Nombre d’officiers reprochaient au maréchal Housni al-Zaïm ses attitudes erratiques et sa paranoïa. Certains avaient été purgés, d’autres craignaient de l’être. Mais le putsch du colonel Hennaoui, en date du 14 août 1949, peut aussi être considéré comme la revanche posthume d’Antoun Saadé.
Nous sommes au petit matin du 14 août 1949 et nous allons assister au déroulement du deuxième putsch de l’histoire de la Syrie indépendante. Le colonel Sami al-Hennaoui, de connivence avec d’autres officiers, va renverser la dictature de Housni al-Zaïm. Ce dernier avait pris le pouvoir le 30 mars de la même année. Il ne se serait donc maintenu que cent trente-sept jours à la tête de l’État.
Deux versions du même événement
1- Imaginons la scène telle que décrite par Nazir Founsa (1). Devant le siège de l’état-major de l’armée syrienne à Damas, dans le quartier Al-Salihiya, le maréchal Housni al-Zaïm, chef de l’État syrien, visiblement arraché à son lit, se tient debout, quelque peu absent, en pyjama, maillot de corps et pieds nus sous la menace de soldats avinés. À ses côtés, également figurent en pyjama son Premier ministre, Mohsen al-Barazi, et Khaled, le fils de ce dernier, un gamin de seize ans (2). Al-Barazi est malmené par les militaires. Et soudain apparaît le putschiste en chef, le colonel Sami al-Hennaoui; il tourne autour des prisonniers, les dévisage et déclare: «Nous vous avons condamnés à mort, vous les traîtres qui nous avez oppressés» (3). Les deux premiers personnages de l’État sont aussitôt exécutés. Contrairement au coup d’État du 29 mars qui fut blanc, celui-là allait faire couler le sang.
2- L’autre version est celle de Fadlallah Abou Mansour (4), officier druze et membre du Parti syrien national social. Il fut chargé de s’assurer de la personne de Housni al-Zaïm et l’exécuta volontiers pour venger la mort d’Antoun Saadé (5), leader du parti auquel il appartenait (6). Ayant été chargé de prendre d’assaut la résidence présidentielle, il s’y était rendu à la tête de six voitures blindées et d’une soixantaine de soldats. La garde présidentielle, dont le chef s’était absenté parce qu’il était de mèche avec les conjurés, se composait de trente éléments d’origine techerkesse. Ils n’opposèrent aucune résistance. Housni al-Zaïm, réveillé, avait revêtu son pantalon de maréchal par-dessus son pyjama. Il fut emmené dans une voiture blindée en direction du cimetière des Français, dans le quartier de Mazzeh. En chemin, il criait son innocence. Arrivés à destination, les conjurés et leur prisonnier attendirent l’arrivée d’un autre groupe de putshistes qui s’était saisi du Premier ministre Mohsen al-Barazi et de son fils mineur, tous deux en habit de nuit. Alors que ce dernier attendait dans la voiture blindée, des officiers firent part aux deux prisonniers du verdict qui les condamnait à mort. Si Barazi suppliait les soldats de l’épargner, Housni al-Zaïm, et jusqu’au dernier moment, ne voulait pas croire qu’il allait être exécuté. Une salve retentit et l’affaire fut conclue.
Le CV de Sami al-Hennaoui
Sami al-Hennaoui était né en 1896, à Alep, tout comme Housni al-Zaïm, son allié de la veille et puis sa victime. Il fit ses études militaires à Istanbul, se battit dans les troupes ottomanes sur les fronts du Caucase et de Palestine. Il rejoignit les troupes de Faisal et poursuivit ses études militaires à Damas. Sous le Mandat, il servit dans les forces de sécurité intérieure («darak») et rejoignit en 1938 les troupes du Levant sous commandement français. Il se retrouva dans l’armée nationale avec l’Indépendance et participa aux combats en Palestine.
Il s’allia à Housni al-Zaïm, le soutint lors du coup d’État du 30 mars, se retourna contre lui et le renversa. Les officiers insurgés constituèrent un conseil de guerre accaparant tous les pouvoirs et Hennaoui, en sa qualité de commandant en chef de l’armée, nomma par décret Hachem al-Atassi président du Conseil et pourvut de la même manière aux autres postes ministériels. Il eut le tort de réintégrer dans l’armée Adib al-Chichakli, qui avait été victime des purges de Housni al-Zaïm.
