De Beyrouth à Paris, «Tnaash» en quête de justice
Réalisé par Boudy Sfeir et coécrit en dialecte libanais par Patrick Chemali, Azdashir Jalal Ahmad et Boudy Sfeir, le film Tnaash s'inspire en grande partie du film 12 Angry Men. Après sa sortie en salles au Liban le 16 novembre, il fait ses débuts à Paris le 23 novembre pour l’ouverture du Festival du film libanais.
Tnaash a été sélectionné et récompensé dans plusieurs festivals de cinéma internationaux. Récemment, il a obtenu le prix du Meilleur long métrage de fiction local au Festival du film indépendant libanais. Le film met en vedette Tarek Yaacoub, Patrick Chemali, Yara Zakhour, Shady Ardati, Sara Abdo, Tarek Hakmi, Ali Choucair, Mouhammad Assaf, Sany Abdul Baki, Tony Dagher, Christina Farah et Ali Al Najjar.
Caractérisé par sa réalisation cinématographique incisive, le film se concentre sur les gros plans de détails et les micro-réactions des visages. Le scénario, pensé et ingénieux, propose une adaptation libanaise qui interpelle l'audience et la société avec un humour spécifiquement ajusté aux différentes régions d'origine des personnages. Ces derniers, incarnés par des acteurs livrant des performances authentiques, créent une synergie essentielle, s'engageant dans des discussions percutantes et explorant pleinement la psychologie des personnages.
«Je me suis toujours demandé comment un groupe de Libanais, issus de différents milieux sectaires et politiques, réagiraient s'ils se retrouvaient dans une situation où ils devaient prendre une décision à l’unanimité. Se montreraient-ils objectifs, ne serait-ce qu'une fois?», se demande le réalisateur Boudy Sfeir.
Le sujet est d'autant plus poignant dans une société où prévalent la cancel culture, la discrimination et l'intimidation. Dans une réforme judiciaire imaginaire, tous les regards se portent sur un être humain. Toutes les voix s'unissent en une, proclamant une vérité indéniable... La vérité ultime existerait-elle jamais? Qui sommes-nous pour juger? Le jugement que chacun porte sur autrui se baserait sur ses propres expériences, croyances et rancœurs.
Dans le film, tous s'accordent à dire qu'«il» est le criminel, le barbare, celui qui devrait être persécuté à mort pour un crime qui rétablirait la peine de mort. Dans une société où les preuves sont indiscutables, où les accusés n'ont ni voix, ni mot, ni avocat à la défense, pas même un point d'interrogation, que peut-on attendre de douze personnes portant le poids de toutes les injustices du monde sur leurs épaules? Ni le droit, ni la psychologie expérimentale, étudiant le subconscient collectif et les circonstances actuelles, ne pourraient résonner dans des cœurs remplis de colère. Dans le film, la peine de mort est au bout du tunnel. Une seule personne s'oppose à la masse. Une seule personne ose demander: «Et si?» Et s'il n'était pas coupable? Où a-t-on donc enseveli le droit et ses adages; «toute personne est innocente jusqu'à preuve du contraire»? Depuis quand notre société s'est-elle transformée en une jungle tyrannique où seule la loi du talion prévaut? Depuis quand douze individus ont-ils le pouvoir de mettre fin à la vie d'un être humain? Ce film ouvre des portes. Il ouvre les yeux du public pour voir au-delà d'une histoire de réfugié jusqu’au cœur même de la compassion humaine. Le film transcende la violence et la soif de vengeance... Il questionne les nombreux «coupables de» quotidiens. Il plaide pour un «et si». Puissions-nous tous comprendre que nous avons en nous, le pouvoir de redonner la vie, de faire de la place, de garder une espace sécurisant dans notre société, nos établissements, nos maisons, chaque jour.
