L’infiltration de l’appareil sécuritaire libanais par le Hezb

 
Le Hezbollah s’est imposé face à la population libanaise en incarnant «l’armée, le peuple et la Résistance». L’expression est née dans la bouche d’Hassan Nasrallah, le chef du mouvement pro-iranien, au lendemain de la guerre de 2006 qui opposa l’armée israélienne aux miliciens chiites. La branche armée du Hezbollah avait émergé dans les années 1980 en pleine guerre civile avec pour objectif la libération des terres libanaises de l’occupation israélienne. Ce mouvement inféodé à l’Iran, qui a infiltré peu à peu l’État libanais, est devenu le principal obstacle à une vie politique apaisée dans un pays qui, depuis un an, ne parvient pas à élire un président de la République.
En l’an 2000, le retrait de l’armée israélienne a assuré au mouvement chiite une aura nationale. Six ans plus tard, les miliciens du Hezbollah, en enlevant deux soldats israéliens, confortent cette image de «Résistance» auprès de certains Libanais et obtiennent un cessez-le-feu, soutenu par la communauté internationale, qui fait figure d’un nouveau bulletin de victoire.
Fort de cette confusion entre une capacité militaire entretenue à fonds perdus par l’Iran et la Syrie et la fibre patriotique de certains Libanais, le Hezbollah a adopté une posture guerrière nourrie par un antisémitisme grossier. À l’extérieur de l’État, les amis d’Hassan Nasrallah ont été les seuls des partis politiques, lors des accords de Taëf de 1989, à conserver une milice armée. Depuis, les armes du Hezbollah nourrissent un débat houleux et clivant au sein de la vie politique libanaise. À l’intérieur de l’État et de façon plus insidieuse, le Hezbollah a réussi à mettre la main sur de solides leviers au sein des services sécuritaires.
L’armée condamnée à la cohabitation
Courtois, consensuel et légitimiste, le patron de l’armée libanaise, le général Joseph Aoun, a réussi la performance d’être soutenu discrètement par les Américains, tout en cohabitant, au prix de beaucoup de diplomatie, avec le Hezbollah. Ce militaire apprécié par l’ensemble des forces politiques dirige une armée composée d’une bonne moitié d’officiers chrétiens. Encore que ces dernières années, le président Michel Aoun, allié du Hezbollah, a fait pression pour que des militants de son mouvement, le Courant patriotique libre (CPL), grossissent les rangs de ses sympathisants au sein de l’institution militaire.
Le général Joseph Aoun doit compter également avec des sous-officiers sunnites pour 35% et chrétiens pour 28%. Un quart seulement de la hiérarchie militaire intermédiaire est chiite, mais pas nécessairement sous l’influence du Hezbollah. «Ces dernières années, observe un officier, l’accent mis par l’armée sur le recrutement des femmes a été certainement un moyen habile d’éviter la venue de militaires qui soient des musulmans fondamentalistes».
Au Liban, tout est affaire de dosage. Des gradés au sein de l’armée sont connus pour leur proximité avec le Hezbollah comme le général Malek Chamas, membre du conseil militaire et directeur général de l’administration. Ses fonctions précédentes comme commandant adjoint du secteur du Sud du Litani, directeur adjoint des Renseignements et coordinateur du gouvernement libanais près de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), montrent à quel point les équilibres communautaires sont respectés au sein de l’institution militaire.
Les Forces de Sécurité Intérieure (FSI)
Les FSI regroupent quelque 30.000 policiers et un service de renseignement sophistiqué et sont présentées comme une citadelle sunnite. Ses chefs, effectivement, appartiennent à cette communauté. C’est l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, soucieux de construire sa propre police politique, qui a donné aux FSI des moyens considérables d’intervention, notamment au niveau des systèmes d’écoute les plus performants au Liban. Les cadres étaient formés par le FBI, la France et l’Italie, les financements étaient américains.
Le service de renseignement a été longtemps dans une opposition frontale avec le mouvement pro-iranien. Du moins quand il avait à sa tête le général Wissam al-Hassan, un grand professionnel. Les enquêteurs des FSI ont ainsi mis en cause la responsabilité du Hezbollah et de son allié syrien dans l’attentat meurtrier de 2005 contre Rafic Hariri.
Plus tard en août 2012, le général al-Hassan a également été à l’origine de l’arrestation d’un ancien ministre pro-syrien Michel Samaha, condamné à treize ans de prison pour avoir planifié, avec les services syriens, un transport d’explosifs de Damas à Beyrouth pour planifier des assassinats. Or deux mois plus tard, le patron du renseignement était assassiné de retour d’Allemagne. «Tout indique, confie un proche du général assassiné, de la voiture piégée au timing parfait de l’explosion, que les Syriens n’ont pu agir qu’avec l’aide des petites mains du Hezbollah».
Depuis dix ans, les relations entre les FSI et le Hezbollah ont évolué. Hassan Nasrallah et ses amis préfèrent désormais l’infiltration à la confrontation. Certes, le patron actuel des FSI, Imad Othman, est proche du «courant du Futur» de l’ancien Premier ministre et fils de Rafic, Saad Hariri. Le service de renseignement est dirigé par Khaled Hamoud, un sunnite proche du clan Hariri. Mais la lutte contre les réseaux israéliens au Liban ou la lutte contre les groupes liés à l’État Islamique sont souvent le résultat d’une collaboration étroite entre les FSI et les services dominés par le Hezbollah. Au nom de l’efficacité! «Aussi étonnant que cela paraisse, explique-t-on à Tripoli, la capitale du sunnisme libanais, les rencontres et les échanges d’informations sont nombreux entre les adversaires d’hier. Nous sommes au Liban!»
