Près de 120 magistrats avaient annoncé, en début du mois, une grève qui commencerait le 18 septembre. Des efforts sont menés pour contenir leur grogne.
Des efforts sont menés pour régler la grogne des magistrats, dont 120 avaient annoncé, en début du mois, une grève supposée entrer en vigueur à partir d'aujourd'hui, lundi 18 septembre, avec l'ouverture de la nouvelle année judiciaire. Selon une source haut placée, les magistrats pourraient «revenir sur leur décision d’ici à quelques jours», ce qui est démenti dans des milieux proches des grévistes.
Il semble que des solutions alternatives, comme «un paiement ponctuel, effectué à leur bénéfice», «seraient fortement appréciées par ces juges», qui revendiquent le droit à une vie décente et à des conditions de travail favorables, selon la source interrogée par Ici Beyrouth. Affirmation que nie cependant un magistrat proche du dossier.
«Quelle valeur auraient ces succédanés lorsque l’on sait que la caisse de mutuelle ne couvre plus les frais d’hospitalisation, que nous nous retrouvons rejetés par les hôpitaux parce que nous ne sommes pas couverts et que nous devons mendier des réductions pour scolariser nos enfants, à l’heure où nos rémunérations mensuelles varient entre 300 et 1.500 dollars américains (dépendamment du grade du bénéficiaire)?», lance-t-il.
Dans les faits, nombreux sont les juges qui ont été obligés de reporter des chirurgies ou des traitements par manque de moyens, mettant en danger leur santé ou celle de leur famille. D’autres ont dû régler des sommes incommensurables pour éviter la mort. Même cas de figure pour ceux qui ont des enfants à leur charge. D’aucuns ont désormais recours aux écoles publiques, alors que certains ont fait le choix de quitter le pays et d’assurer un meilleur avenir à leur descendance.
Interrogé par Ici Beyrouth, le magistrat susmentionné rappelle que les juges «n'ont toujours pas obtenu les suppléments salariaux qu’on leur avait promis». Affirmant qu’«il n’y a pas eu de décision officielle allant dans le sens d’une grève», il souligne que celle-ci «s’impose à nous, dans la plupart des cas, puisque les conditions de travail ne sont pas assurées».
Au premier jour de la grève annoncée début septembre, celle-ci était plus ou moins respectée.
Plongé dans le noir la plupart du temps, parce que privé d’électricité, le Palais de justice n’en est plus un. La pénurie d’eau, le manque de fournitures, l'absence de greffiers, les dossiers accumulés et surtout les conflits internes alimentés par l’interventionnisme politique, etc., sont autant de facteurs qui entravent le travail des magistrats et qui ont été discutés lors de la réunion du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) lundi.
L’instance, qui a annoncé, dans la matinée, le début de l’année judiciaire, s’est penchée sur les difficultés auxquelles font face les juges – au nombre de 600 environ –, ainsi que sur leurs doléances et leurs préoccupations, à un moment où le pouvoir judiciaire est ébranlé, tant par la crise financière qui frappe le pays de plein fouet depuis 2019 que par les multiples ingérences politiques qui rongent ce qui devrait constituer la colonne vertébrale de tout État de droit.
Selon une source, le CSM a assuré «que des concertations sont en cours avec le ministre sortant de la Justice, Henri Khoury, pour trouver des solutions aux problèmes» qui se posent. «Comment voulez-vous que nos revendications soient entendues en l’absence d'un gouvernement? À qui nous adressons-nous, alors que la menace du vide plane sur toute la République et que l’État est en faillite?», déplore-t-on dans les mêmes milieux.
Dans le communiqué qu'il a fait paraître au terme de sa réunion, le CSM s'est déclaré en session ouverte pour suivre l'évolution de l'ensemble des dossiers sous examen.
Divergences de vues
Dans les milieux judiciaires, la grève ne fait pas l’unanimité. «Sur le plan des principes, il s’agit d’une violation de la loi, d’un déni de justice, ce qui va à l’encontre des textes de loi régissant l’organisation judiciaire. Sur cette question, on ne peut pas avoir des avis différents», indique-t-on de source judiciaire.
«Les magistrats se doivent de se conformer au principe général qui prône la continuité des services publics et qui, par conséquent, interdit – ne serait-ce qu’indirectement – aux juges de procéder à une cessation de leur travail», martèle un avocat, sous couvert d’anonymat. Considérant que «les effets de la grève sont plus néfastes que ses causes», il précise que «comme nul ne peut se faire justice à soi-même, les particuliers doivent pouvoir recourir au corps judiciaire pour régler leurs différends». Cela, «sans mentionner que beaucoup de juges ont fait fortune, lors des années précédentes, en pots-de-vin et qu’ils ont longtemps dormi sur leurs lauriers». Il ajoute: «Notre travail en tant qu’avocats est également affecté, des procès étant suspendus en raison de l’absence de certains magistrats.»
Reste à voir de quel côté la balance va pencher: garantir la probité et l’indépendance des juges en réévaluant leurs conditions de travail et de vie (mais comment cela peut-il être réalisé en l’absence de président de la République, de gouvernement de pleins pouvoirs et d’institutions étatiques qui fonctionnent) ou bien les maintenir, à l'instar d'un grand nombre de Libanais, dans une situation précaire, en attendant un redressement hypothétique?
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