Toute violence est exhibitionniste! Et c’est à croire qu’elle n’atteindrait jamais certains excès si elle n’était rapportée sur les écrans. À la télé, elle nous expose des tableaux apocalyptiques ou plus intimistes comme ceux de ces maisons détruites dans le village de Aïtaroun qui dénoncent la folie des hommes. Regardez-la se produire devant nous avec affectation, comme une actrice de bas-étage qui en rajoute pour se promouvoir.
Et puis, cette violence, dans sa véhémence, est à portée de main, à une heure et demie de Beyrouth, la capitale. Une balade dans le sud, une récréation pour les amateurs de sensations fortes, une sortie!
La bonne distance
Les hommes sont-ils faits pour vivre en paix et dans la concorde ou plutôt dans les conflits et les dissensions? Il ne viendrait pas à l’idée des belligérants de Gaza de chercher noise à des Néo-Zélandais: ils sont géographiquement aux antipodes! Aussi, c’est généralement avec ses voisins immédiats que les rapports s’établissent et, naturellement, c’est avec eux que des querelles peuvent éclater. Pour cette raison, il serait avisé de garder entre groupes mitoyens ou pays frontaliers la «bonne distance», autrement dit un «no man’s land». Bien sûr, cela apporterait un démenti au logos archétypal de la fraternité humaine. Seulement voilà, la fusion des groupes voire des sous-groupes, promue au nom d’on ne sait quelle théorie universaliste, peut se révéler perfide. Car, sous le masque de l’égalitarisme, le brassage sociologique imposé est négateur du droit à la différence. Et puis et surtout, ce babouvisme peut s’avérer dangereux! Toutes les passions révolutionnaires se réclamant du principe de l’égalité, ont abouti à des dictatures sanguinaires. La Révolution française, le coup d’État des Jeunes-Turcs comme la Révolution bolchevique ont fini, avec les meilleures intentions du monde, dans la dévastation et les bains de sang.
Cette «bonne distance» à laquelle appelait Lévi-Strauss peut se concrétiser à la faveur d’un tracé de frontières, de la rédaction d’un pacte national ou de la signature d’un armistice. Mais peut-on croire encore que des délimitations de frontières ou des formules juridico-constitutionnelles soient en mesure de nous tirer d’affaire et de désamorcer les crises? Appliquer l’accord de Taëf dans son intégralité ou adopter la formule des «deux États» pour résoudre le conflit israélo-palestinien, est-ce suffisant pour calmer le jeu?
Difficile de le croire, vu qu’il y a en nous, les hommes, d’insoupçonnables pulsions de destruction!
Guerre et paix
À l’instar du conflit israélo-palestinien, la guerre civile libanaise ne s’est jamais interrompue. Même pas à l’époque haririenne, où la prospérité illusoire a pu nous donner le change. Un conflit autrement plus sourd s’était poursuivi sous les encouragements de la puissance d’occupation syrienne: le pays était pris en otage par un homme d’affaires d’une part, et d’autre part, par une milice qui refusait de mettre bas les armes sous divers prétextes. Mais, par ailleurs, que pouvait-on imaginer d’autre? Et aujourd’hui même, peut-on concevoir l’histoire de la région Mena sans prendre en considération l’élément conflictuel? Tous les pays du Proche-Orient vivent de régimes répressifs ou, autrement, sous la menace de guerres civiles imminentes. Ni l’Égypte, ni la Syrie, ni l’Irak, ni la Jordanie n’échappent à cette tentation de la violence. Elle seule, j’entends la violence, est légitime.
Mais à quoi tiendrait donc notre volonté d’en découdre avec les autres? Erich Fromm* distinguait deux sortes d’agressivité: d’une part, l’agressivité défensive que l’homme partage avec l’animal et qui assure sa survie; et d’autre part, l’agressivité maligne qui incite l’homme à détruire sans but social ni nécessité biologique. Cette dernière n’est pas instinctive mais spécifiquement humaine.
Tolstoï faisait dire à l’un de ses personnages que les hommes aimaient mieux la guerre que les femmes. Ce serait donc notre part d’humanité qui est responsable de nos malheurs tant elle a «la passion de détruire»; et c’est elle qui exhibe sur les écrans les destructions commises et qui sont les fruits de ses labeurs.
