Une conjonction de facteurs atténue les craintes d’un embrasement généralisé 
La guerre entre Israël et le Hamas est entrée dans sa troisième semaine et la situation sur le terrain n’a toujours pas évolué. Cette absence de «guerre de mouvement» atténue les craintes d’un élargissement du conflit à d’autres fronts.
Tel Aviv sursoit toujours à sa menace de lancer une offensive terrestre contre la bande de Gaza, tout en bombardant sans répit l’enclave palestinienne, où le nombre de victimes a dépassé la barre des 5.000.
Plus au nord, l’armée israélienne riposte sans arrêt aux tirs de roquettes du Hezbollah et des factions palestiniennes gravitant dans l’orbite iranienne, à partir du Liban. En dépit de l’escalade du week-end à la frontière sud, de l’accroissement du nombre de tués parmi les combattants du Hezbollah et de l’état de guerre décrété dans le nord israélien, le long de la frontière, les deux parties continuent de respecter ce qu’il est convenu d’appeler «les règles d’engagement». En d’autres termes, ni le Hezbollah ni Israël semblent pour le moment avoir pris la décision d’entrer dans une confrontation globale à grande échelle.
Mais ce statu quo n’est pas forcément rassurant, puisque les règles du jeu pourraient à n’importe quel moment changer en fonction des objectifs stratégiques des uns et des autres, ou aussi en cas de dérapage incontrôlé sur le terrain.
Israël a beaucoup à gagner mais aussi beaucoup à perdre si jamais il lance une offensive terrestre contre Gaza pour «éradiquer» le Hamas.
Ce groupe palestinien et avec lui l’Iran ont pour leur part atteint leur objectif. La normalisation en cours entre l’Arabie saoudite et Israël a été stoppée, mais plus important encore, l’Iran a réussi à se repositionner en force sur l’échiquier politique, dans la perspective d’éventuels pourparlers sur l’avenir de la région. De fait, le régime iranien a asséné à l’État hébreu un coup des plus durs en montrant qu’il peut disposer d’une force de frappe non négligeable, apte, au cas où il le souhaiterait, à changer la donne dans la région.
Les appréhensions libanaises
C’est dans un tel contexte que les craintes d’un élargissement du conflit sont notamment palpables au Liban, où la population scrute avec une inquiétude grandissante l’escalade qui va crescendo à la frontière sud. Une inquiétude alimentée par les rumeurs récurrentes sur un embrasement qui s’étendrait à tout le Liban.
Selon les indices actuels tant militaires que politiques, cette angoisse ne serait pas cependant justifiée. Les enjeux d’une guerre d’envergure restent très complexes, aussi bien pour Israël que pour le Hezbollah.
De l’avis de nombreux analystes, les deux parties évaluent une éventuelle opération militaire plus large au prisme des risques qui lui sont inhérents et de ses effets à tous les niveaux, militaire, politique, voire populaire.
Dans le cas du Hezbollah en particulier, le paramètre populaire n’est pas négligeable, la formation libanaise ayant considérablement accumulé les pertes sur ce plan depuis le soulèvement d’octobre 2019 et la profonde crise qui sévit dans le pays, même au sein de sa propre communauté.
Le journaliste Ali el-Amine, l’une des figures de proue de l’opposition chiite au Hezbollah, met en avant, entre autres, ce facteur pour expliquer que le Hezbollah ne veut pas déclencher une guerre contre Israël. «Le Hezbollah sait très bien qu’il peut faire beaucoup de mal à Israël s’il lance une guerre contre ce pays, mais il est conscient tout aussi bien du mal qu’Israël fera au milieu populaire dans lequel il évolue. Exposera-t-il son propre milieu à ce danger? Je ne le pense pas», affirme Ali el-Amine, balayant ainsi les craintes de voir le conflit armé entre le Hamas et Israël s’étendre au Liban. «À mon avis, souligne-t-il, le niveau d’engagement du Hezbollah restera le même, surtout qu’il semble accepté par Israël.»

La stratégie de guerre des deux protagonistes se limite, au stade actuel, à un échange médiatique de menaces de destruction massive et, sur le terrain, à des échanges de tirs d’artillerie qui épargnent autant que possible les civils.
Les risques pour Israël
L’analyse de l’opposant chiite se fonde sur les données militaires mais aussi politiques et diplomatiques apparues depuis l’attaque surprise du Hamas, le 7 octobre dernier.
Dans ce contexte, même la menace israélienne d’une offensive terrestre contre le Hamas à Gaza, qui pousserait le Hezbollah à s’impliquer à grande échelle dans ce conflit, reste hypothétique. Les risques qui y sont liés sont énormes pour Israël, militairement et politiquement.
Militairement, l’armée de Tel Aviv avancera sur un terrain miné «car on ne sait pas quelles surprises le Hamas peut lui avoir réservé», relève Ali el-Amine, estimant que lorsque le groupe palestinien a préparé son attaque, il a «sans doute élaboré un plan qui tient compte d’une réaction militaire israélienne puissante». Depuis le 7 octobre, le Hamas a d’ailleurs montré qu’il dispose de moyens militaires importants.
Politiquement, Israël est soumis à une pression internationale soutenue pour éviter une opération terrestre qui risque de mettre le feu à toute la région.
Les divisions au sein même du Cabinet israélien au sujet de l’opportunité d’une intervention sur le terrain se sont traduites par une «crise de confiance» entre le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, et l’armée israélienne – selon le Yediot Aharonot. Il s’agit là d’un élément supplémentaire qui irait dans le sens d’un maintien du statu quo à la frontière sud. Du moins, pour le moment.
Une évolution des réactions internationales
À cela, il faut ajouter l’opposition américaine au projet israélien d’extension de la guerre, même si Washington a fait montre d’un appui incontesté à Israël. Ces réserves sont apparues dans toutes les questions posées par le président américain, Joe Biden, à Benjamin Netanyahu, lors de leur entretien à Tel Aviv, le 18 octobre. «Tout cela montre, d’une part, que les Israéliens ne sont pas sûrs que leur offensive peut réussir. De toute façon, si elle réussit ce sera au prix d’un bain de sang que la communauté internationale ne tolérera pas», indique Ali el-Amine, qui constate, depuis le 7 octobre, «une évolution des réactions internationales qui ne va pas dans le sens voulu par Tel Aviv».
Il s’agit là, selon lui, d’un autre élément qui va dans le sens de ce que souhaite l’Iran qui, tout en multipliant les menaces contre Israël, a fait savoir dès le départ qu’il n’était pas favorable à un embrasement régional, d’autant qu’il a obtenu ce qu’il voulait politiquement au niveau de la conjoncture dans la région.
«Tant que cette situation se maintiendra dans la durée, le Hezbollah se considérera victorieux, rien que parce que le Hamas continue de s’affirmer sur le terrain», estime Ali el-Amine. Une victoire qui rappelle tristement celle, «divine», de 2006, brandie par Hassan Nasrallah après la guerre de juillet 2006, alors que le Liban était pratiquement détruit.
Quoi qu’il en soit, dans les sphères proches de la formation pro-iranienne, le discours traditionnel reste de mise. Il se résume par ces deux phrases: le Hezbollah est sur le pied de guerre et la situation, à Gaza comme à la frontière sud, reste ouverte à toutes les possibilités.
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