Dans le contexte de la guerre déclenchée à Gaza le 7 octobre dernier, les analystes effectuent souvent des rappels relatifs à l’histoire du conflit israélo-palestinien, nécessaires pour comprendre les événements actuels dans leur continuité historique. Dans ce cadre, l’accord du Caire est une référence récurrente, particulièrement pour ce qui est des rapports du Liban avec la résistance palestinienne.
On lisait déjà, dans Le Monde du 5 novembre 1969, que «l’accord du Caire signifie, à terme, l’intégration du pays dans la guerre contre Israël». Cet accord est également cité comme la source de tous les maux des Libanais, notamment l’un des facteurs principaux ayant provoqué la guerre de 1975 qui a secoué le pays pendant plus de 15 ans.
Mémento
Le 3 novembre 1969, le commandant en chef de l’armée libanaise, le général Émile Boustany, et le président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, signent au Caire, au terme de sept heures de négociations, un accord qui octroie à la résistance palestinienne le droit d’exister au Liban.
Conformément au texte, les fedayin* de l’OLP ont été autorisés à s’installer dans la région du Arkoub, à la frontière sud du Liban, connue sous le nom de «Fateh-land», qui se transforme en front avec l’État hébreu.
Les deux délégations libanaise et palestinienne ont conclu cet accord en présence, du côté égyptien, de Mahmoud Riad, ministre des Affaires étrangères, et du général Mohammad Faouzi, ministre de la Guerre.
Il en ressort des principes et des mesures qui étaient censés réglementer la présence palestinienne au Liban, «dans le respect de la sécurité et de la souveraineté du Liban».
Dans un premier chapitre intitulé «La présence palestinienne», on reconnaît aux Palestiniens résidant au Liban le droit de travail, de résidence et de déplacement, mesures qui n’ont pas été mises en exécution.
Dans un second chapitre consacré à «L’action de la résistance» ou des fedayin, le texte stipule la création d’unités du Commandement de la lutte armée palestinienne (CLAP) dans les camps. Ces unités étaient tenues de maintenir de bonnes relations avec les autorités libanaises et il leur était demandé de veiller «à la répartition et à la limitation des armes dans les camps, dans le respect de la sécurité du Liban et de l’intérêt de la Révolution palestinienne». Il a été également entendu que «les autorités civiles et militaires libanaises continueraient à exercer pleinement leur autorité et leurs responsabilités sur l’ensemble du territoire libanais et en toutes circonstances».
Comme la réalité en témoigne, les points relatifs à la souveraineté du Liban sont restés lettre morte. Bernadette Marchal avait déjà écrit, deux jours après la signature de l’accord, dans Le Monde du 5 novembre 1969, qu’il serait «de plus en plus difficile, à l’avenir, de concilier la souveraineté du pays et les intérêts de la guérilla». Le Liban «s’est irréversiblement engagé dans une nouvelle phase de son histoire», avait indiqué la journaliste, dans une affirmation presque prémonitoire.
Réactions à chaud
Les réactions immédiates n’ont pas manqué de remuer la scène libanaise déjà tiraillée par des dissensions au sujet de la présence palestinienne. Si le sunnisme politique au sein du gouvernement libanais était favorable à la consécration de la résistance palestinienne, se voyant représenté dans cette guérilla sunnite, il n’en allait pas de même du côté chrétien. Raymond Eddé, chef du Bloc national libanais, a réagi le soir-même de la signature de l’accord, demandant audience au président de la République, Charles Hélou. Il a clairement fait valoir que le caractère secret de l’accord du Caire était contraire à la Constitution et qu’il fallait absolument consulter la Chambre à propos de la présence de fedayin au Liban.
Il est important de mentionner que le Parlement libanais a ratifié l’accord du Caire sans en avoir reçu le texte. Si le journal Annahar en a publié une version «intégrale», en avril 1970, le ministre libanais de l’Information de l’époque, Osman Dana, ne s’est pas prononcé sur l’authenticité du document. Par ailleurs, une source palestinienne autorisée a confirmé à l’AFP de Beyrouth que la version en question était «correcte». «Cet accord demeurera secret et il ne pourra être révélé que par les commandements militaires des deux parties», peut-on lire dans la dernière clause.
Par ailleurs, l’accord du Caire a été considéré comme un moindre mal, notamment du point de vue de M. Hélou, qui a cru, par ce moyen, éloigner le spectre d’une guerre civile menaçante. Finalement, ce mal n’a été que retardé, jusqu’en 1975, date du déclenchement de la guerre civile au Liban.
Inutile de dire que, du côté israélien, cet accord a été mal vu. Selon Israël, le traité du Caire aurait violé, et rendu caduc, l’armistice libano-israélien de 1949. Signé le 23 mars 1949 à Ras el-Naqoura, l’accord d’armistice entre le Liban et Israël stipulait l’arrêt des opérations armées entre les deux parties, «en vue de promouvoir le retour d’une paix permanente en Palestine».
Poste-frontière de Naqoura au Liban-Sud.
Or, à partir de 1969, toute opération militaire lancée par la résistance palestinienne à partir du Liban-Sud entraînait irrévocablement des tirs de représailles israéliens. Le Liban s’était définitivement engouffré dans un conflit avec Israël.
*Fedayin: de l’arabe fida’iyyin, pluriel de fida’i, combattant qui se sacrifie pour une cause. Terme qui désigne les combattants de la guérilla palestinienne.
Dans la deuxième partie, L’accord du Caire, boîte de Pandore du Liban (2/2), nous nous pencherons sur les circonstances historiques qui ont concouru à la signature de l’accord du Caire.
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