L’atroce double explosion du port de Beyrouth, survenue le 4 août 2020, a bouleversé et inspiré de nombreux artistes. Parmi eux, le Libanais Pierre Naggear, grand-père d’Alexandra Naggear, jeune victime de cette tragédie, auteur de la chanson Dans le port de Beyrouth, ou encore Chrystelle qui partage avec Ici Beyrouth, en avant-première, sa chanson Alors je reste, qui sera lancée le 30 août.

Des artistes internationaux, tels que Prokop, auteur-compositeur franco-tchèque, ont également réagi.
Beirut in the Air (A City Levitating) ou Beyrouth dans les airs (Une ville en lévitation), la chanson de Prokop, sera disponible sur les plateformes de streaming à l’occasion de la troisième commémoration de la catastrophe. Accompagnée d’une vidéo réalisée par l’artiste libanaise basée aux États-Unis Balsam Abo Zour, cette chanson offre un récit poignant.
https://www.youtube.com/watch?v=mfAPmCcUvyA
Les sources d’inspiration 
Inspiré par Italo Calvino, Prokop dresse un tableau onirique de la capitale libanaise et de sa population martyrisée. Il fustige également les conséquences de la tragédie, le blocage de l’enquête sur l’explosion, les pratiques oppressantes d’un État policier qui musèle toute voix libre, et l’interminable crise économique qui plonge les Libanais dans la misère. Il rend aussi hommage à Fairouz et Omar Korchid, tout en admirant la résilience du peuple libanais, porteur de l’étendard de la liberté.
Lors d’une entrevue avec Ici Beyrouth, Prokop révèle qu’il n’a «jamais vécu au Liban, contrairement à sa sœur qui a eu la chance de quitter le pays quelques mois avant l’explosion». Sa rencontre avec des artistes et des journalistes libanais lors d'une exposition organisée par Balsam Abo Zour l’a beaucoup marqué. Ces derniers, désemparés en voyant les images de leur pays dévasté, se sentaient impuissants depuis l’étranger.
Concernant ses sources d’inspiration, Prokop évoque Les Villes invisibles d’Italo Calvino. «Je voyais Beyrouth comme l’une des villes invisibles qui est, en réalité, une ville merveilleuse.» Il a aussi été influencé par les écrivains-journalistes libanais Caroline Hayek et Charif Majdalani, notamment Beyrouth 2020: journal d’un effondrement de ce dernier. Il prête d’ailleurs son prénom à un personnage de son texte:
On est le mardi 4 août 2020
Charif tient des fruits dans la main
La terre se met à faner sous ses pieds
Il fait tomber des fruits sur le sol
Et ce dont il se souvient ensuite,
Ce sont 208 morts dans les rues de Beyrouth
Et puis 6000 blessés, certains ne s’en remettront pas
Une ville crie

Les leitmotivs de la dabké et du train
Il est intéressant de noter que les paroles et la musique sont indissociables de la vidéo de Balsam. Cette dernière est portée par la puissance et la précision de l’animation. Un élément particulièrement notable est le leitmotiv des danseurs de dabké, qui vibrent au rythme des blues.

Bien que Balsam ait trouvé le texte touchant, explique Prokop, elle a choisi de ne pas le traduire mot pour mot. Il note que l’association de la dabké à la musique blues peut sembler singulière; cependant, l’intention était d’introduire un élément d'allégresse, aussi infime soit-il. Il souligne en outre que Balsam croit profondément que la dabké libanaise, exécutée main dans la main et épaule contre épaule, matérialise de manière symbolique ce qui unifie un peuple. Elle peut simultanément magnifier le bonheur d’exister, tout en retraçant une narration de souffrance et de dissension. «La dabké incarne la solidarité, la communion et l’unité. Il est désormais temps de se rassembler pour reconstruire», ajoute Prokop.
Un autre motif récurrent, celui du train, symbolise pour Prokop l’imaginaire collectif autour de la maîtrise du territoire. Il a été surpris d’apprendre qu’une entreprise de chemin de fer existait toujours au Liban malgré l’absence de trains en circulation depuis des décennies.
Déjà les gens étaient descendus dans la rue
Dans l’idée qu’ils pourraient changer les choses
Ils réclamaient un nouveau régime, réclamaient la justice
Que quelque chose change dans cette société corrompue
Mais le service public des chemins de fer
Continue d’opérer dans un pays sans trains
Cela fait maintenant trente ans
Que le dernier est entré en gare
Et s’est arrêté de siffler

Prokop ajoute: «Habituellement, j’écris mes chansons en moins d'un quart d’heure. Pour celle-ci, il m’a fallu six mois ou un an pour savoir exactement ce que je voulais dire et comment le dire». Sa plus grande satisfaction serait de voir «cette chanson apporter du réconfort aux Libanais, qu’ils se sentent écoutés et compris», confie-t-il.
Dans les derniers couplets, on retrouve la quintessence du message de Prokop:
Allez fleurir leurs tombes
Pour que fleurisse le sang
Les mots feront surgir de nouveaux auteurs
Changeront les cimetières en portiques de liberté
Allez fleurir leurs tombes
Et mettez du Fairouz,
Écoutez Omar Khorshid Beyrouth est dans les airs
Ramenez-la sur la terre.
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