Pour célébrer le centenaire de la naissance de Maria Callas, l’organisation culturelle grecque Lykofos présente l'opéra Norma de Vincenzo Bellini, les 28 et 30 août à l'Odéon d'Hérode Atticus, avec la Libanaise Joyce el-Khoury et le Grec Mario Frangoulis dans les rôles principaux, honorant ainsi la passion et le drame de l'œuvre. Le choix de cet opéra souligne le lien intime entre Callas et Norma, tandis que le défi de l'interprétation de ce rôle exigeant par El-Khoury suscite l'attente et l'excitation.
Afin de marquer le centenaire de la naissance de Maria Callas (1923-1977), une figure emblématique, quoique sujette à controverse, de la scène lyrique du XXe siècle, la Grèce se pare de ses plus beaux atours. Aux crépuscules des 28 et 30 août, lorsque les derniers rayons d'or effleureront délicatement les flots argentés de la mer Égée, les divinités grecques délaisseront leurs trônes d'azur, perchés sur les sommets de l'Olympe, pour siéger au sein même de l'Odéon d'Hérode Atticus. Dans ce lieu empreint de solennité, baigné dans l'ombrage protecteur du Théâtre de Dionysos et adossé aux pieds (autrefois) vénérés de l’Acropole, elles se rassembleront pour honorer de leur présence un spectacle d'une grande envergure. Une distribution à la hauteur de l’enjeu s’efforcera, en effet, de donner chair à l’intrigue et aux personnages de l'œuvre maîtresse de Vincenzo Bellini (1801-1835): Norma. À cette occasion, le réalisateur français Tom Volf prendra les rênes de la mise en scène, tandis que la baguette du chef d'orchestre américain Eugène Kohn plongera l'Orchestre symphonique national grec dans un maelström de nuances, de tempéraments et de battues changeantes. De manière tout aussi harmonieuse, le chœur Fons Musicalis, placé sous la direction de Kostis Konstandaras, s'unira étroitement à cette phalange orchestrale pour tenter vaillamment de hisser haut l'étendard de ce chef-d’œuvre du répertoire belcantiste.
Passion, trahison, sacrifice
Le choix de cet opéra revêt une portée symbolique plus profonde qu'il n'y paraît de prime abord. Il s'agit d'une œuvre qui détient une importance particulière pour feue la cantatrice grecque. Celle-ci avait, en fait, incarné le rôle de l'héroïne lors de pas moins de 92 représentations de cette pièce tout au long de son existence. Et c’est justement au cœur de la cavea historique de l'Odéon d'Hérode Atticus que la soprano grecque avait donné vie à deux prestations mémorables, en 1944 et 1957. Sa voix résonnait alors comme une offrande à Apollon, le dieu de la musique, tandis que les «mélodies longues, longues, longues» de Vincenzo Bellini, pour reprendre les mots de Giuseppe Verdi (1813-1901), évoquaient l'amour d'Aphrodite, la sagesse d'Athéna et la passion d'Arès. Si les pierres millénaires continuent de raconter silencieusement cette histoire de passion, de trahison et de sacrifice dans le contexte des conflits entre les druides gaulois et les forces romaines, c’est bien une soprano libanaise qui incarnera, durant ces deux soirées, le rôle de la prêtresse druidique. Joyce el-Khoury s'apprête, en effet, à se mettre dans la peau de Norma aux côtés de ténor grec Mario Frangoulis qui interprètera le rôle de l’officier romain Pollione. Cet événement marquera le coup d'envoi d'une tournée internationale prévue dans plusieurs villes européennes, célébrant ainsi le centenaire de la naissance de Callas.
Soprano chevronnée
Il est indéniable que le rôle-titre de l'opéra élaboré par Vincenzo Bellini exige des compétences vocales d'une envergure éminente, à tel point qu'à défaut d'une soprano chevronnée, capable d’outrepasser les écueils de la partition, l'œuvre sombre dans une fadeur déconcertante, la conduisant inexorablement à péricliter dans son intégralité. Si cet opéra a survécu à la brume de l’oubli, c’est justement grâce à quelques prime donne particulièrement douées qui sont parvenues, depuis sa création en 1831, à établir ce fin équilibre entre drame et agilité vocale, à commencer par Giuditta Pasta (1797-1865), Maria Malibran (1808-1836), Giulia Grisi (1811-1869), toutes les trois entendues par Bellini avant sa mort prématurée à 33 ans, puis Lilli Lehmann (1848-1929), Rosa Ponselle (1897-1981) et Maria Callas. Le rôle de Norma exige ainsi une soprano authentique, maîtrisant le style du bel canto sur le bout des doigts, capable d’être à la fois volatile et impétueuse, et d’instiller, avec aisance et pureté, le mélange exigeant de textures vocales et émotionnelles, les descentes d'octave et les trilles virtuoses. «Les grandes Norma de l'histoire de l'opéra ont toutes été, dans une plus ou moins grande mesure, de grandes actrices-chanteuses: maîtresses de la déclamation dramatique et personnalités exceptionnelles – Lilli Lehmann, Rosa Ponselle, Maria Callas», avait écrit le critique musical anglais Harold Rosenthal (1917-1987).
À cet égard, de nombreux critiques et mélomanes étaient offensés par le timbre métallique de Maria Callas, ses (sur)aigus souvent forcés, poussés ou stridents, et les transitions perceptibles (et perfectibles) entre ses trois registres vocaux. «(…) et comme vous l’entendez, l’accord n’est pas très juste. Surtout ne croyez pas que c’est un hommage à Maria Callas», avait sarcastiquement déclaré le pianiste virtuose et homme de radio franco-libanais Henri Goraïeb (1935-2021), en juin 1996 dans le cadre de son émission «Voix souvenirs». Toutefois, ces «accusations et d'autres étaient précisément celles portées à l'époque contre Pasta et Malibran, avait affirmé le critique musical italien Eugenio Gara (1888-1985), deux génies du chant (comme on les appelait alors), sublimes mais vocalement imparfaites».
Joyce el-Khoury parviendra-t-elle à relever le défi? Qui vivra verra.
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