Le Liban-Sud en guerre: chaos économique et enfance sacrifiée
Le temps est suspendu pour les habitants du Sud depuis le 7 octobre dernier, après l’attaque du Hamas contre Israël. Les résidents des villages frontaliers ont quitté leurs maisons pour se déplacer vers des localités relativement plus sûres, comme Nabatiyeh ou Beyrouth, redoutant une escalade régionale du conflit.  Certains font des allers-retours vers Beyrouth au gré des nouvelles et des opérations militaires. Les Libanais du Sud, bien que globalement solidaires de la cause palestinienne, ne sont pas aujourd’hui disposés à sacrifier leur sécurité pour venir en aide aux Palestiniens. Asphyxiés par une grave crise économique, ils apparaissent hostiles à toute implication dans le conflit.
Dans des champs à Wazzani, à quelques kilomètres de la frontière de Metula, des hectares de plantations de légumes, d’avocats et de poivrons ont été bombardés. «Heureusement, il s’agissait d’obus de 120 mm et non pas de bombes incendiaires ou de phosphore blanc, souligne avec soulagement un agriculteur, répondant au nom de Nimr. Mes champs n’ont donc pas pris feu».
Depuis le largage des bombes, les travailleurs ont quitté la région; Nimr va perdre une grande partie de sa récolte à cause de la situation. «C’est une catastrophe sociale, économique et écologique», résume-t-il. À Deir Mimes, un village du caza de Marjeyoun connu pour ses oliveraies, les champs ont été abandonnés en pleine saison des récoltes. «Déjà frappés par une crise économique inédite, les agriculteurs se préparent à un avenir incertain, même si les combats viennent à cesser, relève un habitant du village. On se fiche de ce qui se passe là-bas, ils doivent régler leurs problèmes chez eux», souligne un autre agriculteur, Abou Amer, qui réside à Khiyam, un village du caza de Marjayoun. «Même les réfugiés syriens qui travaillaient la terre se sont évaporés», ajoute-t-il.
Dépression, anxiété et désespoir
Youssef, employé dans l’entreprise «Khoury» n’a pas quitté la région. «Quand j’ai entendu les premiers obus siffler au-dessus de ma tête, j’ai pris mes jambes à mon cou, explique le trentenaire. Je suis revenu cinq jours plus tard, j’ai trop besoin de ce salaire pour vivre». Comme la majeure partie des habitants de la région frontalière, Youssef dépend du travail quotidien pour se nourrir. Cette région qui, après des décennies d’abandon, essaie de renforcer les services publics et le développement économique «à nos propres risques», affirme un employé qui a voulu rester malgré sa nationalité suédoise.
Pour beaucoup d’habitants du Sud, qu’ils soient Libanais, réfugiés ou travailleurs migrants, la crise économique actuelle, associée à la détérioration des conditions de vie, vient s’ajouter à des évènements traumatisants et des expériences stressantes qui ont contribué à perturber le bien-être psychologique de la population. Celle-ci présente des symptômes liés à une détresse émotionnelle, à la dépression, l’anxiété et le désespoir. «Je me sens déprimée et tellement inutile. La situation économique est désastreuse. J’espère seulement que nous ne finirons pas à la rue», dit Hanadi, sans pouvoir retenir ses larmes.
Une enfance à risque et une éducation à bout 
Autres conséquences dramatiques, les tirs de roquettes entre le Hezbollah et Israël font peser de graves menaces sur la scolarité des milliers d’enfants. La plupart des lycées et des établissements scolaires sont fermés, certains ont rouvert quelques jours avant de fermer leurs portes à nouveau. La situation déjà passablement anormale atteint un seuil critique. «Deuils, violences, traumatismes et difficultés économiques… une longue liste de facteurs favorisent le mal-être et la détresse psychologique des enfants. Si l’enfant est en situation de bien-être, il aura de meilleures conditions d’apprentissage», explique Zeina, psychologue. La situation pédagogique et traumatique du Sud du Liban est extrêmement difficile et préoccupante. De nombreux enfants ont été contraints de quitter leurs maisons et leurs écoles en raison des combats et des bombardements. Ils ont été exposés à des niveaux élevés de violence et de peur, ce qui a eu des conséquences psychologiques graves et durables sur leur bien-être émotionnel.

L’une des priorités est de trouver des solutions pour faire en sorte que les enfants restent scolarisés. L’éducation leur procure non seulement des opportunités pour l'avenir, mais aussi un sens de la normalité, leur rendant un sentiment d’espoir et fournissant un espace sécurisé à ceux qui souffrent d’un traumatisme. «Nous nous battons pour survivre. Nous n’avons pas le choix», affirme le directeur d’une école à Marjayoun. «C’est notre mission. Le traumatisme de la violence est bien présent chez les enfants. Il se traduit par une certaine forme d’agressivité et par des pleurs. C’est une période critique à tous les niveaux», ajoute-t-il.
Cours en ligne et en présentiel
Les écoles vivent dans l’inconnu et le flou. Les directeurs des établissements scolaires ont annoncé la mise en place de cours hybrides, alternant les cours en ligne et en présentiel. «C’est un immense défi pour la direction et pour les parents; nous avons des élèves issus de familles modestes qui n’ont qu’un seul ordinateur ou smartphone pour tous les enfants. Par ailleurs, le réseau internet et électrique est de très mauvaise qualité», affirme le père du Collège des Sœurs Antonines.
Survivre aux bombes, survivre à la barbarie de la guerre, survivre dans le chaos, tels sont les défis que les jeunes du Liban-Sud doivent relever. «Toutes les tragédies sont devenues notre quotidien. Elles sont notre environnement plus ou moins proche. On doit les vivre. On ne peut pas les ignorer. C’est vrai, nous sommes jeunes, mais c’est la vie. On ne sait pas quand tout cela va cesser, être derrière nous. C’est vraiment malheureux et triste », déclare Taline, une élève en deuxième année secondaire.
«Ce que nous vivons est dévastateur. En tant qu’élève de terminale, je veux étudier, réussir professionnellement, être utile et réaliser tous mes rêves. Il y a eu l’explosion du port de Beyrouth et maintenant cette guerre. Les images, les photos, les vidéos de bombardements et de violences qui passent en boucle à la télévision et sur les réseaux sociaux nous détruisent», ajoute Rami.
«Tout cela détruit notre émotion, notre goût de vivre, notre capacité d'empathie. Ma tristesse augmente à chaque instant». Enseignante au Collège officiel de Marjayoun, Mona prend le temps d’écouter les enfants. Il faut qu’ils expriment leurs émotions, leur ressenti. Il faut rétablir leur équilibre en leur racontant de belles histoires. «La situation de nos enfants déterminera l’avenir de notre pays», souligne-t-elle.
Les habitants du Sud ne perdent pas espoir et montrent une remarquable capacité de survie malgré cette situation alarmante.   
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