Jean Genet, le martyr cleptomane
Écrivain, poète et dramaturge né de père inconnu, Jean Genet a également été largué par sa mère, femme de chambre, à l’âge de sept mois. La famille adoptive met à sa disposition une éducation communale. Il parle peu. Très peu. Il est si loquace dans sa tête qu’il en fait une salle de rédaction. Très jeune, il ressent les premiers émois masculins. Haut comme trois pommes, il commet son premier vol à dix ans. Cleptomane pathologique. Bientôt, il revendique une asociabilité existentielle. Il fugue. Il fuguera. Fuir sera son modus operandi. L’assistance publique ne parviendra pas à le faire plier. Il est droit dans ses bottes. Sa colonne vertébrale demeurera verticale. Il maintient ses larcins. Il sera incarcéré quarante-cinq jours. C’est derrière les barreaux que la magie de l’écriture va prendre naissance. Il va se saisir de la balle de la créativité en plein vol. Il écrira Notre-Dame des Fleurs dont le héros est un travesti au nom de Divine qui sera adapté au cinéma. On y retrouve aussi les nuits blanches de Montmartre ainsi que les «tantes». Il sort de prison pour se jeter dans les bras grands ouverts de Sartre qui écrira, pour et de lui, Saint Genet, comédien et martyr; puis dans ceux de Beauvoir, Giacometti et Matisse en passant par Brassaï. Il n’est pas gêné aux encolures. Dans son Journal du voleur, Genet se raconte, se déboutonne fictivement. Il est à Barcelone, avec son amant Salvador, il se vautre dans la débauche. Il jette les fondements d’une éthique subversive.

«Abandonné par ma famille, il me semblait déjà naturel d'aggraver cela par l'amour des garçons et cet amour par le vol, et le vol par le crime ou la complaisance du crime. Ainsi refusai-je décidément un monde qui m'avait refusé. [...] Ce livre, 'Journal du voleur': poursuite de l'Impossible Nullité.»

En 1964, son compagnon Abdallah Bentaga s’arrache la vie. Genet plonge dès lors, la tête la première dans la toxicomanie ce qui met à mal son mode de vie d'errance. Jusqu’à la fin de sa vie, il logera dans des chambres jugées sordides. Son train de vie n’est qu’une série d’errances qu’il traverse avec deux valises bourrées de lettres, de manuscrits, de dessins.

De sa gorge atteinte de cancer, une voix se dégage pour défendre bec et ongles la cause palestinienne. Son chant du cygne est Le Condamné à mort, un long poème inspiré d’un fait divers dont le héros est un jeune malfrat condamné à mort de qui Genet tombe amoureux. Le poème sera repris par plusieurs chanteurs dont l’ultime interprétation demeure celle de Têtes raides.


Son temps, il l’investit dans les combats politiques. On le voit avec Michel Foucault se faisant les hérauts de l’abolition des quartiers de haute sécurité. Il ne reste pas taciturne face au colonialisme. Il se bat. Il se débat comme un poisson hors de l’eau. Il s’allie aux Black Panthers américains. Il est le Jean Moulin des causes perdues. Son crochet par la Palestine donnera naissance à Un captif amoureux, publié à titre posthume.

Dans la nuit du 13 au 14 avril 1986, il fera une chute fatale. Il sera enterré au cimetière espagnol au Maroc avec la mer pour témoin.

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