Hennaoui s’éleva au grade de général, mais il fut à son tour destitué par ledit Adib al-Chichakli le 19 décembre 1949. S’étant réfugié à Beyrouth, il fut assassiné en 1950 par un membre de la famille Barazi, qui voulait venger son cousin, le Premier ministre abattu sur ordre des putschistes.
Sami al-Hennaoui à la tête du putsch.
Revanche posthume d’Antoun Saadeh?
Qui avait commandité le deuxième putsch syrien, celui du 14 août? Mais d’abord faut-il rappeler que la scène politique de l’époque était divisée entre deux courants principaux. D’une part, les partisans de la Grande Syrie ou du Croissant fertile, qui militaient pour une union syro-irakienne ou syro-jordanienne sous un monarque hachémite. D’autre part, ceux des Syriens qui refusaient cette union de crainte de tomber sous la férule des Britanniques, ces patrons des hachémites. Ce dernier courant était appuyé par l’Arabie saoudite et l’Égypte, qui voyaient d’un mauvais œil une Grande Syrie puissante aux mains d’une famille rivale. Les rois Ibn Saoud et Farouk, craignant que le coup d’État du 14 août n’établît les bases d’une Grande Syrie, refusèrent d’ailleurs de reconnaître le régime de Hennaoui.
Gardant à l’esprit cette querelle qui empoisonnait les débats politiques et qui divisait le pays, on ne peut nier les raisons personnelles qui auraient incité les uns ou les autres à avoir recours à la violence. Nombre de gradés reprochaient au maréchal Housni al-Zaïm ses attitudes erratiques et sa paranoïa. Une poignée d’officiers n’étaient pas d’accord avec sa gestion; certains avaient été purgés, d’autres craignaient de l’être.
Housni al-Zaïm et Mohsen al-Barazi exécutés sans autre forme de procès.
Mais la question demeure: ce putsch, fut-il un coup commandité par les autorités irakiennes, plus précisément par le Premier ministre Nouri al-Saïd, ou plutôt une opération du PSNS marquée du sceau de la vengeance? Akram al-Hourani, qui s’était à un moment affilié à ce parti, et Fadlallah Abou Mansour, qui en était membre, avaient joué des rôles de premier plan dans le renversement de Housni al-Zaïm. On se perd en conjectures. Mais, vraisemblablement, des tas de raisons, dont certaines personnelles, avaient poussé les conjurés à intervenir.
Comme mentionné plus haut, le régime instauré par Hennaoui n’allait pas tarder à être renversé. Et les putschs allaient baliser et conditionner l’histoire syrienne jusqu’en 1970, date de la prise définitive du pouvoir par Hafez el-Assad.
Youssef Mouawad
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1- Nazir Fansa, Ayam Housni al-Zaïm, Dar al-Afaq al-Jadida, Beyrouth, 1982, pp.86-87. Nazir Fansa était le beau-frère de Housni al Zaïm et son proche conseiller. Dans sa chronique, il prétend avoir été présent sur les lieux et n’avoir échappé à l’exécution qu’en ayant recours à un stratagème. Sa version des événements, qui est plutôt romancée, est sujette à caution.
2- D’autres sources prétendent qu’il n’avait que quatorze ans. Cf. Bassam Barazi & Saad Fansa, Adib al-Shishakli, 1909-1964, Al-Haqiqa al-Mughayaba, Riyad al-Rayyes Books, Beyrouth, 2022, p. 117.
3- Op. cit., p. 87.
4- Fadlallah Abou Mansour, A’asir Dimashq, Beyrouth, 1959, pp. 69-79.
5- Le Parti syrien national social, aussi connu comme le PPS.
6- Cf. Youssef Mouawad, «Housni al-Zaïm ou le premier putsch syrien», Ici Beyrouth, 28 avril 2023.
7- Le PSNS s’était juré de venger son leader livré par Housni al-Zaïm aux autorités libanaises.
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