L’étalon Sayrafa, dit-on

 
Il a fallu du temps, mais on y arrive. Sayrafa et le prix du marché tendent progressivement à se rejoindre, pour le taux du dollar. C’était l’objectif de la Banque centrale (BDL) dès le début. Le FMI préconisait l’unification des taux de change, et si c’est au taux de Sayrafa, pourquoi pas, disaient-ils.
Dès le début, cette plateforme de la BDL a tenté de jouer le rôle de modérateur sur le marché de change, avec plus ou moins de succès - moins plutôt que plus. Accessoirement, elle offrait des cadeaux aux uns et aux autres, en leur permettant de bénéficier de la différence entre son taux et celui du marché.
Actuellement, les fonctionnaires peuvent y recourir avec un taux favorable, pour compenser leurs maigres salaires, auxquels on ajoute occasionnellement des privilégiés qui amènent des sacs de jute de LL, réalisant ainsi des plus-values substantielles. Une distorsion créée de toutes pièces. Et ce n’est pas la seule.
Ceci dit, on est encore loin de cette unification et libéralisation tant souhaitées. Loin, disons, d’une normalité monétaire minimale. Le dollar est toujours calculé selon une palette pittoresque de variétés, entre les différentes circulaires de la BDL, le taux douanier, le taux de l’électricité, le taux des voitures, etc.
Mais pourquoi cette plateforme est-elle arrivée juste maintenant à maintenir cet équilibre avec le taux du marché, stabilisé depuis plus de deux mois, alors que cela fait des années qu’elle échoue, haletant derrière une hausse inexorable du billet vert?
Il serait faux de spéculer que la BDL est en train d’intervenir massivement sur la plateforme en vendant ses dollars, afin d’obtenir cette stabilité et ce rapprochement avec Sayrafa.

D’abord, parce qu’elle n’en a pas les moyens. D’ailleurs, ses ‘réserves’ n’ont pas baissé, oscillant depuis des mois entre 9 et 10 milliards de dollars. Les transactions quotidiennes, entre 100 et 200 millions de dollars – on ne cesse de le répéter – représentent l’ensemble des achats et des ventes par tous les intervenants (importateurs, voyageurs, rémissions, OMT… et BDL).
Ensuite, quoi qu'elle fasse, elle n’aurait pas pu battre le marché si ce marché n’était pas plus ou moins en équilibre. La preuve, le marché a toujours vaincu par le passé et imposé ses prix.
Cet équilibre provient naturellement d’une multitude de facteurs qui font que l’offre et la demande ont trouvé spontanément un terrain d’entente autour d’un taux. Sayrafa a contribué à cet équilibre, mais elle n’aurait pas pu l’imposer elle-même, sinon pourquoi elle ne l'aurait pas fait sur un taux inférieur. Toutes choses étant égales par ailleurs, le facteur qui a le plus influé réside dans le fait qu’une bonne partie de travailleurs reçoivent désormais au moins une partie de leurs revenus en dollars.
La Banque mondiale a estimé que le cash en dollars représente actuellement près de neuf milliards de dollars, ou 45% du PIB, soit presque la moitié de la consommation. Une étude d’Infopro, il y a quelques mois, est arrivée presque à la même conclusion: près de la moitié des entreprises versent des salaires en dollars, partiellement ou totalement. Une proportion qui est en train d’augmenter à un rythme rapide, et qui touche aussi les libéraux, du médecin au plombier.
Sayrafa, qui comble tous les jours le (petit) écart entre son taux et celui du marché, est-elle vouée à s’imposer in fine comme la seule valeur du marché? Possible, mais il n’empêche que le concept est quand même saugrenu.
Cette plateforme n’était pas censée se pérenniser. La libéralisation totale devrait être la règle avec un taux flottant comme dans la plupart des économies libérales. En attendant, Sayrafa ne devait être qu’une mesure provisoire, encore une parmi tous ces raccommodages qui n’auraient pas dû exister si on avait entamé les vraies solutions à notre purgatoire financier. Ce que le pouvoir politique refuse depuis près de quatre ans.
Ce pouvoir est actuellement divisé en trois catégories: une partie, dont Hezbollah et ses compagnons, s’emploie activement à lacérer continuellement le tissu financier et économique. Puis une foule de ‘dirigeants’ amorphes. Et enfin quelques rares ‘stoppeurs’, ces artisans en voie d’extinction dont le rôle est de rafistoler ce tissu tant bien que mal, même s’il est devenu entre-temps un haillon.
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