natalia Kolesnikova/AFP
En juillet dernier, cette icône avait déjà été exposée pendant trois jours au monastère de la Trinité-Saint-Serge.
Toutefois, face aux défenseurs de l’art, l’Église dispose d’un allié de poids : Vladimir Poutine, qui compte sur le soutien du Patriarcat pour unifier la population en plein conflit avec Kiev.
L’histoire témoigne de cette alliance entre le Kremlin et l’Église en période de troubles. En 1943, en dépit de l’athéisme officiel, Staline « réhabilita le clergé orthodoxe et rouvrit 10 000 églises » en URSS, souligne M. Kalinine. Une légende répandue en Russie prétend même que Staline aurait fait survoler Moscou par un avion transportant une icône miraculeuse, afin d’unifier la nation en guerre contre l’Allemagne nazie.
Dans ce contexte, M. Lifshits perçoit le transfert de La Trinité de Roublev à l’Église comme étant « politique ». « Cette décision du Kremlin signifie que la situation politique y est perçue comme extrêmement sérieuse », renchérit le politologue russe Guéorgui Bovt. « Faute de victoire sur l’Ukraine et d’une armée à la hauteur, il ne reste plus à Poutine qu’à demander l’aide de Dieu, comme le faisaient les souverains d’antan », résume-t-il pour l’AFP.
Cependant, ce qui préoccupe avant tout les experts en art, c’est le danger qui pèse sur les œuvres d’art transférées à l’Église, où les conditions de conservation pourraient ne pas être aussi rigoureuses. Le transfert de La Trinité de Roublev « risque de la détruire », met en garde M. Lifshits. Après l’exposition de l’icône au monastère en juillet, les experts avaient identifié 61 signes de détérioration, malgré la présence d’une capsule de protection.
« Si elle quitte de nouveau son musée, la prochaine génération ne la verra plus dans son aspect actuel », explique l’experte Lilia Evseeva du Musée des Icônes à Moscou.
La décision de restituer cette pièce emblématique à l’Église a suscité une vive réaction de la part de l’Académie russe des Sciences. La semaine dernière, un groupe de vingt éminents savants a publiquement critiqué l’« état désastreux » de l’œuvre, affirmant que son déplacement était à la fois « impossible et inadmissible ».
Cette affaire, qui suscite des tensions palpables, a pris une tournure dramatique lorsque le prêtre Léonid Kalinine a été subitement destitué de ses fonctions la semaine dernière. Ce dernier avait suggéré d’exposer une réplique de La Trinité dans la cathédrale, le temps de créer une capsule de protection plus performante pour l’original. Cette proposition, loin d’être bien accueillie, a finalement conduit à son éviction, témoignant de la sensibilité du sujet.
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