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Le Parlement a rapidement approuvé lundi deux propositions de loi relatives aux augmentations des salaires et des allocations sociales des fonctionnaires et aux primes des enseignants de l’Université libanaise. Alors que les chefs du Parlement et du gouvernement, aidés par des députés aounistes et du Hezbollah, tentaient de répondre aux accusations de non-constitutionnalité de la séance et d’absence de ressources et d’un budget 2023, un « lobbying » présidentiel se déroulait dans l’hémicycle et les bureaux de la Chambre.
En deux temps trois mouvements, le Parlement a approuvé lundi deux propositions de loi prévoyant l’ouverture de lignes de crédit pour financer les augmentations des salaires des fonctionnaires, des primes et des indemnités de transport accordées aux enseignants de l’Université libanaise.
En fait, il serait plus exact de dire que près de la moitié du Parlement a accompli cette tâche, puisque moins de 70 députés sur 128 étaient présents dans l’hémicycle. Ces derniers appartiennent aux blocs parlementaires du Hezbollah, du mouvement Amal, du Courant patriotique libre et du Parti socialiste progressiste, ainsi qu’aux blocs dirigés par Tony Frangié et Faycal Karamé et à la Modération nationale (six députés du Liban-nord et du Akkar, pour la plupart anciens haririens, qui coordonnent avec deux députés de Beyrouth).
En revanche, plusieurs blocs ont de nouveau refusé de participer à cette réunion, et à toute séance législative, avant l’élection d’un président de la République. Il s’agit des blocs des Forces libanaises, du parti Kataëb, du Renouveau, et du Changement, ainsi que des indépendants.
Avant l’ouverture de la séance, 29 députés de l’opposition avaient publié un communiqué, précisant que la séance n’est pas constitutionnelle, car il n’est pas possible d’approuver des crédits supplémentaires en l’absence du budget 2023, "que le gouvernement n’a pas élaboré". Ils avaient également mis en garde contre des dépenses mal calculées, en l’absence de sources de financement, qui pourraient aggraver l’inflation actuelle.
Présents et absents
Aucun député de la contestation n’a pris part à la séance. Même les députés Melhem Khalaf et Najat Aoun, qui ne quittent pratiquement pas l’hémicycle depuis le 19 janvier dernier, étaient absents. On rappelle qu’ils « campent » Place de l’Étoile depuis la 11e séance parlementaire consacrée à l’élection d’un président de la République, réclamant la tenue de séances consécutives jusqu’à ce qu'un nouveau chef de l'État soit élu.
Alors que des sources parlementaires ont affirmé que le député Adib Abdel-Massih, membre du bloc du Renouveau, a participé à la séance, ce dernier a publié un démenti sur son compte Twitter. Il a précisé qu'il est en faveur de toute démarche qui vise à garantir les besoins du secteur public, mais qu'il n’a pas pris part à la réunion législative et qu'il a quitté le Parlement, une fois le quorum assuré sans lui.
Ce sont pratiquement les mêmes députés présents lundi qui avaient participé le 18 avril dernier à la séance législative, laquelle avait permis de proroger les mandats des conseils municipaux et de moukhtars.
Plusieurs membres du bloc aouniste ont pris la parole pour justifier leur participation. Le bloc avait indiqué dans un communiqué avant la séance, avoir décidé d’y participer «à condition que l’ordre du jour se limite aux salaires des fonctionnaires sans aucun autre article ». Il avait ajouté que le bloc n’approuve que les lois qui entrent dans le cadre de la « législation de nécessité qui concerne l’intérêt supérieur de l’État ».
Ibrahim Kanaan, président de la commission parlementaire des Finances et du Budget, et membre du bloc CPL, a notamment fait valoir que « les droits de 400 000 familles de militaires, de fonctionnaires et d’enseignants » sont la seule raison justifiant la participation des députés aounistes à la séance.
Berry, Mikati et Fayad
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À tour de rôle, le président du Parlement, Nabih Berry, et le Premier ministre sortant, Najib Mikati, ont répondu aux accusations de l’opposition, selon laquelle la séance n’est pas constitutionnelle et le budget 2023 n’a toujours pas été soumis au Parlement.
Peu après l’ouverture de la réunion, M. Berry a déclaré, en réponse à des interventions parlementaires : « Pour certains, la Constitution signifie que le gouvernement ne doit pas se réunir, et le Parlement ne doit pas légiférer. Si on les écoute, on arrête de travailler ».
Pour sa part, M. Mikati a répondu aux nombreux députés qui critiquaient le fait que le gouvernement n’a toujours pas envoyé au Parlement le projet de budget 2023. Il a affirmé que le texte est prêt et qu’il convoquera le gouvernement à des sessions successives pour l’approuver.
Le ministère des Finances "enverra le projet final du budget au Conseil des ministres avant la fin du mois de juin pour discussion", a poursuivi M. Mikati.
