
Dans La Blessure qui guérit, Rony Mecattaf transforme le traumatisme de l’explosion du port de Beyrouth en chemin de résilience intérieure. Ce récit, fruit de trois ans d’écriture, mêle introspection, spiritualité et expérience thérapeutique au service de la guérison. Entretien.
En août 2020, Beyrouth a été soufflée par une explosion apocalyptique. Parmi les blessés, Rony Mecattaf, psychothérapeute, qui perd l’usage de son œil droit. Mais ce qui aurait pu être une tragédie muette devient le point de départ d’un récit puissant et atypique: La Blessure qui guérit, publié en mars 2025 aux éditions Erick Bonnier.
Plus qu’un simple témoignage de survie, ce livre est une méditation incarnée sur le traumatisme, sur les chemins de la transformation intérieure, et sur la possibilité d’un sens nouveau quand tout semble détruit. Rony Mecattaf, connu au Liban pour son approche intégrative de la psychothérapie, mêle ici les récits de son corps blessé, de ses pratiques de soin – qu’elles soient chamaniques, psychédéliques, méditatives ou analytiques – et de son regard sans œillère sur la condition humaine.
À quel moment une blessure peut-elle guérir plutôt que détruire? À cette question, Rony Mecattaf répond avec lucidité: «Autant la violence et l'immédiateté de la blessure en étaient les caractéristiques, autant son intégration a été longue. Apprendre à vivre avec la blessure, accepter le côté permanent du handicap et toutes ses conséquences, tout cela a nécessité plusieurs mois. Ce n'est qu'au bout de ce processus qu'une autre lecture de ce qui m'était arrivé a pu se faire. Cette idée un peu saugrenue de l'opportunité (et même du cadeau) que m'offrait la blessure s'est manifestée et a grandi en moi graduellement, et a transformé durablement mon expérience.»
Dans les instants mêmes de l’explosion, une émotion inattendue s’impose: non la peur, mais la curiosité. «La peur est un sentiment qui a souvent fait défaut dans ma vie, et je ne pense pas pouvoir l'expliquer. Une question de gènes peut-être? Ou une arrogante impression de se sentir toujours protégé... Toujours est-il que ce jour-là, la peur était beaucoup moins présente que la curiosité qui m'a fait rester ainsi exposé plutôt que de trouver refuge, ce qui aurait été sage en l'occurrence!»
Comment articuler psychothérapie, chamanisme, méditation et psychédéliques? Là encore, Mecattaf ne cherche pas à rationaliser, mais à témoigner d’un chemin de vie: «Ce livre est principalement une réflexion et un témoignage personnels. Je ne prétends pas lier les différents courants que j'y explore autrement que par le fait qu'ils ont tous activement participé à mon expérience de vie (professionnelle autant que personnelle) et m'ont enrichi. Je dois avouer d'ailleurs que, par moments, ils ont pu "clasher" à l'intérieur de moi, ou bien m'ont obligé à faire de grands écarts lorsqu'ils semblaient se contredire ou tracer des chemins parallèles. Mais j'assume totalement aujourd'hui qu'ils font – avec d'autres modalités – partie de ce que je propose. Disons que je me suis éloigné des structures parfois rigides de telle ou telle approche pour inventer un "être au monde" plus en harmonie avec ce que je suis.»
Le temps de l’écriture – trois années – a été formateur. Il a permis une maturation, un approfondissement: «Je suis aujourd'hui reconnaissant à cette longueur, à cette lenteur qui s'est imposée à moi. Je suis plutôt impatient par nature. Si je m'étais arrêté à la première version terminée dix-huit mois après l'explosion, ce livre aurait été moins "vrai" dans le sens où j'y faisais plus attention à ce que je disais. Je pense – j'espère – que ce temps aura contribué à plus d'authenticité.»
L’écriture devient ici une thérapie en soi. Et à travers elle, Mecattaf offre aux lecteurs bien plus qu’un récit personnel. Il propose une voie, fragile mais tenace, pour faire de nos ruines un espace d’éveil. À l’heure où le Liban continue de panser ses plaies, La Blessure qui guérit fait entendre une voix singulière, lucide et apaisée. Une voix qui ne prétend pas détenir la solution, mais qui sait écouter ce que la souffrance révèle – en nous et autour de nous.
Au fil des pages, on sent que ce livre s’adresse à tous ceux qui, un jour, ont été foudroyés. Ceux qui cherchent un sens après la perte. Ceux qui refusent de rester figés dans le rôle de la victime. En ce sens, le récit de Mecattaf est profondément politique, au sens premier du terme puisqu’il parle du lien à soi, aux autres, à la cité. Il invite à ne pas fuir, mais à intégrer. À ne pas oublier, mais à transmuter. Un œil perdu, mais une vision agrandie. Voilà ce que nous laisse entrevoir ce livre. Et voilà pourquoi il mérite d’être lu.
Une rencontre-dédicace avec l’auteur est prévue à Beyrouth, le 6 mai à 17h, au café No Chef in The Kitchen, à Saifi.
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