Les observateurs de la vie politique libanaise s’interrogent, depuis assez longtemps, sur la configuration statutaire de l’État libanais et son avenir. D’aucuns ont, d’ores et déjà, pris acte de sa mort, et font désormais référence aux politiques alternées de puissance qui s’en sont emparées. D’autres parlent du statut d’État-lige instrumentalisé par la politique de puissance iranienne qui s’en sert comme plate-forme de subversion régionale, comme l’attestent les imbrications étroites entre l’interventionnisme du régime iranien et ses relais régionaux. Les démocraties occidentales se rendent à l’évidence d’un État fictif où les attributs de souveraineté ne renvoient qu’aux réalités d’une société et d’un État qui évoluent d’abîme en abîme.
Le démantèlement de l’État s’est effectué progressivement au profit des découpages oligarchiques, de la patrimonialisation des biens publics et de la mise à mort des institutions de l’État de droit au profit des politiques de tutelle. Le summum de cet effondrement correspond à la mainmise des politiques chiites qui avancent, sans vergogne, sur les vestiges d’un pays en état de déliquescence prolongée. À la différence de la guerre de 1975-1990 et de son épilogue, qui avaient débouché sur un faux semblant de réconciliation et de reconstruction, arbitré par des pôles de puissance régionale et internationale, le conflit actuel cadre parfaitement avec l’éclatement de l’ordre régional, la résurgence de la guerre froide et les verrouillages d’un système oligarchique, où le dépeçage et le partage des dépouilles d’un État défunt s’opèrent au croisement d’une double stratégie de subversion. Nous sommes devant des crises conjuguées qui n’ont pas de rebords et qui favorisent les politiques de déstabilisation.
La guerre de Gaza est symptomatique et met en relief la crise de l’ordre régional et ses liens avec celles de l’ordre mondial, la remise en question de ses consensus normatifs, de sa gouvernance et de ses instances de médiation. Le Liban se retrouve de nouveau confronté à ses malaises structurels, à la remise en cause de sa raison d’être nationale, de ses équilibres stratégiques et systémiques, et aux aléas d’un ordre régional où plus rien ne tient. L’emboîtement des crises structurelles (financière, institutionnelle, sécuritaire, économique, sociale, judiciaire et normative), loin de susciter des dynamiques réformistes et d’aboutir à des synergies et des politiques de concertation, a paradoxalement contribué à la destruction des socles anthropologiques et de gouvernance du pays et débouché sur l’impossibilité de la présence de l‘État.
La dégradation intentionnelle des institutions étatiques libanaises s’inscrit dans la mouvance des crises historiques qui ont secoué le Liban tout au long de son centenaire et de leurs doubles au niveau régional. La guerre de Gaza et ses multiples métonymies nous renvoient aux échecs de la modernité arabe et islamique, aux apories des géopolitiques post-ottomanes, aux crises sévères d’État et de société, et aux béances stratégiques et sécuritaires d’un monde incapable de se construire autour de narrativités plurielles, de la normativité de l’État de droit et des juridictions d’arbitrage qui mettraient fin aux nihilismes à partir desquels se structurent les conflits dans cette partie du monde.
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