Birmanie: quatre ans de prison supplémentaires pour Aung San Suu Kyi

La junte birmane resserre encore son emprise sur Aung San Suu Kyi: l'ex-dirigeante a été condamnée lundi à quatre ans de prison dans l'un des volets de son procès, au terme duquel elle risque des décennies de détention.


La prix Nobel de la paix, assignée à résidence depuis le coup d’Etat militaire du 1er février 2021, a été notamment reconnue coupable d'importation illégale de talkies-walkies, d'après une source proche du dossier."L'arrestation, l'inculpation et la condamnation injustes d'Aung San Suu Kyi par le régime militaire birman sont un affront à la justice et à l'Etat de droit", a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price devant la presse."C'est un jugement politique", a déploré le comité Nobel norvégien "profondément inquiet pour sa situation".

Aung San Suu Kyi, 76 ans, avait déjà été condamnée en décembre à quatre ans de détention pour avoir enfreint les restrictions sur le coronavirus, une sentence ramenée à deux ans par les généraux au pouvoir.

Elle purge cette première peine dans le lieu où elle est tenue au secret depuis son arrestation il y a près d'un an.

Un porte-parole de la junte, le major général Zaw Min Tun, a confirmé à l'AFP le verdict de lundi, précisant que Mme Suu Kyi resterait assignée à résidence le temps de son procès.

Cette nouvelle condamnation est "un camouflet pour l'Asean (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) qui tente en vain d'engager un dialogue en Birmanie", a réagi Debbie Stothard, de l'ONG Alternative ASEAN Network on Myanmar. "Le bloc doit se coordonner davantage avec l'ONU, les Etats-Unis et l'UE, de nouvelles sanctions doivent être imposées contre les intérêts économiques des généraux".

Pour Manny Maung, de l'ONG Human Rights Watch, ce verdict risque encore de renforcer la colère de la population birmane.

"Tout le monde sait que ces accusations sont fausses (...) Les militaires utilisent cette tactique de la peur pour la maintenir en détention arbitraire" et définitivement l'écarter de l'arène politique, relève la chercheuse.

Sédition, corruption, incitation aux troubles publics, fraude électorale... Aung San Suu Kyi a été inculpée à de multiples reprises ces derniers mois.

Son procès se tient à huis clos devant un tribunal mis en place spécialement dans la capitale Naypyidaw, où elle est jugée aux côtés de l'un de ses fidèles, l'ex-président de la République Win Myint, également arrêté le 1er février 2021.

Plusieurs proches de l'ex-dirigeante ont déjà été condamnés à de lourdes peines: 75 ans de prison pour un ancien ministre, 20 ans pour un de ses collaborateurs. D'autres se sont exilés ou sont entrés en clandestinité.

Le coup d'Etat a fait plonger le pays dans le chaos. Plus de 1.400 civils ont été tués par les forces de sécurité, d'après une ONG locale, et des milices citoyennes anti-junte ont pris les armes à travers toute la Birmanie.


Le jugement prononcé lundi concernait notamment l'importation illégale de talkies-walkies. Selon l'accusation, ce matériel de contrebande aurait été découvert au cours de la perquisition effectuée dans la résidence officielle d'Aung San Suu Kyi lors de son interpellation.

Certains membres de ce commando ont reconnu n'avoir été en possession d'aucun mandat pour effectuer ce raid, d'après une source proche du dossier.

L'influence politique d'Aung San Suu Kyi a beaucoup diminué depuis le putsch, avec une nouvelle génération qui a pris les armes contre la junte et a des vues plus progressistes.

Mais cette icône de la démocratie pendant ses années passées en résidence surveillée sous les précédentes dictatures militaires, fille du héros de l'indépendance Aung San, a toujours une place particulière dans le cœur des Birmans.

La condamnation prononcée en décembre avait "provoqué des déluges de protestations sur les réseaux sociaux", rappelle Manny Maung.

La prix Nobel vit coupée du monde, ses seuls liens avec l'extérieur se limitant à de brèves réunions avec ses avocats, qui ont interdiction de parler à la presse et aux organisations internationales.

Au moins 175 personnes, dont de nombreux membres de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), seraient mortes en détention, "très probablement à la suite de mauvais traitements ou d’actes de torture", a dénoncé début décembre la Haute commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Michelle Bachelet.

Les généraux ont justifié leur passage en force en alléguant des fraudes massives lors des élections de 2020, remportées massivement par la LND. Ils ont promis d'organiser un nouveau scrutin en 2023.

Mme Suu Kyi, déjà condamnée à six ans de détention, ne pourra donc pas y participer s'il a effectivement lieu.

AFP

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