Selon un rapport de l’Office national du Litani (ONL), les taux de contaminants présents dans l’eau du fleuve sont des milliers de fois supérieurs aux normes fixées par l’Organisation mondiale de la Santé. Ces quantités alarmantes présentent un risque majeur pour la santé et l’environnement, alors que cette eau est toujours utilisée pour l’irrigation.
La salubrité de l’eau d’irrigation dans la Békaa continue de susciter des interrogations à l’ombre des informations contradictoires relayées à ce sujet. Il y a quelque temps, le président de l’Association des agriculteurs de la Békaa, Ibrahim Tarchichi, a assuré que l’eau d’irrigation, notamment celle utilisée pour irriguer les légumes et les légumineuses, est «salubre», affirmant que «les produits agricoles irrigués avec une eau insalubre sont saisis et détruits par les autorités concernées».
Malheureusement, ces propos sont contredits par un rapport récent de l’Office national du Litani qui relève l’insalubrité de l’eau utilisée pour l’irrigation d’un champ de pommes de terre, dans la Békaa. D’après ce rapport, cette eau ne répond pas aux normes recommandées et serait aussi contaminée que les eaux usées. Elle contient, entre autres, «des quantités alarmantes de coliformes fécaux (une bactérie communément présente dans les selles humaines) allant de 350 à plus de 10.000 colonies/250 ml» alors qu'elles ne doivent pas dépasser les 100 colonies/250 ml d’eau, selon les normes fixées par l’Organisation mondiale de la Santé.
«Ce champ de pommes de terre n’est pas une exception», affirme à Ici Beyrouth Joseph Yaghi, enseignant et chercheur en bactériologie à la faculté des sciences de l’Université Saint-Joseph. «C’est le cas de tous les terrains agricoles de la Békaa. Ils sont tous irrigués par les eaux du Litani qui sont polluées, principalement par les eaux usées provenant des camps des réfugiés et qui sont déversées dans les affluents du fleuve, rendant son eau toxique.»
L’Office national du Litani mène une campagne sans relâche pour limiter autant que possible le déversement des eaux usées dans le lit du fleuve. Il reste cependant beaucoup à faire au niveau de la lutte contre les sources de pollution de la rivière.
Aux eaux usées, s’ajoutent ainsi les polluants chimiques qui proviennent des diverses usines de la région et qui sont également déversés dans le Litani. Plomb, zinc, arsenic, mercure, cadmium, chrome, cuivre, nickel… autant de métaux lourds, dangereux pour la santé, qui contaminent les eaux du fleuve.
«Les contaminants bactériens, bien que très dangereux, peuvent être éliminés en stérilisant les légumes avec des pastilles désinfectantes effervescentes ou une solution d’eau de javel diluée (5ml d’eau de javel pour 1 litre d’eau), précise Joseph Yaghi. Les métaux lourds constituent par contre une source d’inquiétude. Ils sont absorbés par les plantes et consommés par l’être humain. Ils ne peuvent pas être éliminés et intoxiquent l’organisme peu à peu.»
Une double menace pour la santé
Les symptômes dus à une intoxication aux métaux lourds n’apparaissent qu’à un stade avancé. «Ces substances peuvent engendrer une fatigue chronique, des problèmes de concentration et de mémoire, ainsi qu’une baisse des capacités cognitives», explique à Ici Beyrouth Jad Habib, spécialiste en médecine interne. «Elles augmentent aussi le risque de développer un cancer, poursuit-il. Une fois la présence de métaux prouvée, il faut immédiatement arrêter l’exposition et commencer un traitement de désintoxication.»
Plusieurs examens permettent d'identifier la présence de métaux lourds dans le corps humain, mais les plus utilisés sont les examens de sang et d'urine, les examens de cheveux et l'imagerie médicale (CT-scan).
