Qui peut oublier le générique du programme où l’on voit un gentil bonhomme fraîchement débarqué de son village, son panier rempli de produits du terroir, déambuler dans les rues de Beyrouth. La capitale, alanguie sur la Méditerranée, se fiche de sa présence et de celle des êtres qui lui ressemblent, alors qu’il la salue timidement, les yeux baissés: «Bonjour Sittna Beyrouth»!
Abdallah Homsi, alias Assaad, l’un de nos plus grands comédiens, également connu sous le pseudonyme de Doueik, le villageois catapulté dans la capitale qui commençait ses journées en saluant avec déférence Dame Beyrouth, n’est plus. Né en 1937 à Tripoli dans une famille modeste composée de dix enfants, il est décédé ce 27 juin 2023, dans l’après-midi. Assaad a mené, tambour battant, une longue et brillante carrière sur soixante-cinq ans. Il a joué dans 1.700 épisodes télévisés, 3.000 émissions radio, soixante pièces de théâtre et plus de quinze longs métrages. Il a participé à de nombreux festivals, comme ceux de la citadelle de Tripoli et des colonnes de Baalbeck.
À l’âge de cinq ans, son double talent se manifeste pour l’art dramatique et le sport. Haut comme trois pommes, il commence à jouer au lycée officiel des garçons de Tripoli. Il quitte les bancs de l’école avant d’obtenir le brevet et se convertit d’abord en aide pâtissier, secondant son père dans la confection de pâtisseries tripolitaines. En 1955, il remporte le championnat de musculation de Tripoli. Très jeune, il rafle également la médaille de la natation lors d’une compétition organisée entre Kalamoun et Tripoli. Doueik nourrit par ailleurs une passion pour la chasse et la pêche, le trictrac, l’épée et le bouclier. Épris de folklore libanais, il fonde en 1960 «La Troupe des arts populaires». Celle-ci révèle beaucoup de talents méconnus au public et lui permet de donner libre cours à l’improvisation de poèmes en dialecte libanais, «Zajal», parmi les amateurs de ce chant populaire. Assaad fait ses débuts avec l’immense comédien et auteur Abou Salim dans le cadre de la troupe «Le Clairon», fondée justement par Salah Tizani dans les rangs des scouts «Al Jarrah», avant de se produire sur les planches de théâtres connus, comme celui du collège des Frères, autorisant plus de liberté d’expression. Il est l’un des membres fondateurs, avec le regretté Fehmane, de «La Comédie libanaise», créée par Salah Tizani à la fin des années cinquante. La grande opportunité qui révèle Assaad au public libanais se présente avec l'approbation du programme d’Abou Salim par le jury de Télé Liban composé de Jean-Claude Boulos, Rachad el -Bibi et Ezzeddine Sobh et le succès retentissant des épisodes du «Voyageur».
Père de cinq filles et d’un garçon nommé Rachid, qui lui vaut un troisième surnom, celui d’Abou Rachid, il est très entouré par ses enfants. Ceux d'entre eux qui n’ont pas plié bagage, désespérés par la situation du pays, lui rendent visite quotidiennement. Durant les dernières années de sa vie, il suit une routine inviolable. Sa journée débute par une ballade dans son quartier natal à Tripoli, «Al-Zahiriya», pour y rencontrer ses amis d’enfance, acheter sa viande chez son ancien boucher, ses légumes au marchand dépositaire de ses bons souvenirs et ses brocantes à la même échoppe d'antan!
