Une douzième séance pour rien? Pas vraiment… Sans surprise, la réunion parlementaire tenue le 14 juin au Parlement pour élire le chef de l’État n’a évidemment pas mis fin à la vacance présidentielle. Personne ne s’y attendait d’ailleurs. Mais il reste que, malgré tout, cette session est loin d’être dépourvue d’une importance certaine dont les effets, non négligeables, tarderont toutefois à se concrétiser.
Il s’est confirmé en effet, dans les chiffres, ce que certains acteurs étrangers ne voulaient pas admettre, à savoir que le tandem Hezbollah-Amal est loin de posséder la majorité absolue au sein du Parlement et que, bien au contraire, la balance penche nettement en faveur d’un large éventail de parties et de personnalités qui contestent la ligne de conduite de la formation pro-iranienne. C’est ce qui ressort du nombre de voix exprimées par l’ensemble des pôles parlementaires, toutes tendances confondues, qui se sont opposés au diktat du Hezbollah, soit 77 députés. Plus encore, il est possible de relever sans trop risque de se tromper que si les représentants de l’axe dit «obstructionniste» – en l’occurrence les suppôts et les alliés des mollahs de Téhéran – n’avaient pas provoqué un défaut de quorum, le candidat de la coalition souverainiste et du courant aouniste aurait obtenu les 65 voix requises pour être élu, et même davantage. Il a été, de fait, établi que le vote de certains parlementaires qui n’ont pas soutenu Jihad Azour au premier tour ne reflète pas un choix politique mais a été motivé par des considérations ponctuelles et personnelles qui se seraient indubitablement estompées au second tour pour céder la place à une position de principe au bénéfice de M. Azour.
Face au blocage pratiqué par le Hezbollah, les tractations devraient logiquement reprendre en vue de dégager une entente sur un candidat qui obtiendrait l’aval des deux camps en présence. Le nom du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun – qui a démontré sa capacité à maintenir sur pied l’institution militaire dans les circonstances les plus difficiles – sera vraisemblablement remis sur le tapis avec force. Au terme de la douzième séance électorale, le parti pro-iranien a prôné dans ce cadre le dialogue. Sauf que pour lui, le facteur «temps» n’a aucune valeur et de ce fait, le «dialogue» peut durer, en ce qui le concerne, autant que le long voyage d’Ulysse. Certains de ses dirigeants n’ont-ils pas souligné à maintes reprises qu’ils peuvent attendre aussi longtemps qu’il le faudra pour réaliser leur dessein?
Il apparaît ainsi clairement que l’enjeu véritable de cette bataille présidentielle dépasse largement une simple querelle de personnes ou les considérations purement politiciennes. On ne le répètera jamais suffisamment: l’enjeu réel, aujourd’hui, est un choix entre deux projets de société, deux visions du Liban, de son rôle et de sa vocation dans cette partie du monde. La bataille oppose le projet d’édification d’un État digne de ce nom à la logique d’un mini-État sectaire placé au service des ambitions hégémoniques d’une lointaine puissance régionale.
Le plus grave dans cette nouvelle épreuve subie par le Liban est la banalisation des violations de la Constitution et le non-respect des échéances constitutionnelles. Un tel stratagème n’est d’ailleurs pas nouveau et a pour aboutissement une lente, mais systématique, déconstruction non seulement de l’État central mais également du système politique en place. L’on se souvient à cet égard des prolongations totalement injustifiées, sous l’occupation syrienne, des mandats des présidents Elias Hraoui et Emile Lahoud, ou des votes «pour une seule fois et à titre exceptionnel» de lois électorales iniques taillées à la mesure des alliés de Damas. Sans compter, à l’ère récente du diktat iranien, les blocages successifs de l’élection présidentielle, depuis la fin du mandat Lahoud, et la prolongation – tout aussi injustifiée – du mandat de la Chambre et des conseils municipaux.
Ce n’est certainement pas un hasard si de telles violations continues de la Constitution et des pratiques démocratiques ont été constamment l’œuvre du même camp politique, en l’occurrence l’axe irano-syrien. L’on se trouve manifestement sur ce plan devant une diabolique entreprise de défiguration du Liban, ou tout au moins face à une volonté d’en faire un abcès de fixation permanent. Cette donne, dont les Libanais pâtissent depuis des décennies, impose un véritable sursaut national. Elle place les parties et personnalités souverainistes devant la responsabilité historique de maintenir et de bétonner la ligne de conduite qu’elles ont réussi à tracer à la faveur de la bataille présidentielle en dépassant les calculs politiciens et partisans pour présenter un large front de résistance pacifique, politique, culturelle, sociale, économique, et surtout citoyenne, face au diktat étranger.
Il s’agit là d’une condition nécessaire, impérieuse, mais pas suffisante. Car dans cette région moyen-orientale en pleine mutation, le Liban a plus que jamais besoin du soutien ferme de pays amis – France et Arabie saoudite en tête – afin qu’ils usent de leur influence internationale pour pousser les États obstructionnistes à «ramener à la raison» leurs poulains, les forces locales viscéralement ancrées aux orbites étrangères. La sauvegarde d’un Liban pluraliste, libéral, soucieux des libertés publiques et individuelles, attaché aux valeurs humanistes, est en effet, assurément, un passage obligé pour juguler et neutraliser les factions qui se plaisent à entretenir un climat d’instabilité chronique et de terrorisme, non seulement dans la région, mais aussi à l’échelle internationale.
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