Les rouleaux sacrés sont des prières et des formules protectrices inscrites sur des parchemins d’une dizaine de centimètres de largeur. Ils se déroulent cependant sur une longueur égale à celle de la personne qui les porte. Leur usage était courant dans plusieurs traditions, mais plus particulièrement chez les juifs, les maronites et les Éthiopiens qui sacralisent leurs écritures respectives: hébraïque, syriaque et guèze.
Les rouleaux sacrés sont des prières et des formules protectrices inscrites sur des parchemins d’une dizaine de centimètres de largeur. Ils se déroulent cependant sur une longueur égale à celle de la personne qui les porte. Rangés dans un petit récipient cylindrique en cuir, ils se portent au cou à la manière d’un pendentif. Leur usage était courant dans plusieurs traditions, mais plus particulièrement chez les juifs, les syriaques (dont les maronites) et les Éthiopiens qui sacralisent leurs écritures respectives: hébraïque, syriaque et guèze.
Les trois rouleaux éthiopiens de la bibliothèque Bar-Julius Liban.
Les traditions judéo-chrétiennes
Leur mode d’usage, porté sur le corps, ne leur a pas permis de survivre comme les fresques, les mosaïques et les icônes. C’est ainsi que les exemples juifs et maronites, composés respectivement en hébreu et en syriaque, ont disparu pour la plupart. Si les modèles inscrits en guèze sont encore nombreux, c’est parce que l’Éthiopie a continué à en produire tout au long du XXᵉ siècle, faisant du rouleau sacré un art typiquement éthiopien. La majorité des livres et articles les désignent injustement comme rouleaux magiques, les classant dans un mode de culture africaine.
Pourtant, dans la forme comme dans le fond, les rouleaux éthiopiens sont analogues à ceux des traditions judéo-chrétiennes et conformes aux autres modèles chrétiens arméniens, assyriens ou maronites. Le texte non plus n’a rien de magique, puisqu’il s’agit de prières chrétiennes, de versets bibliques et surtout d’invocations du Verbe incarné, crucifié et ressuscité. Certaines coutumes proprement éthiopiennes relèvent de la magie, telle que l’habitude de boire ou de s’enduire le corps du sang du bœuf dont la peau a servi à la fabrication du parchemin. Cet usage est cependant apocryphe et demeure étranger au contenu du texte chrétien et de ses illustrations.
La graphie, dépourvue de toute forme d’enjolivement, est pure et indépendante du décor et des illustrations. Cette qualité est due à sa valeur sacrée héritée du judaïsme et associée au Verbe dans les traditions syriaque et éthiopienne. Cette notion confère à l’écriture une dimension acheiropoïète (non produite par la main de l’homme) qui ne supporte aucun superflu.
Les registres super médian et infer du rouleau Bar-Jul. Eth.2. Longueur totale: 201cm parchemin XIXᵉ siècle.
Le rouleau maronite
Un rouleau protecteur maronite est l’œuvre du patriarche Paul Iᵉʳ Massaad (1854-1890). Le fait qu'il est désigné comme une amulette par certains chercheurs dissimule son véritable caractère. En effet, dans l’intention d’éviter toute association à la magie, le patriarche maronite a composé le texte autour du thème du cycle christique qu’il a rédigé en garshouné.
Il l’a entamé avec le Verbe en écrivant le verset de saint Jean (1:1): «Au commencement était le Logos». Quelques lignes plus bas, il évoque l’incarnation dans Jean (1:14): «Et le Logos s’est fait chair». Plus loin, il poursuit l’histoire du Salut en mentionnant la puissance de la croix victorieuse: «Voici donc la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. Fuyez ennemis contrariants! Voici qu’il a triomphé.» Encore plus bas, la croix est manifestée comme signe de vie: «De ta Crucifixion salvatrice, de ta mort vivifiante», pouvons-nous lire alors, juste avant d’aborder le thème de la Résurrection menant à l’Ascension. C’est le retour vers le Père, vers le Verbe (le Logos): «De ta Résurrection glorieuse d’entre les morts, de ton Ascension honorable au ciel», dit alors le texte.
