Beyrouth : Elle est absente depuis longtemps. Aussi longtemps que je puisse m’en souvenir. Impossible de la trouver, la garder, l’identifier, la consolider. À chaque fois qu’on pensait enfin la cerner, elle se défilait, s’effritait pour finir par disparaitre derrière des murs de terreur et d’insanités. Je vous parle d’elle, la vérité, cruellement disparue de mon pays. Comment construire une histoire commune sans elle ? Comment tourner définitivement la page de la guerre si tout est contesté ? Comment accepter de ne jamais la croiser dans une conclusion d’une affaire ou la clôture d’un chapitre sanglant ? Comment garder foi en demain si dans notre pénible hier, elle n’a jamais été là ? Et aujourd’hui ! Aujourd’hui, son absence nous rend fous, flous, agressifs, perplexes, dérangés, sans conscience et parfois sans aucune humanité. Pourtant les faits sont là, souvent palpables, étalés sans pudeur sur les réseaux sociaux. Mais cela ne suffit jamais à la dévoiler, la vérité. Il suffira d’un autre avis, d’un soupçon promulgué, d’un doute émis, d’une autre version, d’un brouillage de piste, d’un venin savamment distillé pour la mettre K.O, la vérité. Bien sûr vous me direz qu’il n’y a pas qu’une vérité, que souvent chacun a la sienne, que c’est un très grand mot la vérité, que les interprétations varient, que les philosophes n’en n’auront jamais fini d’en débattre.
Oui mais moi je vous parle de la vérité crue, celle du terrain, celle des faits divers, celle des faits normalement avérés. Celle qui se produit là sous nos yeux et qui ne devrait être sujette à aucune déformation. Mais non, on vous dit que vous n’aviez pas les bonnes lunettes, qu’en fait vous n’avez rien vu, qu’en fait eux n’ont rien vu, que ce que vous avez vu ou entendu n’a jamais existé, et cela continue jusqu’à démembrer toute réalité. Insensé ! De quoi transformer toute news en fake news et toute vérité en doute. En arabe vérité c’est haqiqa, avec le mot haq, le droit. Sans vérité pas de droit et pas de droit sans vérité. Et c’est bras dessus, bras dessous que vérité et droit ont depuis longtemps déserté les lieux nous laissant hagards dans le brouillard opaque du non savoir et de ce fait incapables d’avancer. Amorphes et faibles, si faibles. Et Saïd Akl avait bien compris que « La force est dans l’union autour de la vérité » Il avait aussi écrit que « La vérité assure la majorité contre les millions qui l’ignorent. Qui possède la vérité ne craint rien. » Il faudrait déjà, pour aller chercher la vérité au fond du puit, et revelare velum, avoir du courage, qualité qui manque cruellement aux hautes sphères qui préfèrent se voiler la face que de lever le voile.
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