De plus, certains députés du Hezbollah ont voulu rassurer leurs collègues sceptiques, en soulignant que les sources de financement des deux lois votées sont garanties. L’un d’entre eux, Ali Fayad, a notamment fait le calcul suivant, qu’il a exposé durant la séance, puis à la presse. Selon lui, les recettes de l’aéroport atteignent 150 millions de dollars par an, "dont 62 millions en dollars frais résultant de la Zone franche. Les recettes du port de Beyrouth totalisent 15 millions de dollars par mois, dont 10 sont transférés au Trésor. Si l'on ajoute les recettes des bienfonds maritimes qui totalisent 40 millions de dollars, on obtient 400 millions de dollars, soit près de 37 mille millards de LL. Cette somme couvre la somme requise pour la proposition de loi relative aux augmentations des fonctionnaires".
Proposition de loi du PSP
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Il convient de noter que Hadi Aboulhosn, député PSP, a demandé au début de la séance l’ajout d'un troisième texte à l’ordre du jour. Il s’agit d’une proposition de loi à caractère de double urgence, présentée par le président de la commission parlementaire de la Santé, Bilal Abdallah (PSP). Elle concerne l’octroi de 4 000 milliards de LL au ministère de la Santé, comme contribution aux frais d’hospitalisation des citoyens démunis.
Mais, dès le vote des deux autres propositions de loi, le député Alain Aoun, du CPL, a rappelé que son bloc a accepté de participer à la séance à condition qu’elle soit consacrée aux deux seuls articles figurant à l’ordre du jour. M. Berry a aussitôt envoyé le texte en question en commissions.
Khalaf : Anesthésie et rapiéçage
À l’issue de la séance, et en l’absence de représentants de l’opposition souverainistes, qui ont tous boycotté la réunion, c’est surtout le député Melhem Khalaf qui s’est chargé de déconstruire les arguments du 8 Mars, soulignant que « cette séance n’est pas constitutionnelle et ne respecte pas le principe de la continuité de l’autorité publique ».
Il a dénoncé le recours du gouvernement à l’ouverture de crédits supplémentaires, en l’absence d’un budget et d’une clôture des comptes. M. Khalaf a critiqué la politique du « rapiéçage », soulignant que l’objectif de la séance est de donner au peuple l’illusion qu’ils lui satisfont ses droits alors qu’en fait, ils se contentent de l’anesthésier, et lui reprennent d’une main ce qu’ils lui ont accordé de l’autre».
Les textes votés
Pour en revenir aux deux propositions de loi approuvées durant la séance, elles ont toutes les deux été présentées par les députés Elias Bou Saab, Sajih Attiyé, Ali Hassan Khalil, Jihad Samad et Bilal Abdallah.
Elles concernent l’approbation de l’ouverture de deux lignes de crédit avant la publication de la loi des finances pour l’exercice 2023. La première ligne de crédit, d’un montant de plus de 37 mille milliards de LL permet de verser une aide sociale à tous les fonctionnaires et retraités de la fonction publique et à la couverture de la différence relative aux allocations de transport provisoires des fonctionnaires.
La deuxième vise à ouvrir une ligne de crédit de 265 milliards de livres au ministère de l’Éducation pour financer des gratifications aux professeurs de l’Université libanaise, afin de leur permettre de terminer l’année universitaire en cours.
Ces propositions de lois avaient été approuvées lors de la réunion des commissions mixtes jeudi dernier.
Rappelons dans ce cadre que le gouvernement avait d’abord envoyé ces textes aux commissions parlementaires mixtes sous forme de projets de loi. Mais de nombreux députés avaient refusé d’examiner ces textes soumis par un gouvernement d’expédition des affaires courantes dans le cadre d’une vacance présidentielle. Il avait été convenu que des députés présenteront des propositions de loi relatives à ces crédits.
Lobbying présidentiel
Photos Ali Fawaz
Cinq jours après la tenue, mercredi dernier, de la 12ᵉ séance parlementaire consacrée à l’élection d’un président, qui avait échoué comme celles qui l’ont précédée, ce dossier était présent dans les coulisses, Place de l’Étoile.
À la fin de la séance, le député Tony Frangié a été aperçu en train de discuter avec des députés ayant voté pour Jihad Azour. Selon certains d’entre eux, le député de Zghorta faisait du « lobbying » pour son père, Sleiman Frangié, candidat appuyé par le Hezbollah et le mouvement Amal. Dans certains de ces apartés, il était d’ailleurs accompagné par des parlementaires de ces deux blocs.
De son côté, le vice-président du Parlement, Elias Bou Saab, aurait tenu une réunion avec les députés Elias Jradé (Changement) et Oussama Saad et Abdel Rahmane Bizri (Saïda). Les trois derniers avaient voté, avec Cynthia Zarazir et Halima Kaakour (Changement), ainsi que Charbel Massaad (Jezzine) en faveur de l’ancien ministre Ziad Baroud.
Au niveau présidentiel également, les salons du Parlement ont été témoins de différentes analyses sur le contenu des discussions du chef du CPL, Gebran Bassil, à Doha…
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