Les bourgeons du fascisme: de Platon à Khomeini

Lorsque l'on parle du fascisme, on pense à des noms comme «Adolf Hitler», «Benito Mussolini», «Francisco Franco» ou bien «Antonio de Oliveira Salazar». Platon est une figure qui ne traverse presque jamais les esprits lorsque le fascisme est évoqué. Pourtant, la pensée de cet éminent philosophe regorge d’éléments qui font écho à une idéologie aussi exécrable que sanguinaire.
Qu’est-ce que le fascisme ?
Il est devenu coutumier, dans les médias, d’attribuer aux personnes qui ont des points de vue plutôt conservateurs le label de «fasciste». Mais il faut d’abord savoir ce que le mot veut dire. Et quoi de mieux que les enseignements d’un expert, voire d’une grande figure de l’idéologie d’ultra-droite ? Cette figure n’est autre que Benito Mussolini, le «Duce». Dans son pamphlet intitulé La doctrine du fascisme, Mussolini affirme que l’idéologie fasciste est «anti-individualiste», et que «la conception fasciste est pour l’État, et elle est pour l’individu, en tant que celui-ci s’harmonise avec l’État». Mussolini va encore plus loin: «ni individus ni groupes (partis politiques, associations, syndicats, classes) en dehors de l’État», affirme-t-il.
Le Duce continue à débiter des billevesées, tout en fustigeant des figures du libéralisme, dont Jules Simon, Wilhelm von Humboldt ou Jeremy Bentham. «Si le libéralisme veut dire individu, le fascisme signifie État», écrit-il. La pensée fasciste est donc collectiviste, c’est-à-dire qu’elle prône le sacrifice de la liberté individuelle au nom du «bien commun», un concept vague et dénué de sens, mais que l’État prétend être en mesure de définir.
Mussolini préconise énergiquement «l’État qui concentre, contrôle, harmonise et modère en même temps les intérêts de toutes les classes sociales, qui se voient également protégées». Pour résumer: «tout dans l’État, rien contre l’État, rien en dehors de l’État» (formule qu’il a énoncée à la Chambre des députés, le 26 mai 1927).
Mais Mussolini ne pouvait pas régner seul. Il avait besoin du soutien des fonctionnaires et bureaucrates, des hommes d’affaires, et bien évidemment des forces armées. Tel est «l’État corporatiste».
Le fascisme platonicien

Mais qu’est-ce que Platon a à voir avec tout ça? N’est-il pas l’un des premiers philosophes dont on étudie les idées au lycée? C’est que les idées de Mussolini ont déjà été formulées par le philosophe grec, mais d’une façon plus rudimentaire. Dans son œuvre la plus connue, intitulée La République, Platon décrit sa société idéale qu’il nomme la «kallipolis». Il s’agit d’une oligarchie régie par les philosophes-rois et leurs collègues. En théorie, cela est supposé faire en sorte que les individus les plus sages de la communauté soient capables de régner et de diriger le commun des mortels, qui sont, là aussi en théorie, bien trop sots pour se gouverner.
Au-dessous des philosophes-rois figurent les gardiens, c’est-à-dire les soldats, dont le rôle est d’attaquer d’autres territoires et de protéger la polis, c’est-à-dire la cité, des agressions venant de l’extérieur. Mais cela n’est que théorique. Dans la réalité non romancée, les gardiens de la cité hiérarchique sont avant tout les protecteurs des oligarques.
Et pour finir en beauté, la base de la hiérarchie est constituée par les producteurs, ces exécrables travailleurs et commerçants qui ne sont pas assez illuminés pour savoir ce qu’est la vertu, la beauté, ou le bien commun. Afin de garder la mainmise sur les sujets, Platon conseillait aux philosophes-rois de répandre des mensonges nobles, comme l’ascendance divine des oligarques, qui seraient présumément des descendants des dieux grecs. Et est-ce une coïncidence si Aristote, le plus grand disciple de Platon, croyait que le travail manuel était réservé aux esclaves? Qui plus est, Platon dédaignait l’art, qu’il voyait comme étant une imitation («mimesis») de la réalité, qui pourrait corrompre les esprits. Une censure rigide est donc nécessaire pour Platon.
L’État platonicien est centralisateur. Le pouvoir est concentré dans les mains des philosophes-rois, qui se chargent de tout réglementer, que ce soit la production, les loisirs, ou même l’éducation des enfants afin de former des pions conformistes et obéissants. L’individu n’existe pas chez Platon. Tout ce qui compte, c’est la cité et l’intérêt collectif, tout comme chez Mussolini. Mais la cité n’est pas un agent qui pense, raisonne, ou agit. La cité n’est autre qu’un terme anodin qui désigne les oligarques et leurs intérêts. Voyons ce que tout cela donne en pratique.
L’Iran, cette société idéale
La République islamique d’Iran incarne tous les idéaux de la République de Platon. D’abord, on a l’élite, les mollahs illuminés dont le noble devoir, ou plutôt la mission divine, serait de guider les brebis égarées vers le droit chemin. Le rôle de la classe dirigeante est donc, en termes réalistes, de fabriquer des mythes et d’agir en tant que parasite sur les producteurs. Gare à ceux qui osent remettre en question l’intérêt de l’État.
Ensuite, on a les glorieux cavaliers de la révolution islamique, les Pasdarans, qui se chargent de résister contre le croque-mitaine américain, et de maintenir le pouvoir par la force. La fin justifie les moyens pour ces preux guerriers, donc l’usage de la censure ainsi que le recours à la police des mœurs sont toujours les bienvenus. Rien en dehors de l’État, comme le disait l’autre.
Enfin, il y a les Iraniens normaux, travailleurs, commerçants qui n’ont rien à voir avec tout ce fatras de guerres saintes et de théocratie, mais qui sont contraints d’être les sujets d’une idéologie qui nie toute liberté individuelle. Et tout cela au nom du bien collectif qui est, soyons honnêtes, toujours défini et imposé par l’État, ce Léviathan indomptable.
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