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- Désarmement des camps palestiniens: un défi politique au premier plan

De la fumée se dégageant du camp palestinien de Ain el-Héloué, à Saïda, lors d’affrontements entre le Fatah et des groupes islamistes en aout 2023 ©Agence France Presse (AFP)
Le processus de désarmement des camps palestiniens au Liban doit officiellement commencer à la mi-juin 2025, conformément à un plan élaboré par le gouvernement libanais en coordination avec l’Autorité palestinienne. Cette initiative a été au cœur de la récente visite à Beyrouth du président Mahmoud Abbas.
Elle a été, vendredi, au centre d’une réunion de sécurité que le président Joseph Aoun a convoquée au palais de Baabda, où les mesures envisagées en application de ce plan ont été examinées.
Le plan en question prévoit une mise en œuvre par étapes, en commençant par les camps situés autour de Beyrouth – Bourj el-Brajneh, Chatila et Mar Élias – considérés comme les plus faciles à traiter sur le plan sécuritaire. La seconde phase, prévue pour début juillet, devrait cibler le camp d’Al-Jalil dans la Békaa, puis celui de Beddawi dans le Nord du pays.
Le Liban compte officiellement 12 camps de réfugiés palestiniens reconnus par l’Unrwa (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), répartis sur tout le territoire.
Selon plusieurs experts militaires interrogés par Ici Beyrouth, il est difficile d’évaluer précisément l’arsenal présent dans ces camps, seuls certains services de renseignement disposant de données fiables.
Un consensus se dégage sur le fait que les camps de la capitale ne représentent pas, côtés armes, un réel défi en matière de sécurité. En revanche, les camps situés dans le sud du Liban, où des factions proches du Hezbollah notamment sont actives, posent des problèmes bien plus complexes. À ce stade, la question du désarmement relève davantage de la volonté politique que d’un enjeu strictement technique ou militaire.
Le général à la retraite Khalil Hélou explique ainsi que la présence armée dans les camps de Beyrouth est aujourd’hui très limitée. Il rappelle que «ces camps ont été largement désarmés dès les années 1980, à la suite des affrontements avec le mouvement Amal et de l’invasion israélienne de 1982».
Selon lui, leur sécurisation ne constitue donc pas un véritable défi pour l’État libanais.
Les difficultés majeures émergeront lorsque le moment sera venu de désarmer le camp de Aïn el-Héloué, situé à Saïda. Ce camp est le plus grand du pays, avec une population estimée entre 40.000 et 70.000 personnes, dont de nombreux réfugiés palestiniens venus de Syrie. Il concentre une constellation de factions armées, dont le Fatah, avec entre 400 et 500 combattants répartis en plusieurs courants, certains étant même hostiles à Mahmoud Abbas. Le Hamas y est également très présent, avec environ 300 combattants, tout comme dans les camps de la région de Tyr. À cela s’ajoutent environ 500 membres de groupes islamistes radicaux, ainsi que des combattants affiliés à d’autres formations palestiniennes. La sécurité du camp est officiellement assurée par une force commune de quelque 75 hommes (combattants et officiers) représentant la plupart des groupes mentionnés.
Au fil des années, Aïn el-Héloué est devenu une véritable forteresse où les forces régulières libanaises ne sont pas autorisées à entrer et, de ce fait, un refuge pour les hors-la-loi. Une forteresse qui abrite un arsenal d’armes impressionnant, comme en attestent d’ailleurs les affrontements meurtriers qui s’y étaient produits de juillet à septembre 2023 entre les combattants du Fatah du président palestinien Mahmoud Abbas et des groupuscules salafistes, notamment Osbat el-Nour, soutenus par le Hezbollah.
Le général Hélou précise toutefois que «ces armes ne sont pas lourdes». «On ne trouve plus de missiles anti-aériens, ni d’artillerie, ni de chars, mais plutôt des armes individuelles, des mortiers et des missiles antichars dans ce camp», explique-t-il.
De quoi quand même déclencher et entretenir un conflit armé, même si le potentiel militaire de ces groupes s’est considérablement affaibli avec le temps. Le général Hélou souligne que «la détention d’armes ne suffit pas, car celles-ci nécessitent une maintenance, et les effectifs, un financement et un encadrement précis». Autant d’éléments «qui font désormais largement défaut», selon lui.
Il rappelle que durant la guerre civile libanaise, certaines factions palestiniennes disposaient de budgets supérieurs à celui de l’armée libanaise.
Des pays comme l’Iran ou le Qatar soutiendraient-ils encore le Hamas au Liban? Le général Hélou exprime des doutes à ce sujet, estimant que «si un tel financement existait, il serait devenu très limité».
Des conditions
Les obstacles au désarmement des camps palestiniens ne sont pas uniquement d’ordre logistique. Plusieurs factions conditionnent leur coopération au niveau de ce dossier à la régularisation du dossier des personnes recherchées par la justice – près de 2.500 à Aïn el-Héloué, dont 1.200 pour des affaires liées au terrorisme –, à une amnistie générale et à l’amélioration des conditions de vie dans les camps.
À cela s’ajoute une grande incertitude sur l’après-désarmement: aucune vision claire ne semble encore définie concernant la gestion sécuritaire des camps, une fois les armes remises.
Selon M. Hélou, le processus de désarmement est aussi tributaire de l’évolution du contexte régional. Il cite notamment la situation à Gaza et les négociations en cours entre les États-Unis et l’Iran comme des facteurs susceptibles d’influencer la dynamique locale.
Dans ce contexte, il serait intéressant de rappeler que les affrontements de Aïn el-Héloué, en 2023, avaient éclaté alors que des tentatives de rapprochement entre le Hamas et l’Autorité palestinienne étaient menées. Tentatives que le Hezbollah aurait cherché à saboter, sans succès.
En somme, le désarmement des camps palestiniens au Liban constitue un test politique majeur. L’État libanais affirme sa volonté de reprendre le contrôle de tout le territoire et de monopoliser le port des armes. Mais il semble, pour l’instant, éviter toute confrontation frontale. Quant au Hezbollah, tout comme il renonce à déposer les armes, il ne montre aucun signe d’une volonté de lever sa tutelle sur certaines composantes palestiniennes.
«Ce n’est pas une question d’armes, mais de volonté politique», résume le général Khalil Hélou. Une volonté qui, au regard des équilibres internes et des tensions régionales, reste encore à démontrer.
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