La comparaison de ce rouleau avec d’autres exemples syriaques montre l’importance du récit christique comme fondamental et opposé à toute forme de magie. S’appuyant sur l’ouvrage de Gollancz concernant une collection de textes protecteurs syriaques, Salamé-Sarkis constate que plusieurs textes se réfèrent ainsi au Prologue de Jean. Chez les maronites, le Verbe-Logos est donc à la source de tout. Le texte exorciste et la signature du patriarche ne sont que des intermédiaires, des témoins. «L’efficience ne vient que du Verbe», écrit Salamé-Sarkis.
Les registres super médian et infer du rouleau Bar-Jul. Eth.3. Longueur totale: 171cm parchemin XIXᵉ siècle.
Deux rouleaux éthiopiens
Les rouleaux éthiopiens de la bibliothèque Bar-Julius (Liban) remontent également au XIXᵉ siècle. Le Bar-Jul. Eth. 2 fait 9x201 cm, alors que le Bar-Jul. Eth. 3 fait 9x171 cm. Ces longueurs correspondent à la taille de la personne qui les portait. Selon le prototype éthiopien, ils comportent chacun trois illustrations désignées par super (au sommet du rouleau), médian (au milieu), et infer (à l’extrémité inférieure).
Selon le code iconographique respecté, l’archange armé de son épée est représenté au niveau super, les yeux qui conjurent le mauvais œil sont placés dans le registre médian et la croix du Christ apparaît toujours au niveau infer. Dans le cas du rouleau Bar-Jul. Eth.2, le dessin infer présente une croix déclinée en visages qui se croisent, alors que dans le Bar-Jul. Eth.3, la croix est clairement identifiable et portée en procession selon la coutume locale.
Le registre médian offre également deux variantes. Dans le Bar-Jul. Eth.2, nous constatons une frise constituée d’une série d’yeux, alors que le Bar-Jul. Eth.3, présente les yeux dans une croix étoilée.
Deux grammaires syriaques. À gauche le manuscrit Syr.16 de Manchester attribué à Grégoire Bar Hebraeus (+1286). ©John Rylands Library. À droite le manuscrit F. Syr.1 de Beyrouth daté de 1775. ©Université Saint-Joseph
L’œil et la fascination
Dans sa recherche de la transcendance, l’art de l’icône chrétienne est par excellence narratif et intemporel. Le hiératisme du personnage le porte à fixer l’infini du regard qui interpelle le spectateur. C’est ainsi que le point de fuite de la perspective ne se trouve pas dans le tableau, mais dans le spectateur incorporé à la scène et à l’événement. L’art éthiopien accentue encore cela en se centrant sur la puissance du regard.
Les illustrations du rouleau protecteur se développent alors autour de la force expressive de l’œil angélique qui conjure le mauvais œil. Pour Jules Leroy, l’artiste éthiopien «n’a aucun respect de la réalité vraie de l’anatomie, n’hésitant pas… à mutiler la nature et à la plier à sa fantaisie». Il peint à larges traits, avec une stylisation hardie et inoubliable. Le regard est souligné, renforcé et exagéré jusqu’à la fascination que Jacques Mercier tente de définir comme une abolition de la perspective et sa substitution par un effet d’opposition entre le mobile et le statique. «L’image est centrée, écrit-il. Les cercles cadrent le champ du regard et celui-ci, par contraste, reste fixé sur les motifs centraux des yeux. Le dessin donne l’impression de bouger tout en étant fixe. Ce mouvement dans la fixité n’est autre que la fascination.»
Il arrive que la stylisation à l’éthiopienne apparaisse dans certains manuscrits tels que la grammaire syriaque de Manchester (Syr. 16) et celle de Beyrouth (F. Syr.1). Selon le même procédé de schématisation, les personnages y sont réduits à de simples visages stylisés et dominés par les cercles des yeux. Ici et là, le dessin est expressionniste et les lignes répondent, non pas à la réalité, mais à des lois rythmiques. Pour Jules Leroy, leur style iconographique «pose la question de l’existence chez les chrétiens de langue syriaque d’une imagerie de caractère magique».
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