L’écrivain-voyageur Olivier Weber au CUM à Nice 2/2
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Peut-on encore vivre l’aventure aujourd’hui? Un parcours à la Joseph Kessel est-il toujours possible? Telle est la thématique de la conférence d’Olivier Weber donnée au Centre universitaire méditerranéen à Nice. Car l’écrivain-voyageur et grand reporter, qui a couvert de nombreux conflits dont il a tiré la matière de ses romans, a publié des livres et réalisé des documentaires d’une richesse étourdissante. De l’Afghanistan à l’Amazonie, des maquis kurdes à l’Himalaya ou à la tribune des Nations unies, Olivier Weber nous livre un précieux témoignage, celui d’un parcours hors norme qui est aussi un itinéraire de liberté.
Titulaire d’un doctorat en droit international sur les frontières, Olivier Weber nous entraîne dans un voyage discontinu de deux ans dans quinze pays et qui déboucha sur l’écriture de Frontières, paru en 2016:
«C’était un voyage dans les montagnes entre l’Iran et l’Irak, en passant par le Pakistan et le Maghreb. Je voulais qu’on m’explique ce qu’est une frontière. Je suis allé à la rencontre des humanitaires, des Médecins sans frontières, mais aussi des passeurs et des migrants, des trafiquants et des policiers corrompus. J’ai fini le livre à la frontière franco-italienne à Vintimille, au pied de mes montagnes, sur l’embouchure de la Roya. Cette aventure-là était à la fois humaine et géopolitique, car l’idée était d’expliquer par les habitants leur vie aux frontières, sachant que toute frontière est politique. Il n’y a pas de frontière naturelle, elle est le fruit d’un rapport de force, d’une guerre ou d’un traité de paix négocié. La frontière entre un pays A et un pays B représente une troisième entité avec des lois différentes, des assouplissements, des trafics tolérés par les États, des flux migratoires, financiers, de produits illicites, de drogue en particulier.»

En plein hiver sibérien, l’écrivain-voyageur a traversé, avec des malvoyants et des guides de haute montagne, le lac Baïkal et affronté un froid glacial pour démontrer que les non-voyants peuvent survivre en milieu hostile et plaider pour leur cause. Cette aventure a donné naissance à un film documentaire, Défi Baïkal, au-delà de la lumière, un message d’espoir et de courage, qui reçut un Prix spécial des rendez-vous de l’aventure et un Prix coup de cœur du FIFAV. «Diffusé sur France 2 et France 3 Côte d’Azur, ce film, explique Weber, montre que ce ne sont pas les aveugles qui nous accompagnent, mais plutôt nous qui les accompagnons, car ils nous ont fait découvrir un autre monde, au-delà du noir, au-delà de la lumière.»
Puis, le voilà en photo avec des femmes kurdes en Irak. Défenseur de la cause kurde, Olivier Weber s’est rendu sur le terrain à la rencontre des femmes courageuses, les peshmergas. Il commente: «Nous sommes à 30 mètres de la ligne de front de Daech. Cette ligne a disparu en 2017. C’étaient les peshmergas, les combattantes de la mort, qui la défendaient alors que les postes étaient gardés par les hommes. C’était une mission humanitaire pour Douleurs sans frontières avec des médecins pour parler de la douleur physique des amputés qui souffrent du membre fantôme (quand on est amputé d’un membre, les nerfs continuent de torturer). Pour moi, l’humanitaire aujourd’hui et celui d’hier avec Médecins sans frontières qui attire beaucoup de jeunes, fait partie de l’aventure.» Il publiera Si je t’oublie Kurdistan dans lequel il rend hommage aux résistants kurdes, notamment aux femmes.
Maître de conférences à Sciences Po, Olivier Weber a inauguré le cours de «Géopolitique des guérillas et des drogues», avant d’être nommé ambassadeur de France itinérant auprès de l’ONU pendant cinq ans, chargé de la lutte contre la traite des êtres humains et de la promotion des droits de l’homme.
«En géopolitique, explique-t-il, il y a trois types d’acteurs sur la scène internationale: les États, les Nations unies et les acteurs non étatiques que sont les humanitaires et la société civile. J’ai effectué une trentaine de missions et j’allais sur le terrain pour rencontrer les ONG. Il y en a des milliers qui pèsent sur le cours du monde par le témoignage et par l’action contre la corruption, le trafic de drogue, le népotisme… La majorité de ces ONG sont créées et dirigées par des femmes. Elles contribuent à améliorer la scène internationale par des pressions sur le droit international. La société civile fait aussi partie d’une forme d’aventure.»


