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- L’éditorial – Entre souverainisme et société guerrière
©AFP
Concilier éthique et politique (le, ou même la, politique) est certes particulièrement problématique, et donc rare, dans un univers livré à une mondialisation sauvage. La situation se complique lorsque de hauts responsables, qui aspirent à jouer un rôle national, ne paraissent pas jauger suffisamment bien la valeur et le poids des mots. Le chef du Courant patriotique libre, Gebrane Bassil, à titre d’exemple, a fait preuve dimanche d’un opportunisme politicien de mauvais aloi en lançant une petite phrase assassine dont il ressort que si la «résistance» n’était pas présente à la frontière sud, «Dieu seul sait ce qu’Israël aurait fait de nous»! M. Bassil répondait de la sorte, en le stigmatisant, au leader des Forces libanaises, Samir Geagea, qui a réclamé le déploiement de l’armée le long de la frontière méridionale et le retrait des miliciens de la région afin d’éviter aux Libanais une nouvelle aventure guerrière stérile dont les effets précurseurs se font déjà sentir avec 30 000 déplacés sudistes et des dizaines de jeunes tués, inutilement, au combat.
Ainsi, dans une démarche purement politicienne et partisane de bas étage, et dans le but de tenter de porter un discrédit au commandant de l’armée, le général Joseph Aoun, le chef du CPL insinue d’une manière à peine voilée que la troupe n’est pas en mesure de défendre, le cas échéant, le territoire libanais! Pour un parti qui se veut souverainiste et dont le fondateur a été à la tête de cette même armée dénigrée par M. Bassil, on peut faire mieux… Mais en ces heures cruciales d’élection présidentielle, il faut bien montrer patte blanche au Hezbollah, de n’importe quelle manière.
Le chef du CPL feint d’oublier que la Grande Muette est l’un des principaux attributs de la souveraineté, dont son parti était pourtant le porte-étendard à l’époque de l’occupation syrienne. «Liberté, souveraineté, indépendance», était le slogan rassembleur du temps où agissaient sur le terrain les militants aounistes – les vrais.
M. Bassil devrait prendre la peine de feuilleter des archives de presse pour revivre, l’espace de quelques instants, la période glorieuse des leaders du Front libanais, au début de la guerre, dans les années 1970, lorsque leur leitmotiv, relancé à un rythme quasi quotidien, était précisément la préservation de la souveraineté.
Depuis plus d’un demi-siècle, les Libanais pâtissent de ce problème de souveraineté spoliée. Prôner aujourd’hui le maintien, dans la durée, d’une présence milicienne dans le pays, et donc la perpétuation d’une situation de guerre sans horizon – stratégie de l’irrationnel et de la démesure – revient à replonger le pays dans la funeste atmosphère belliqueuse créée dans les années 1970 par les organisations palestiniennes.
Le chef du CPL est-il conscient que les éléments armés du Hamas et du Jihad islamique paradent désormais en toute liberté dans les zones méridionales et s’emploient à lancer, quand bon leur semble, des roquettes en direction d’Israël sans se soucier outre mesure des conséquences de telles gesticulations guerrières sur la population libanaise? Est-il conscient qu’en louant, comme il l’a fait, l’action de cette prétendue «résistance» (qui inclut forcément, dorénavant, le Hamas et le Jihad islamique), il accorde un soutien destructeur à des milices qui ne peuvent se maintenir et se développer que dans un climat belliqueux, dans une situation de conflit perpétuel qui constitue leur oxygène, leur source de vie?
En avril 1986, l’un des pôles influents du courant fondamentaliste déclarait que le meilleur moyen d’instaurer un pouvoir islamique dans le pays est de transformer le Liban en une société guerrière. C’était sans doute à l’époque un vœu pieux. Mais depuis, cet objectif d’édification d’une société guerrière a été, dans une certaine mesure, patiemment réalisé, pas à pas.
Les Libanais doivent opérer aujourd’hui un choix crucial: se laisser entrainer dans un projet de conflit perpétuel, de stratégie de l’irrationnel et de la démesure, ou se soulever et refuser de continuer à faire les frais de la «guerre des autres» en terre libanaise. Mais encore faut-il que certains de nos chefs de file, prétendument souverainistes, cessent de se livrer à de petits calculs politiciens et partisans, en tous points réducteurs et dévastateurs…
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