Tnaash véhicule un message poignant: dans ce récit, l'humanité transcende la pression sociale, les appartenances personnelles, les expériences douloureuses et le traumatisme collectif. «Peut-être avons-nous encore une chance. Peut-être reste-t-il encore de l'espoir», constate Sfeir. 
Ayant coécrit et adapté en dialecte libanais le scénario, l'acteur de théâtre et de cinéma Patrick Chemali, qui avait produit et adapté sa dernière pièce Tnayn Tnayn au théâtre Le Monnot, aux côtés de Christine Choueiri, a répondu à la question portant sur le processus d'adaptation à l'écran, en disant: «Adapter un film emblématique comme 12 Angry Men a été pour moi un défi que j'ai accueilli avec enthousiasme, mais aussi avec appréhension. Boudy m'a accordé une liberté créative avec la structure de la trame et le caractère des personnages. Nous avons uni nos efforts dès le début pour la rédaction des dialogues. Mon principal objectif était de préserver la structure du scénario original, tout en lui conférant une identité libanaise unique. Cela signifie que je devais approfondir la construction de chacun des 12 personnages bien avant de mettre un mot sur papier.» Parlant de son rôle de mauvais type dans la pièce, il déclare: «J'ai toujours admiré les performances des grands acteurs dans les rôles de méchants ou d'antihéros et les ai trouvés multidimensionnels par rapport au personnage plat du héros ou du protagoniste typique. Avoir l'occasion de jouer le juré numéro 3 tout en tissant son dialogue était pour moi une opportunité unique que je chérirai toujours.»

Après avoir achevé ses études théâtrales à New York, Christina Farah est retournée au Liban, mettant à profit son expérience dans un rôle captivant dans Chicago sur la scène locale. Pour ce qui est de Tnaash, elle explique: «J'ai également travaillé sur le montage du film pendant quatre mois, ce que le réalisateur Boudy Sfeir a apprécié. Mon expertise m'a également permis d'assister l’équipe au processus de production. Quant à mon rôle, je l'ai abordé avec beaucoup d'affection, m'inspirant de personnes similaires pour façonner le personnage. Chaque personnage dans le film provient d'un milieu distinct, et j'ai tenu à représenter cette diversité de manière authentique.» Quant à la question de savoir si, au quotidien, elle avait le même sens de l'humour que celui de son personnage, elle répond: «Durant mes études théâtrales, j'ai découvert ma capacité à faire rire et pleurer simultanément les gens. Je crois que l'humour est enraciné dans une douleur profonde et archaïque en nous, faisant partie de notre héritage collectif, de notre humanité et de notre vie. Pourtant, nous sourions, car nous sommes naturellement des êtres sociaux.»
Projection de Tnaash à Paris
 


Lauréate du Prix de la meilleure actrice au Socially Relevant Film Festival à New York, Yara Zakhour a été présente lors de la projection parisienne de Tnaash à l'Institut du monde arabe. Elle a généreusement partagé ses réflexions et répondu aux questions d'une salle comble à l'issue de la projection. Abordant son rôle dans le film, elle dit: «Le personnage que j'interprète est extrêmement éloigné de ma personnalité. C'est une figure très complexe, extrémiste dans ses opinions et ses idéologies. Il est guidé par ses émotions et ses traumatismes. Je l'ai élaboré à travers une recherche approfondie sur les plans anthropologique et sociologique pour pouvoir cerner ses idées et ses comportements. Par la suite, j'ai intégré ces éléments dans son langage corporel. Chaque colère est différente, qu'elle soit impulsive ou longuement mûrie.» 
Quant à l’opportunité de jouer dans ce film, Yara affirme: «Le réalisateur Boudy Sfeir m'a contactée en affirmant que ce rôle était fait pour moi. Il m'a envoyé le texte, et j'ai immédiatement eu un coup de cœur, connaissant la version originale du film. J'ai perçu ce personnage complexe comme un défi que je désirais relever à tout prix.»
Instagram: @mariechristine.tayah
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