Renouant avec la tradition du grand reportage tel que le concevait Joseph Kessel, c’est au Cambodge qu’il part tourner deux films-reportages pour France 2 et France 5 sur les anciens Khmers rouges. Il en sortira aussi un livre en 2013, Les Impunis, Cambodge: un voyage dans la banalité du mal. Weber projette des photos tout en les commentant:
«Les Khmers rouges ont dirigé le Cambodge de 1975 à 1979 et massacré deux millions de Cambodgiens sur les sept millions. J’ai retrouvé des descendants des Khmers rouges au nord du pays où je suis allé avec un jeune cambodgien dont la famille a été massacrée et qui s’est réfugié en France. C’est un véritable État de non-droit contrôlé par les descendants des Khmers rouges où chacun sait qui sont les anciens bourreaux et dont l’économie repose sur les casinos, la prostitution, le trafic de rubis et le blanchiment d’argent sale, sachant qu’ils avaient interdit la monnaie quand ils étaient au pouvoir. S’y mêlent les victimes et ceux qui les ont traquées. J’ai voulu parler de l’impunité de ces grands massacreurs formés à Paris, Sciences Po et la Sorbonne… C’est très perturbant de tomber sur des massacreurs intelligents qui ont un doctorat et parlent des Mémoires de De Gaulle.»
Puis, il nous emmène en Syrie, lors de sa mission humanitaire sur le front avec des combattants anti-islamistes, il y a deux ans et demi. «Nous sommes sur les rives de l’Euphrate, dit-il, presque dans les marais. De l’autre côté, il y a l’État islamique en Syrie avec, à ses côtés, un État membre de l’Otan: la Turquie! Ce qui est en contradiction avec son rôle en tant que membre de l’Otan.»
Face à un auditoire conquis, Olivier Weber relate son expédition en Amazonie qui a donné naissance à un film de cinéma sur la déforestation, La Fièvre de l’or, présenté à Cannes en 2008. «L’Amazonie est une entité, dit-il, c’est la plus grande forêt tropicale au monde d’une superficie de 5 millions de km2, répartie sur huit pays dont la Guyane française. C’est le règne des sans foi ni loi à cause des ouvriers de l’or et des trafiquants, acteurs de cette déforestation à outrance. Il y a 20.000 km2 de déforestation par an. Nous nous sommes aventurés pendant un mois et demi sur des pirogues, au fin fond de la jungle. Nous avons rencontré des trafiquants d’or et de mercure. Nous avons été menacés de mort plusieurs fois. C’était une volonté de témoigner sur la déforestation et la déculturation des Indiens. Les quatre cents tribus amérindiennes des Amériques nous expliquent qu’un arbre c’est un ancêtre, la manne des esprits. Cette dépossession que l’on voulait évoquer lors de cette aventure était très compliquée à monter.» Il publie également un récit de voyage sur les chercheurs d’or en Amazonie, J’aurai de l’or (Robert Laffont).
Arrêt sur des images aux paysages poétiques similaires: le Kurdistan au nord de l’Irak, l’Afghanistan et le Mercantour. Weber nous livre ses impressions:
«Je me suis rendu compte qu’en allant en Afghanistan ou au Kurdistan, j’ai retrouvé des paysages d’enfance ou d’adolescence. Je pense que cela participe d’un élan. Il y a la littérature, les grands frères, romanciers, poètes et aussi le fait d’avoir marché en montagne. Quand on parle d’aventure, il y a une somme de réflexions, de méthodologies, de préceptes, de thèmes, mais aussi du vécu et son propre vécu depuis l’enfance. Cette vallée n’est pas le Mercantour, mais celle de quelqu’un qui m’est cher, tué deux jours avant le 11 septembre 2001, c’est le commandant Massoud enterré dans une terre qui ressemble à une vallée suisse avec des vergers, un bastion contre les envahisseurs. Malheureusement, elle est tombée aux mains des talibans en 2021.»

L’auteur revient sur ses voyages en Afghanistan et notamment sur la personnalité du commandant afghan, Massoud: «Je suis parti très jeune en Afghanistan pour faire des documentaires et des reportages. J’y ai rencontré Massoud qui m’a toujours fasciné. Il avait un charisme naturel. C’est quelqu’un de très simple qui parlait à ses hommes de poésie persane et de littérature française. S’il n’avait pas été assassiné, toute la région connaîtrait un sort différent. C’était la 42e tentative d’assassinat et la probabilité qu’il soit assassiné le 9 septembre 2001 était infime, car il était protégé par la CIA.» En 2013, il tourne un film, La Confession de Massoud, qui révèle un pan de l’Histoire afghane et la volonté de créer un islam des Lumières.
Olivier Weber fut l’un des rares Occidentaux à pouvoir approcher les talibans au sujet desquels il publia plusieurs ouvrages: Le Faucon afghan: un voyage au pays des talibans, La Mémoire assassinée et Éternités afghanes. Il projette une photo et l'accompagne, sur le ton de la plaisanterie, comme pour clôturer le cycle de l’aventure, d'une interrogation rhétorique: «Que font les talibans dans ces champs à côté de Kandahar, la ville sainte, la capitale religieuse de l’Afghanistan? Ils récoltent de l’opium. Nous avions des discussions sur la pureté et je leur parlais d’hypocrisie. Avec 7 à 10 kilos d’opium, ils produisent 1 kilo d’héroïne qui vaut 7.000 euros. C’était une prise de risque…»
 
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