Assaad a joué des rôles de premier plan comme dans Doueik Ya Doueik, en 1973, l’œuvre d’Antoine Ghandour, mise en scène par Bassem Nasr, aux côtés de Silvana Badrakhan, la pin-up de l’époque. Ce feuilleton, réunissant tous les éléments du succès, reste gravé dans la mémoire du public. Doueik incarne parfaitement la bonhomie du villageois sidéré par le modernisme de Beyrouth, la beauté et l’émancipation des citadines. Le feuilleton dépeint également le revers de la médaille, à savoir les intrigues, sur fond de dépravation de mœurs, d’hypocrisie et de corruption, qui caractérisent la société bourgeoise. Feuilleton qui a le mérite de mettre en valeur l’immense talent de l’acteur, la pertinence du sujet traité et la beauté de la capitale durant son âge d’or, une époque complètement révolue aujourd’hui.
Pour le poète et critique Georges Jerdak, il a prouvé «qu’il était un acteur de stature internationale». À noter qu’il avait participé à la pièce de théâtre Kadiyé wa haramiyé (Une cause et des voleurs), en 1970, écrite par l’illustre journaliste de la revue Al-Chabaké. Dans l’un de ses entretiens, Assaad raconte qu’il avait reçu des mains du monumental Assi Rahbani, en guise de récompense, 100 livres libanaises annexées à son cachet, à la suite de sa prestance dans Bint el-Haress (La Fille du gardien) en 1971. Il avait également participé à Safar Barlek (Le voyage de Barlek) en 1967 avec les frères Rahbani. L’intérêt des Rahbani l’a incité à nourrir ses connaissances et à approfondir sa maîtrise des personnages. Ainsi, il s’est évertué pendant trois ans à lire Sigmund Freud pour comprendre l’âme humaine. Parmi ses rôles célèbres au cinéma, notons Mariam al- Khati'a (Mariam la pêcheresse) en 1966, Khitharat al hobb (La guitare de l’amour) en 1973, de Mohammad Selman, Ayyam el loulou (Les jours heureux) en 1986, avec la grande diva Sabah, Awdat al-Battal (Le retour du héros) en 1983, mis en scène par Samir Ghosseini, Al Leil el Akhir (La dernière nuit) en 1982 de Youssef Charafeddine et Zinnar al Nar (La ceinture de feu) réalisé par Bahige Hojeije en 2004.
Contacté par Ici Beyrouth, Salah Tizani nous raconte comment il a fait sa connaissance en 1951, dans les rangs des scouts Al-Jarrah. «J’ai remarqué son immense talent, son dynamisme et son intelligence. On s’entraînait chaque jour chez moi, à la maison. Abdallah était devenu un membre de la famille. Il était serviable et très bienveillant. Il s’est rapproché de ma sœur Hoda avec qui il s'est marié. Je garde le souvenir de sa ponctualité, de son sérieux et de sa passion pour le métier. Il était prêt à soutenir les artistes en herbe au détriment de ses propres intérêts. Le Seigneur des Mondes l’avait préservé de deux tares: l’arrogance et l’égoïsme». En réponse à notre question sur les hommages rendus au grand Assaad par l’État ou les responsables libanais, Abou Salim confie que la maison de son beau-frère ploie sous le poids des médailles et des trophées accumulés par centaines. Cependant, il déplore l’absence révoltante de médicaments, de carte d'hospitalisation – octroyée par l'État libanais – et du moindre soutien financier pour ses traitements. Il monte sur ses grands chevaux à la seule évocation des manquements inadmissibles des dirigeants, les traitant de mécréants, d’apostats et de vampires qui se repaissent du sang de leur peuple et pillent ses ressources et ses biens. Son rêve, c’est de les voir jugés et emprisonnés, afin que la justice triomphe, que le peuple soit vengé et que les artistes négligés soient enfin acquittés. «Il serait mort, il y a plus de dix ans, quand il a été frappé d’hémiplégie et qu’il a dû subir cinq opérations successives, en l’absence de tout soutien de l’État, sans l’intervention bénie d’un homme d’affaires et mécène d’origine libanaise installé en Arabie Saoudite, Khaldoun Barakat. Ce grand monsieur nous soutient toujours. C’est lui aussi qui a accouru à l’annonce du décès du comédien et proposé de prendre en charge ses funérailles».
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