Les regards des deux petites filles se sont croisés en me voyant sortir de mon immeuble à Gemmayzé. Je dirais qu'elles avaient sept ans, à en juger par le fait qu'il leur manquait leurs deux dents de devant. Les gamines étaient crasseuses. La peau barbouillée se mélangeait à leurs vêtements incolores, qui semblaient collés à leurs corps avec une matière grise.
J’avançais sur la rue Gouraud. Comme c'est le cas dans de nombreux quartiers de Beyrouth, les trottoirs sont étroits et inégaux, on ne peut donc pas échapper aux mendiants qui envahissent la ville – une invasion de réfugiés qui ont apparu avec le début de la guerre civile syrienne. J'ai essayé de marcher plus vite, mais les deux enfants exécutaient une sorte de danse autour de moi, me coinçant entre les murs des bâtiments et les voitures garées au bord de la rue et même sur les trottoirs. J'ai frémi de dégoût à l'idée d'être abordée par une petite main sale. Aucune ne m'a touchée.
L'une des fillettes répétait sans cesse quelque chose qui ressemblait à «echterini», qui signifie en arabe «achète-moi». J’étais tiraillée entre ma curiosité de vouloir entendre ce qu'elle disait et l’effort de maintenir l'apparence que les clochards n'existaient pas – un stratagème commun pour tenter de décourager les mendiants.
J’étais perturbée. Sûrement qu’elle ne disait pas «achète-moi». Peut-être qu'elle marmonnait autre chose et je l'entendais mal parce que ses deux dents de devant manquaient? Mais quoi? Serait-ce «esterini», qui signifie «protège-moi»? Cette enfant me demandait-elle de l'acheter… ou de la protéger?
Un sentiment d'irréalité m’envahit. Mais j'avais atteint ma destination, Chez Paul, où j’allais rencontrer une amie. Je suis entrée dans le café. Les gamines ne m’ont pas suivie. J’avais le sentiment que ma rencontre avec ces enfants ne pouvait pas se terminer ainsi. Ayant fait signe à mon amie à l'intérieur, j’ai demandé au serveur deux croissants au chocolat, en indiquant les enfants dont les silhouettes étaient visibles à l'extérieur, et qui avaient déjà choisi une autre cible. Le serveur a mis chaque croissant dans un sac en papier et les a livrés.
En attendant, je guettais leur réaction. Il n'y en eut pas. Elles ont chacune ouvert son sac, pris une bouchée, puis remis le croissant dans le sac. Elles n'ont même pas jeté un coup d'œil dans ma direction.
Le lendemain, assise sur mon balcon, je regardais la montagne au loin, mon crayon et mon carnet sur la table à mes côtés. Je tentais de comprendre pourquoi l’incident de la veille m’avait à ce point troublée, tout en étant convaincue qu'il n'y avait pas matière à être bouleversée. À ce moment-là, j’ai entendu les voix des petites mendiantes. Elles dansaient autour d’une femme qui portait un bébé dans ses bras en chantant: «Eshterini! Esterini!»
Des enfants exploitées et infortunées? Sans doute. Et pourtant c’était clair que la danse des deux petites filles était franchement joyeuse.
Lire aussi : Négociations à Beyrouth
J’avançais sur la rue Gouraud. Comme c'est le cas dans de nombreux quartiers de Beyrouth, les trottoirs sont étroits et inégaux, on ne peut donc pas échapper aux mendiants qui envahissent la ville – une invasion de réfugiés qui ont apparu avec le début de la guerre civile syrienne. J'ai essayé de marcher plus vite, mais les deux enfants exécutaient une sorte de danse autour de moi, me coinçant entre les murs des bâtiments et les voitures garées au bord de la rue et même sur les trottoirs. J'ai frémi de dégoût à l'idée d'être abordée par une petite main sale. Aucune ne m'a touchée.
L'une des fillettes répétait sans cesse quelque chose qui ressemblait à «echterini», qui signifie en arabe «achète-moi». J’étais tiraillée entre ma curiosité de vouloir entendre ce qu'elle disait et l’effort de maintenir l'apparence que les clochards n'existaient pas – un stratagème commun pour tenter de décourager les mendiants.
J’étais perturbée. Sûrement qu’elle ne disait pas «achète-moi». Peut-être qu'elle marmonnait autre chose et je l'entendais mal parce que ses deux dents de devant manquaient? Mais quoi? Serait-ce «esterini», qui signifie «protège-moi»? Cette enfant me demandait-elle de l'acheter… ou de la protéger?
Un sentiment d'irréalité m’envahit. Mais j'avais atteint ma destination, Chez Paul, où j’allais rencontrer une amie. Je suis entrée dans le café. Les gamines ne m’ont pas suivie. J’avais le sentiment que ma rencontre avec ces enfants ne pouvait pas se terminer ainsi. Ayant fait signe à mon amie à l'intérieur, j’ai demandé au serveur deux croissants au chocolat, en indiquant les enfants dont les silhouettes étaient visibles à l'extérieur, et qui avaient déjà choisi une autre cible. Le serveur a mis chaque croissant dans un sac en papier et les a livrés.
En attendant, je guettais leur réaction. Il n'y en eut pas. Elles ont chacune ouvert son sac, pris une bouchée, puis remis le croissant dans le sac. Elles n'ont même pas jeté un coup d'œil dans ma direction.
Le lendemain, assise sur mon balcon, je regardais la montagne au loin, mon crayon et mon carnet sur la table à mes côtés. Je tentais de comprendre pourquoi l’incident de la veille m’avait à ce point troublée, tout en étant convaincue qu'il n'y avait pas matière à être bouleversée. À ce moment-là, j’ai entendu les voix des petites mendiantes. Elles dansaient autour d’une femme qui portait un bébé dans ses bras en chantant: «Eshterini! Esterini!»
Des enfants exploitées et infortunées? Sans doute. Et pourtant c’était clair que la danse des deux petites filles était franchement joyeuse.
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