Massacres, exhibitionnisme médiatique et tribunal «humanitaire»

Un massacre ne justifie pas un autre, mais des horreurs commises peuvent servir de prétexte à des représailles disproportionnées. Par ailleurs, il n’y a pas d’opérations militaires qui soient lancées sans risque de commettre des dégâts collatéraux ou des crimes de guerre. Au lendemain de la déflagration du 7 octobre, Élias Sanbar, ancien ambassadeur de l’Autorité palestinienne auprès de l’Unesco, a déclaré au quotidien Le Monde: «Les Palestiniens, dans leur combat pour leurs droits, se réclament du droit international. Et celui-ci est clair: toute attaque contre des civils est un crime de guerre.» L’intellectuel palestinien ne se prive pas d’ajouter: «Nous sommes également face à une guerre légitime contre une armée d’occupation […]. S’attaquer à une armée d’occupation est parfaitement légitime.» (1)
En effet, et quoi qu’on en dise, le conflit israélo-palestinien qui se déroule juste sous nos yeux est régi par le droit de la guerre, principalement par les conventions de Genève de 1949 et les protocoles additionnels de 1977. Mais pouvons-nous encore parler de droit et de légalité quand il s’agit de tant de barbarie exhibée sur les réseaux sociaux? Écoutons Élie Barnavi, l’ancien ambassadeur d’Israël en France, clamer son indignation en ces termes: «L’attaque du Hamas résulte de la conjonction d’une organisation islamiste fanatique et d’une politique israélienne imbécile.» (2) Que pouvons-nous quand ineptie et iniquité alimentent le terreau fertile du fanatisme? Dans l’horreur, ce ne sont plus des Palestiniens qui se battent contre des Israéliens, mais des Philistins contre des Hébreux, des Hutus contre des Tutsis, et Judas Macchabée s’insurgeant contre les Séleucides.
Qu’en-est-il du droit humanitaire?
Les nations du monde avaient tiré les leçons qui s’imposaient des boucheries de la Seconde Guerre mondiale. La quatrième Convention de Genève, relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, a été signée le 12 août 1949. Toujours en vigueur, elle assure la sauvegarde des civils contre tout acte d’agressivité. Ainsi, ces derniers ne peuvent être pris en otage ni servir de boucliers humains. Il est strictement prohibé d’exercer contre eux contraintes et brutalités pour obtenir des renseignements. De même qu’on ne peut leur infliger des punitions collectives; ainsi, on n’a pas le droit de les déporter pour implanter à leur place des colons. Or il se fait qu’en ce moment tout se passe comme si les forces armées des uns ne prenaient pour cibles que les non-combattants de la partie adverse et vice-versa!
À l’évidence, le droit international est piétiné de part et d’autre dans ce conflit. D’où la pertinence de l’avertissement d’Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International: «En vertu du droit international humanitaire, toutes les parties à un conflit ont clairement l’obligation de protéger la vie des civils pris dans les hostilités.» Et elle poursuit: «Prendre délibérément pour cible des civils, mener des attaques disproportionnées et aveugles qui tuent et blessent des civils constituent des crimes de guerre. Israël a un bilan horrible en matière de crimes de guerre commis en toute impunité lors des guerres précédentes contre Gaza. Les groupes armés palestiniens de Gaza doivent s’abstenir de prendre pour cible des civils et d’utiliser des armes aveugles, comme ils l’ont fait par le passé, et plus intensément dans ce cas, actes équivalant à des crimes de guerre.»
Caveat: Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’égorger les enfants de ses ennemis ou assassiner de vieilles personnes n’est pas prohibé par la charia. Ce serait une contre-vérité! Car conformément à l’opinion de la majorité des juristes musulmans, telle que rapportée par Al-Boukhari, le faqih de la jurisprudence musulmane, dans une situation de conflit armé, «les femmes, les enfants, les moines, les ermites, les personnes âgées, les aveugles et les aliénés mentaux ne peuvent être l’objet de maltraitance» (3).
Quelle justice pour les victimes?
Un tribunal «humanitaire» pour un droit humanitaire
Quand un pays se rend coupable d’atrocités, l’autorité au pouvoir a naturellement tendance à les passer sous silence. Les Soviétiques ont longtemps nié avoir ordonné le massacre de Katyn en Pologne. De même, Israël a toujours occulté l’épisode des exécutions sommaires de prisonniers égyptiens dans le Sinaï lors de la guerre de juin 67. Des belligérants sont exposés à commettre des horreurs. Toutefois, s’en prévaloir sur les réseaux sociaux, c’est comme si les «combattants de la liberté» voulaient délibérément retourner l’opinion internationale contre eux et par là même desservir leur cause.

C’est que, dans notre cas, les criminels de guerre, de part et d’autre, sont assurés de l’impunité. Et pour cause, il ne viendrait pas à l’idée des grandes puissances de poursuivre, encore moins de condamner, les responsables des crimes commis dans le cadre du conflit israélo-arabe, un des plus longs de l’histoire contemporaine.
On a bien créé un Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et un autre pour le Rwanda, et le dictateur du Soudan Omar al-Bachir est bien sous le coup d’un mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale depuis 2010. Quant à Charles Taylor, le bourreau du Libéria, il a été condamné en 2013 à cinquante ans de prison par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et purge sa peine dans une prison britannique.
Qu’attend le concert des nations pour établir un tribunal spécial, ne serait-ce que pour ce dernier épisode de la guerre israélo-arabe? Seule une cour «humanitaire» serait en mesure de départager les responsabilités. Mais de là à dire que ses sanctions seraient dissuasives, il y a un monde. Il n’empêche que la justice internationale peut opérer comme une garantie, «garantie que la vérité des faits ne sera pas confisquée aux victimes, condition insuffisante mais indispensable au deuil» (4).
Youssef Mouawad
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1-  «Élias Sanbar, intellectuel palestinien: Toute attaque contre des civils est un crime de guerre», propos recueillis par Benjamin Barthe, Le Monde, 12 octobre 2023.
2- «Élie Barnavi: ‘L’attaque du Hamas résulte de la conjonction d’une organisation islamiste fanatique et d’une politique israélienne imbécile’», Le Monde, 9 octobre 2023.
3-Boukhari, Kitab al-Jami’ al-Salih, cité in Majid Khadduri, War and Peace in the Law of Islam, The Johns Hopkins Press, Baltimore, Third printing, pp. 103-104.
4-William Bourdon, La Cour pénale internationale. Le statut de Rome, Éditions du Seuil, 2000, p. 330.
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