©Photo: Nicolas Tucat/AFP
Devenu un lieu abandonné après avoir acquis un statut mythique dans les années 1980 sous la direction du renommé maître du théâtre Peter Brook, la Carrière de Boulbon – élément clé du Festival d’Avignon – connaît une résurgence remarquable après une pause de sept ans.
Situé dans le village provençal de Boulbon, dans les Bouches-du-Rhône, à seulement quinze kilomètres de la Cité des papes, ce site impressionnant en plein air a attiré plus d’un millier de spectateurs pour la pièce de réouverture, Le Jardin des délices, inspirée très librement de l’œuvre de Jérôme Bosch.
Il y a 38 ans, c’est ici que Peter Brook, en quête d’un «lieu vierge de tout passé culturel et artistique», créa son épopée indienne, Le Mahabharata, une pièce gigantesque de neuf heures jouée pendant une nuit entière ou en trois temps. Le succès fut retentissant et elle devint une référence du Festival d’Avignon.
Une vingtaine de spectacles suivirent, avec des performances de figures notoires telles que Bartabas, Philippe Caubère et Israël Galvan. Le site ferma ses portes en 2016 et c’est le nouveau directeur du festival, Tiago Rodrigues, qui prit la décision de le rouvrir, répondant au désir exprimé par le public, les artistes et les techniciens, selon ses propres mots.
Cependant, la réouverture ne fut pas tâche aisée. La réhabilitation du site, en particulier la mise en place de dispositifs anti-incendie dans ce lieu boisé, à la suite des feux de l’été dernier, coûta près du double des coûts prévus: plus de 250.000 euros s’ajoutèrent ainsi aux 350.000 euros déjà investis.
«Ce site qui se réveille est presque le personnage principal du spectacle», affirme le metteur en scène Philippe Quesne qui monte Le Jardin des Délices, seule pièce présentée à Boulbon pour cette 77e édition du festival.
«C’était un peu le rêve de pouvoir travailler dans le silence absolu, sous les étoiles», confie-t-il, ajoutant qu’un tel lieu, «il faut apprendre à le regarder et à ne pas y placer du théâtre de manière ostentatoire, tout de suite». Il décrit la carrière comme un site «très étrange, tel un canyon dans un western ou un cratère lunaire».
Étrange, son spectacle l’est tout autant: un groupe de voyageurs aux allures de hippies pousse un bus blanc dans la carrière. Ils jouent de la musique, puis apportent… un œuf blanc géant qu’ils embrassent tour à tour. Ils démontent ensuite une partie du bus pour le transformer en scène. S’ensuivent alors des performances sans queue ni tête – chansons, lectures de poèmes, danse dans un moule géant –, le tout enveloppé de bruitages évoquant l’orage et les grillons.
Il y a très peu de liens avec le chef-d’œuvre du XVe siècle du peintre néerlandais, qui trône au musée du Prado à Madrid, qui est un foisonnement mystérieux et fantastique de personnages dans des situations cocasses et inquiétantes. Le tableau, qui a influencé le surréalisme, est «assez formidable sur la liberté de l’artiste» et très théâtral, indique M. Quesne.
L’aspect délibérément absurde du spectacle est revendiqué par l’ancien directeur artistique du Théâtre Nanterre-Amandiers, devenu depuis 2022 directeur de la Ménagerie de verre, à Paris. «Je ne m’inspire pas esthétiquement du tableau, mais je présente un groupe de voyageurs perdus sur ce site monumental pour évoquer la question de la nature», explique l’artiste, connu pour ses spectacles décalés (La Mélancolie des dragons, La Nuit des taupes, Farm fatale).
Présenté comme une science-fiction écologique et un western contemporain, le spectacle met en avant les artistes qui «s’entraînent à la catastrophe», selon les mots de M. Quesne.
Avec AFP
Lire aussi
Commentaires