Le récent déplacement du pape François à Marseille a soulevé beaucoup d’enthousiasme. Il a également suscité de nombreuses interrogations polémiques portant essentiellement sur l’immigration. Au Liban, certains milieux chrétiens ont exprimé une incompréhension à l’égard des paroles de François, dans le contexte d’un Liban où le nombre de réfugiés, de déplacés et de clandestins syriens a atteint un seuil difficilement gérable. Le voyage du pape à Marseille a illustré les rapports ambigus qu’entretient le pouvoir politique avec le pouvoir spirituel.
Ils ne sont pas très nombreux ceux qui ont saisi l’enjeu principal du voyage du pape à Marseille, ainsi que de ses discours sur l’immigration et l’afflux de réfugiés en Méditerranée. Plusieurs commentateurs ont jugé ces paroles en fonction de considérations exclusivement politiques, parfois identitaires. D’autres ont accusé le pape de vouloir imposer aux pays d’accueil de se laisser envahir, sans sourciller, par l’afflux massif de migrants appartenant à des ethnies et des religions diverses. Un petit nombre a compris que le pape, en tant qu’autorité religieuse, se plaçait exclusivement sur le registre de la dignité humaine, celle de tout membre de la famille humaine. Le pape s’est montré fidèle à l’authenticité de certains concepts, grâce auxquels le christianisme a fécondé la civilisation de l'Antiquité tardive. D'une part, le «sens ecclésial» de l’assemblée dont les membres sont unis par l’amour partagé. D'autre part, le sens de la «charité» qui en découle et de son corollaire la «justice».
De là l’insistance du pape à porter assistance aux migrants en Méditerranée et à ne pas les abandonner à leur sort, au nom de considérations politiques utilitaires. L’archevêque de Marseille, Jean-Marc Aveline, n’a pas hésité à dénoncer une telle attitude criminelle.
Tout ce voyage pontifical baignait dans la plus pure tradition des valeurs morales chrétiennes. Deux exploits ont été réalisés durant ces journées marseillaises:
- Le pape a définitivement passé l’éponge sur l’inscription du chrisme (le symbole christique par excellence) sur les boucliers et le labarum des légions romaines lors de la bataille de Constantin le Grand contre Maxence, au pont Milvius le 28 octobre 312. La légende affirme que le Christ serait apparu à Constantin et lui aurait demandé d’inscrire le chrisme en lui affirmant: «Par ce signe tu vaincras».
- Mais François a surtout définitivement scellé la vérité du concile Vatican II, qu’exprime la Déclaration Nostra Aetate du 28 octobre 1965: «À notre époque où le genre humain devient de jour en jour plus étroitement uni […] Tous les peuples forment, en effet, une seule communauté ; ils ont une seule origine, […] ; ils ont aussi une seule fin dernière». Il y a donc une seule famille humaine. Tous les hommes sont unis par ce qu’ils ont en commun et qui les pousse à vivre ensemble leur destinée : l’amour partagé. «Qui n’aime pas ne connaît pas Dieu (1 Jn 4:8)».
Cela est fort éloigné de la politique qui a sa propre logique. Elle engendre nécessairement des «Nous» contre des «Eux» qui génèrent des conflits. Mais «le» politique est là pour résoudre les conflits. C’est pourquoi, les deux valeurs centrales évoquées (ecclesia-caritas) imprégnaient tous les discours du pape, d’autres prélats, ainsi que ceux du maire de Marseille, le socialiste Benoît Payan, lointain héritier de Jean Jaurès comme apôtre de la fraternité.
François a usé de termes que la modernité néglige. Il n’a pas invoqué les lieux communs aseptisés des sciences sociales : proximité et solidarité. Il a uniquement fait appel au vocabulaire de l’Évangile, parlant de tendresse et de compassion à l’égard de la figure centrale de l’étranger.
Il suffit de relire la Bible pour comprendre toute la démarche du Pape François :
- «Tu n’accableras pas l’étranger, tu ne l’opprimeras pas (Exode 20 :20)»
- «Il sera pour vous comme l’un des vôtres, l’étranger qui habite avec vous, et tu l’aimeras comme toi-même (Lévitique 19 :34)»
- « Aimez l’étranger, vous qui avez été étrangers en terre d’Égypte. (Deutéronome 10:19)».
Tous les textes sacrés monothéistes sont traversés, tel autant de leitmotivs, par les termes : le pauvre, l’étranger, la veuve, l’orphelin.
Dans l’Épître à Diognète, œuvre anonyme d’un chrétien de Syrie des temps apostoliques, on lit ces paroles extraordinaires de présentation du christianisme : «Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes. […] Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère» (1).
À Marseille, le pape François a solennellement et définitivement réaffirmé, en matière de populations migrantes, le Document d’Abu Dhabi sur la fraternité humaine, cosigné par l’Imam d’Al Azhar. Ce document est une arme contre l’œcuménisme de la haine auquel communient tous les intégrismes, tous les fondamentalismes, tous les populismes identitaires. Ces mouvements peuvent se combattre entre eux, mais ils sont naturellement alliés pour écraser violemment toute altérité. D’abord celle de l’étranger, mais également celle de factions fragiles de la société. Ces groupes communient à la même coupe de haine. Ils font la promotion de la violence afin de préserver, au nom de la religion, disent-ils, des «valeurs traditionnelles», c’est-à-dire patriarcales et machistes.
Aux managers de l’œcuménisme de la haine, on rappellera que: «la gloire de Dieu en ce monde s’appelle la dignité de l’homme» (Basile de Césarée). Préserver l’honneur de Dieu ici-bas consiste à protéger la dignité de tout homme, peu importe sa condition, son ethnie, sa religion ou ses orientations sexuelles.
À Marseille, le pape n’a pas donné des instructions aux pouvoirs politiques. Il n’a pas prononcé une seule déclaration politique. Il a simplement parlé au nom de notre humanité commune et de l’honneur de Dieu.
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(1): https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651028_nostra-aetate_fr.html
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