Mission de plus en plus compliquée pour l’envoyé spécial du président français pour le Liban, Jean-Yves Le Drian. La lettre qu’il a récemment adressée aux députés et chefs de file politiques pour leur demander d’exposer leur vision des qualités du nouveau président et des priorités de son sexennat en a surpris plus d’un. Dans la forme et sur le fond. Notamment dans les milieux de l’opposition.
La réponse des députés de cette coalition anti-Hezbollah transcende cependant la missive proprement dite. Elle se concentre sur l’initiative française, vue cependant sous le prisme de la confrontation annoncée avec le Hezbollah.
Pour certains membres de l’opposition, la réponse à la lettre, maladroite dans la forme, de M. Le Drian, n’est pas l’objectif en soi. C’est l’initiative qui les intéresse, et la façon dont une proposition de règlement pourrait être amorcée. Car, pour le camp souverainiste, il est hors de question de reproduire les erreurs du passé. C’est-à-dire accepter, au nom d’une realpolitik, des compromis qui ne feront que prolonger un état de fait devenu insupportable, voire fatal pour le pays.
«Nous ne répondrons pas par écrit à la lettre, mais il y a d’autres moyens de le faire», a déclaré Salim Sayegh, député Kataëb, à Ici Beyrouth.
Positifs, mais méfiants
«Nous ne rejetons pas l’initiative française, nous sommes positifs, mais méfiants», dit à son tour Georges Okais, député du bloc des Forces libanaises, à Ici Beyrouth.
Selon M. Sayegh, la procédure retenue pour réagir à la lettre de M. Le Drian sera décidée d’un commun accord avec toutes les composantes de l’opposition «afin de donner du poids à la démarche française». Car, en dépit des réserves exprimées sur la forme, celle-ci reste attachée aux efforts déployés par Paris pour essayer de trouver une solution au blocage de la présidentielle. « Il y aura donc une réponse. Il y va de nos valeurs et de nos intérêts communs en tant que Libanais. Nous nous comporterons avec respect », continue M. Sayegh.
Dialogue bilatéral
Les forces de l’opposition s’accordent à dire que, pour que l’initiative française puisse progresser, il est important que M. Le Drian procède à des rencontres bilatérales avec toutes les parties. «S’il arrive à trouver un dénominateur commun et que sa médiation est couronnée de succès, on ira à l’Assemblée pour voter», poursuit Georges Okais.
«Il faut un dialogue bilatéral entre lui (Le Drian) et les parties concernées. Il va recueillir des réponses claires sur ce qui peut constituer un dénominateur commun entre les parties libanaises», renchérit Salim Sayegh.
Toutes évoquent la dynamisation des institutions, l’édification d’un État fort et la réalisation de réformes pour un avenir meilleur, mais toutes n’ont pas la même conception de ces notions. L’axe de la Moumanaa les aborde en fonction de ses propres intérêts stratégiques et de manière à maintenir son hégémonie sur le pays. Ce que la coalition politique anti-Hezbollah est déterminée à combattre farouchement.
Selon le député Kataëb, c’est le communiqué de l’opposition, publié mercredi, qui donne le ton général quant à l’étape à venir.
L’Assemblée a échoué à accomplir son devoir et à assurer ses responsabilités. «La Chambre s’est soumise aux injonctions données par le chef de la République islamique au Liban, Hassan Nasrallah. C’est pour cela que nous ne pouvons pas aller vers un dialogue en dehors de la Constitution et des lois qui nous protègent», selon M. Sayegh. «La Constitution nous protège d’un abus de force, sinon le dialogue sera synonyme d’une programmation de la soumission totale au Hezb», avertit le parlementaire.
La France pourra-t-elle ne pas tenir compte de ces éléments? Difficile si son souci premier est d’obtenir un déblocage de la présidentielle pour aider le pays à s’engager sur la voie d’un redressement réel. Ce qui fait dire à certains que la clé d’un règlement, un vrai, réside à Téhéran, et que c’est dans cette direction que M. Le Drian devrait concentrer ses efforts.
Car, depuis la fin du sexennat de Michel Aoun et le début de la vacance présidentielle, l’opposition a été la seule à présenter des candidats et à se rendre à toutes les séances électorales, alors que le Hezbollah et ses alliés n’ont fait que provoquer des défauts de quorum et recourir à toutes sortes de manœuvres pour essayer, ensuite, d’imposer leur candidat.
«Nous n’allons pas faire de concessions comme en 2016 pour aboutir au même statu quo. C’est un message clair à faire passer à la communauté internationale: nous ne referons plus les choses de la même manière», insiste Georges Okais.
Jeudi, dans un entretien télévisé, M. Okais avait même appelé à un début de désobéissance civile. Il avait invité les commerçants de Zahlé à ne pas payer d’impôts. «Dans certaines régions, les institutions ne possèdent pas de numéro financier et l’État est donc absent», avait-il déploré, en allusion aux régions sous contrôle du Hezbollah.
Les députés de l’opposition avaient annoncé le 16 août un plan de confrontation politique avec le Hezbollah en déclarant qu’il était temps de «contrecarrer la mainmise du Hezbollah sur le pays».
Par la même occasion, ils avaient adressé un message à la France, expliquant que tout dialogue avec cette formation doit être mené par le nouveau président. Dans leur communiqué, ils avaient salué «toute initiative venant des amis du Liban», en référence claire à la France, tout en soulignant l’inutilité d’un dialogue avec le Hezbollah.
Des réactions violentes
La lettre de M. Le Drian est parvenue au Parlement le lendemain. Dans sa missive, l’émissaire français sollicite des réponses synthétiques à deux questions: les chantiers prioritaires pour le mandat du Président et les qualités et les compétences dont doit disposer le futur président pour les mettre en œuvre.
À sa réception, la lettre a suscité des réponses assez violentes. Député du changement, Waddah Sadek, a été très virulent. Il a annoncé clairement sur son compte X qu’il n’y répondrait pas, «refusant une atteinte à la souveraineté du Liban et de son Parlement».
Le président de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, Georges Adwane (Forces libanaises), a écrit sur son compte X que la lettre constituait «un précédent en contradiction avec les règles les plus élémentaires (de la diplomatie) ainsi que du principe de souveraineté nationale qui est la pierre angulaire de la relation du Liban avec les pays amis, dont la France».
Le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a aussi critiqué, sur son compte X, la formule de la lettre sans toutefois s’y attaquer frontalement. «Il y a peu de pays qui s’intéressent encore au Liban, nous ne cherchons pas à attaquer qui que ce soit» a-t-il ajouté, cependant que le député Marwan Hamadé (bloc du PSP) jugeait dans une interview, vendredi, à la Voix de tout le Liban, que «les réactions violentes à la lettre sont injustifiées, car elles dépassent la lettre elle-même». «Il est nécessaire que les choses se calment», a-t-il précisé. Probablement pour éviter que la France ne renonce à son initiative.
Il va sans dire, cependant, que, lettre ou pas, réponse écrite ou pas, les différentes parties de l’opposition ne sont plus prêtes à dialoguer pour le plaisir de le faire. Elles réclament l’élection d’un président de la République avant toute chose.
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