Youssef Mouawad
[email protected]
*Erich Fromm, La passion de détruire, Laffont, 1975
Et puis, cette violence, dans sa véhémence, est à portée de main, à une heure et demie de Beyrouth, la capitale. Une balade dans le sud, une récréation pour les amateurs de sensations fortes, une sortie!
La bonne distance
Les hommes sont-ils faits pour vivre en paix et dans la concorde ou plutôt dans les conflits et les dissensions? Il ne viendrait pas à l’idée des belligérants de Gaza de chercher noise à des Néo-Zélandais: ils sont géographiquement aux antipodes! Aussi, c’est généralement avec ses voisins immédiats que les rapports s’établissent et, naturellement, c’est avec eux que des querelles peuvent éclater. Pour cette raison, il serait avisé de garder entre groupes mitoyens ou pays frontaliers la «bonne distance», autrement dit un «no man’s land». Bien sûr, cela apporterait un démenti au logos archétypal de la fraternité humaine. Seulement voilà, la fusion des groupes voire des sous-groupes, promue au nom d’on ne sait quelle théorie universaliste, peut se révéler perfide. Car, sous le masque de l’égalitarisme, le brassage sociologique imposé est négateur du droit à la différence. Et puis et surtout, ce babouvisme peut s’avérer dangereux! Toutes les passions révolutionnaires se réclamant du principe de l’égalité, ont abouti à des dictatures sanguinaires. La Révolution française, le coup d’État des Jeunes-Turcs comme la Révolution bolchevique ont fini, avec les meilleures intentions du monde, dans la dévastation et les bains de sang.
Cette «bonne distance» à laquelle appelait Lévi-Strauss peut se concrétiser à la faveur d’un tracé de frontières, de la rédaction d’un pacte national ou de la signature d’un armistice. Mais peut-on croire encore que des délimitations de frontières ou des formules juridico-constitutionnelles soient en mesure de nous tirer d’affaire et de désamorcer les crises? Appliquer l’accord de Taëf dans son intégralité ou adopter la formule des «deux États» pour résoudre le conflit israélo-palestinien, est-ce suffisant pour calmer le jeu?
Difficile de le croire, vu qu’il y a en nous, les hommes, d’insoupçonnables pulsions de destruction!
Guerre et paix
À l’instar du conflit israélo-palestinien, la guerre civile libanaise ne s’est jamais interrompue. Même pas à l’époque haririenne, où la prospérité illusoire a pu nous donner le change. Un conflit autrement plus sourd s’était poursuivi sous les encouragements de la puissance d’occupation syrienne: le pays était pris en otage par un homme d’affaires d’une part, et d’autre part, par une milice qui refusait de mettre bas les armes sous divers prétextes. Mais, par ailleurs, que pouvait-on imaginer d’autre? Et aujourd’hui même, peut-on concevoir l’histoire de la région Mena sans prendre en considération l’élément conflictuel? Tous les pays du Proche-Orient vivent de régimes répressifs ou, autrement, sous la menace de guerres civiles imminentes. Ni l’Égypte, ni la Syrie, ni l’Irak, ni la Jordanie n’échappent à cette tentation de la violence. Elle seule, j’entends la violence, est légitime.
Mais à quoi tiendrait donc notre volonté d’en découdre avec les autres? Erich Fromm* distinguait deux sortes d’agressivité: d’une part, l’agressivité défensive que l’homme partage avec l’animal et qui assure sa survie; et d’autre part, l’agressivité maligne qui incite l’homme à détruire sans but social ni nécessité biologique. Cette dernière n’est pas instinctive mais spécifiquement humaine.
Tolstoï faisait dire à l’un de ses personnages que les hommes aimaient mieux la guerre que les femmes. Ce serait donc notre part d’humanité qui est responsable de nos malheurs tant elle a «la passion de détruire»; et c’est elle qui exhibe sur les écrans les destructions commises et qui sont les fruits de ses labeurs.
Youssef Mouawad
[email protected]
*Erich Fromm, La passion de détruire, Laffont, 1975
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