Une contamination microbiologique est caractérisée notamment par une diarrhée, des vomissements, des nausées, des maux de tête, de la fièvre et de la fatigue. Une telle infection peut provoquer une déshydratation, un déséquilibre de la flore intestinale et du cycle du sommeil. «En cas d’infection bactérienne ou virale, il est généralement déconseillé de recourir à l’automédication, prévient le Dr Habib. Il ne faut surtout pas prendre des antibiotiques sans un avis médical, pour éviter la résistance bactérienne. Il faut toujours se référer à son médecin traitant.»
Défis de la décontamination du Litani
«Un plan a été élaboré pour nettoyer le Litani, mais il a vite été abandonné, déplore Joseph Yaghi. Le problème réside dans le fait qu’il est pour le moment impossible de tarir les sources de pollution. Par conséquent, la désinfection de l’eau du fleuve ne servirait à rien.»
Il faut cependant préciser que si cela est impossible, c’est parce que l’État brille par son absence à ce niveau, alors qu’une intervention de ses services, notamment judiciaires, est indispensable pour tarir les sources de pollution et sanctionner sévèrement les responsables. L’ONL n’est pas en mesure d’entreprendre cette mission titanesque sans le soutien affirmé et durable des organes compétents de l’État.
«Tant que l’État n’agit pas pour arrêter la contamination du Litani, toutes les initiatives pour rendre l’eau salubre seront inutiles, insiste M. Yaghi. Chaque été, des centaines de poissons échouent sur les rives du lac Qaraoun, intoxiqués par les métaux lourds et les cyanobactéries. Aucune action n’a été envisagée.»
Décontamination
Le processus de décontamination chimique consiste à arrêter les sources de pollution et laisser le flux d’eau éliminer les molécules toxiques. Ce qui devrait prendre un à deux ans. Pour la décontamination biologique, il faut utiliser des microorganismes bénéfiques à l’écosystème qui se chargeront d’éliminer ceux qui lui sont nocifs. Mais, il faudrait surtout – on n’arrêtera pas de le répéter – mettre fin à la contamination de l’eau du fleuve par les eaux usées pour que l’opération réussisse.
Les cyanobactéries sont des organismes photosynthétiques qui utilisent l’énergie solaire pour produire leurs molécules organiques, comme les plantes. En été, les conditions de température et d’ensoleillement sont favorables à leur développement, ce qui provoque leur regroupement à la surface de l’eau en une membrane opaque qui bloque les rayons du soleil. Celle-ci a également la capacité de convertir l’azote de l’air en ammonium et en nitrates, des nutriments assimilables par les plantes, mais très toxiques pour les poissons.
Appel contre les ponts tubulaires
Comme si ces risques à eux seuls ne suffisaient pas, il a été récemment question de la construction de ponts tubulaires dans la région. Ces ponts permettent à un pipeline de traverser des rivières. Un projet auquel s’oppose l’Autorité nationale du Litani qui a adressé récemment une lettre aux ministères de l’Énergie, de l’Intérieur et des Travaux publics, ainsi qu’à la direction générale de la présidence du Conseil des ministres et au directeur général des Forces de sécurité intérieure, Imad Osman, leur demandant «de ne pas approuver les permis de construction de ces ponts tubulaires en raison des risques qu’ils posent pour l’environnement aquatique, ainsi que pour la sécurité et la santé publiques».
Les ponts tubulaires présentent des risques environnementaux, tels que la perturbation des habitats naturels et le blocage éventuel de la migration des poissons. De plus, la construction et l’utilisation de ces ponts peuvent entraîner des déversements de matériaux de construction et de véhicules, ce qui peut affecter la qualité de l’eau du fleuve et nuire à la vie aquatique. L’Autorité nationale du Litani a également demandé que des conditions et des spécifications techniques soient imposées aux constructions de sorte à garantir le bon entretien des rives du fleuve, la préservation de la vie végétale et animale, tout en respectant l’équilibre des systèmes environnementaux aquatiques.
Lire aussi
Commentaires