La justice militaire sous influence
La justice militaire est une sorte de champ de mines où il est juste impossible de rendre la justice. Le général Hussein Abdallah, un chiite qui n’a jamais fait allégeance au Hezbollah, présida longtemps le tribunal militaire avec un grand souci de neutralité. Jusqu’à ce jour de mars 2020 où Amer Fakhouri, un ancien responsable de la prison de Khiam, située au Liban-sud alors sous occupation israélienne, est interpellé. Ce mercenaire qui a sévi entre 1985 et 2000 est suspecté de meurtres et de tortures. Mais les Américains exigent sa libération immédiate; le pouvoir libanais, dont le Hezbollah est partie prenante, s’incline. La justice militaire libère le suspect.

Le Hezbollah, qui a trempé dans cet arrangement, se dédouane en alimentant une campagne contre le général Hussein Abdallah qui serait «à la solde d’Israël». Ce qui oblige ce dernier à démissionner.
Le service de renseignement militaire
Le renseignement militaire est dirigé depuis 2020 par le général Tony Kahwagi, un maronite dont la grand-mère a été assassinée par les Palestiniens pro-Syriens. Le nouveau promu travaille pourtant en bonne intelligence avec le Hezbollah. Comment faire autrement? «Le président libanais, Michel Aoun, qui le nomme, est l’allié des forces chiites, explique un officier supérieur, le général Kahwagi exécute les ordres comme tout bon militaire». Et d’ajouter: «Il est en plus cornaqué par deux adjoints, dont un est chiite et très lié au Hezbollah.»
Autant de réseaux souterrains qui poussèrent au départ en 1999 le Procureur du Tribunal militaire, Peter Germanos, accusé sans preuves de corruption alors qu’il se heurtait aux coups fourrés du Hezbollah. «Quand des officiers liés au Hezbollah étaient pris la main dans un trafic quelconque, explique un de ses amis avocat, ils étaient immédiatement relâchés. Ce que Peter Germanos ne supportait plus».
La Sûreté générale, le fief du Hezbollah
Les responsables du Hezbollah ont très tôt compris tout le profit qu’ils pourraient tirer de la maitrise des aéroports, des ports et des frontières. Or c’est le service de «la Sûreté générale» qui gère les grandes infrastructures libanaises. Longtemps il a été dirigé par un chrétien maronite avant de passer sous la coupe du Hezbollah. En 1998, le président Emile Lahoud nomme en effet le général Jamil Sayyed, proche à la fois du régime syrien et du Hezbollah. «Au nom de la lutte contre le terrorisme, explique un député libanais, la Sûreté générale peut se mêler d’à peu près de tout». Fort de 3.000 hommes, ce service en roue libre est susceptible à la fois de mettre les politiques sur écoute, de mobiliser des forces spéciales, de lancer des enquêtes judiciaires ou d’infiltrer des associations ou des ONGs.
Durant une douzaine d’années, le général Ibrahim Abbas, courroie de transmission du Hezbollah, a été le patron tout-puissant de la Sûreté générale.
– «Que pensez-vous, a demandé l’AFP au général Ibrahim Abbas, de sa qualification d’«homme du Hezbollah»?
– «Cela ne me dérange absolument pas», a-t-il répondu.
Médiateur entre les barons de la politique au Liban, libérateur d’otages en Syrie, interlocuteur des services étrangers à Washington et à Paris, ce gradé entretient des relations excellentes avec le patron de la DGSE française, Bernard Emié. «Il faut bien préserver des passerelles avec le mouvement pro-iranien, explique un gradé de l’armée, c’est la France qui joue ce rôle d’interlocuteur du mouvement chiite, en accord avec le reste du monde et en oubliant les enlèvements d’otages français des années 1980», explique l’expert «sécurité» d’un des principaux partis politiques libanais.
Le contrôle de l’aéroport de Beyrouth est partagé par le Hezbollah et certains fonctionnaires nommés par ses alliés politiques, le mouvement chiite Amal et le CPL. Ainsi, le directeur des douanes Badri Daher, un proche du CPL qui était incarcéré dans le cadre de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth du 4 août 2020, où le Hezbollah est mis en cause pour ne pas avoir fait preuve de suffisamment de vigilance sur les tonnes de nitrate conservées dans les hangars.
Pour autant, la Sûreté générale a montré un talent indéniable pour lutter contre l’État Islamique, dont l’influence a été miraculeusement limitée au Liban malgré la proximité de la Syrie. Issu de la communauté chiite, le patron libanais de la lutte anti-terroriste n’a jamais montré la moindre indulgence pour combattre les sunnites qui avaient rejoint les rangs de l’État Islamique.
L’État libanais pris en tenaille
L’expression convenue qui présente le Hezbollah comme «un État dans l’État» n’est que partiellement juste. La formation chiite a lancé une véritable OPA sur un pouvoir désormais pris en tenaille dehors par les miliciens armés et dedans par les complicités sécuritaires.
Dans le climat actuel, il est difficile d’imaginer une bonne sortie de crise. Certains veulent faire le pari d’un recentrage libanais du Hezbollah qui s’éloignerait de sa tutelle iranienne. Hélas, le scénario le plus probable est de voir le mouvement chiite poursuivre son OPA sur un État libanais miné par une crise sans précédent.
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