Stefan Zweig est un Viennois issu d’une grande famille tisserande juive qui lui place une cuillère d’argent dans la bouche dès sa naissance le 28 novembre 1881. Il n’a pas besoin d’aller au charbon. Le seul turbin qu’il souhaite exercer est strictement littéraire. À l’université de Vienne, il s’inscrit en philosophie et histoire de la littérature. Il trouve les professeurs médiocres pour ne pas dire minables. Il voyage beaucoup en Europe. Il a une prédilection flagrante pour l’Italie et la France. Il est marabouté par les poètes, principalement Rainer Maria Rilke. Plus tard il fréquentera Rolland Romain pour qui il voue une admiration sans borne. Ses amis sont Freud – M. divan en personne – et Richard Strauss qui symphonisa  Ainsi parlait Zarathoustra. Il traduit le poète belge Émile Verhaeren. Sa soif d’échanges intellectuels est inextinguible.

Lui, le pacifiste à tout-va, quitte son pays en 1932 quand le nazisme devient exponentiellement dangereux. La croix gammée risque de le gommer à vie. Il a connu deux guerres. Lors de la première, il se retrouve miraculeusement reformé, mais il est solidaire avec ceux qui crèveront au front. Il a du temps libre. Alors il écrit. Sa plume éraille la page. Il la dompte. Elle est docile. Il dénonce l’absurdité de la guerre. Il est camusien avant l’heure. Il s’installe en Suisse. Il attend la fin de la guerre d’un pied ferme. On n’est jamais fin prêt pour l’enfer.

Il rentre enfin chez lui. Les retombées de la Première Guerre mondiale le cinglent: famine et misère. Deux jumelles frappées au coin de l’absurdité et de la démence. Il est assiégé. Il étouffe. Il est humain. Il est humaniste. La paix est là. Alors il bourlingue. Il fait le tour de l’Europe comme on fait le tour de la taille d’une jeune fille, avec passion.

Zweig doute beaucoup de son talent en dépit des succès successifs qu’il emportait. Il porte deux casquettes: celle de biographe et celle de romancier. Sa littérature est à la portée du vulgum pecus. On le porte aux nuées. On le réclame. On le bisse. Il est le chroniqueur de l’âge d’or de l’Europe. Il est l’étranger le plus lu en France au XXe siècle. Il se penche sur son bureau pour enfanter des personnages complexes en nous décrivant leurs psychologies les plus profondes – Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, La Confusion des sentiments, Lettre d’une inconnue et Le Joueur d’échecs publié à titre posthume. Et pour boucler le cycle, il nous pond Le Monde d’hier, ce qui fait de lui un excellent portraitiste de l’époque qu’il traverse avec peine. La pureté de son esprit demeure intacte. Rien ne peut la souiller. On omet l’homme. On s’attache à l’écrivain. À l’âme meurtrie et mortifère. Il a hâte de quitter la sphère ronde qu’est la planète terre. Il tisse une relation étroite avec son assistance Lotte qui souffre d’asthme carabiné. Ils sont amants. Ils sont aimants. Ils s’aiment. Il souffre de dépression aiguë. Elle aussi, par osmose. S’il s’arrache la vie, elle y arrachera la sienne. Roméo et Juliette des temps modernes.

Il s’exile en Argentine. Le 22 février 1942, il fait ses adieux à ses amis. Il laisse un mot concernant son chien qu’il confie à un ami. Seulement là, il met fin à ses jours en s’empoisonnant en compagnie de Lotte.

Mais avant d’avaler le barbiturique, il rédige une lettre de laquelle il faut ne retenir que la dernière phrase: "Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux."

 

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !