Crise des déchets: vers une reprise de l’épisode de 2015?
©Ici Beyrouth

Le spectre de la crise des ordures de 2015 a semblé, le temps de quelques heures, planer à nouveau sur le Liban. Mardi matin, les camions de la société Ramco ont interrompu la collecte des déchets dans les régions du Mont-Liban, du Kesrouan et de Beyrouth, en raison de la fermeture soudaine, aux premières heures de cette même journée, de la décharge de Jdeidé. Il a fallu que le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) intervienne, ordonnant la réouverture temporaire du site pour que Ramco revienne sur sa décision et reprenne ses activités. Ce site a, rappelons-le, atteint sa capacité maximale de stockage.

S’il a rapidement été traité – quoique relativement –, l’incident a toutefois suffi à rappeler de douloureux souvenirs. Ceux de monceaux d’ordures qui s’amoncellent sur les trottoirs, mais aussi ceux d’un pays encore et toujours incapable de traiter ses propres déchets de manière durable.

Que s’est-il réellement passé mardi? Quel est l’état des lieux de la gestion des déchets au Liban actuellement? Quelle est la nature du problème? Où en est la législation? Et surtout, que prévoit l’État pour éviter une nouvelle crise semblable à celle de 2015, d’autant que les contrats avec Ramco et CityBlu, les sociétés chargées de la collecte des déchets, arrivent à échéance fin 2026?

Une situation critique sur le terrain

Les équipes de travail décrivent une réalité alarmante: «Nous avons alerté à plusieurs reprises les autorités sur la saturation du site. Quand une décharge ferme comme ce fut le cas pour celle de Jdeidé, ne serait-ce que pour quelques heures, c’est la chaîne entière qui se bloque: les camions restent immobilisés, les déchets s’accumulent dans les rues et la colère des habitants monte.»

Si ces équipes, chargées de la collecte des déchets, assurent à Ici Beyrouth avoir toujours maintenu leurs services «dans la mesure du possible», l’environnement de travail «devenu ingérable» est pointé du doigt: sites instables, retards de paiement, décisions politiques fragmentées. Avec une conjoncture pareille, «aucune entreprise ne peut faire des miracles», s’insurge-t-on.

Se prononçant sur l’incident de Jdeidé, un responsable proche du dossier, contacté par Ici Beyrouth, évoque «un système à bout de souffle». «La décharge de Jdeidé est saturée», se lamente-t-il. «Elle n’a plus la capacité d’absorber les volumes générés par les régions qu’elle dessert. Nous opérons dans des conditions d’urgence, avec des infrastructures qui n’ont pas été conçues pour durer», lance-t-il.

Sur la possibilité d’une extension de la décharge, une vague d’opposition est observée depuis mardi dernier. Le président du conseil municipal, Auguste Bakhos, signale: «Nous refusons tout agrandissement et travaillons afin de trouver des solutions durables. La priorité est la création d’un centre de traitement capable de gérer 300 tonnes par jour dans un délai d’un an et demi.» Une thèse que soutient le député Razi el-Hage interrogé par Ici Beyrouth: «Nous refusons toute extension de cette décharge tant qu’aucune alternative claire n’est proposée. L’État n’a présenté aucun plan de substitution: il se contente de prolonger celui déjà existant, comme pour gagner du temps.»

Il faut dire que le Liban produit environ 5.000 à 7.000 tonnes de déchets par jour. Bien que la capacité théorique de traitement soit de 6.390 tonnes par jour, seules 440 tonnes sont effectivement traitées, soit moins de 8% de la production.

Le reste des déchets est soit déposé dans des décharges à ciel ouvert, soit brûlé ou abandonné, contribuant à la dégradation environnementale et sanitaire du pays. Le nombre de décharges sauvages dépasse 1.000 sites et certaines installations atteignent entre 3 et 36 mètres de hauteur, avec un risque élevé d’incendies, d’émanations toxiques et de contamination des eaux souterraines.

Une gouvernance défaillante et des responsabilités floues

Le principal obstacle à une gestion efficace des déchets reste institutionnel. En 2018, le Parlement adoptait la loi sur la gestion des déchets solides. Plus tard, en 2025, la commission parlementaire des Finances et du Budget approuve une loi permettant aux municipalités de collecter et de traiter les déchets en échange d’une redevance symbolique. Ces textes sont restés lettre morte.

Interrogé par Ici Beyrouth à ce sujet, le député Razi el-Hage, constate que ce vide institutionnel est aggravé par des responsabilités floues: «La loi donne à la ministre de l’Environnement la charge du dossier. Or, celle-ci affirme ne pas en avoir la responsabilité. Les municipalités, quant à elles, n’ont toujours pas reçu le feu vert juridique pour imposer une somme symbolique aux citoyens souhaitant que leurs déchets soient collectés et traités».

Dénonçant le retard dans la formation de l’Autorité de régulation des déchets ménagers en charge d’élaborer un plan global pour le secteur et de gérer le dossier des déchets solides, Razi el-Hage insiste: «En attendant une réforme structurelle, le Liban demeure prisonnier d’un cycle de crises répétées.» D’autant plus que les contrats liant les sociétés de collecte des déchets, Ramco et CityBlu, arrivent à échéance fin 2026. En attendant, le Conseil des ministres qui devrait se tenir dans l’après-midi de jeudi, entend se pencher sur la question des déchets, comme dernière frontière de l’effondrement...

 

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