Qui l’a emporté devant la CIJ?

La Cour internationale de justice (ou Cour mondiale), basée à La Haye, a rendu son ordonnance le 26 janvier. Elle a identifié un risque génocidaire à Gaza et, par conséquent, elle a ordonné à l’État Hébreu de «prévenir et punir toute incitation au génocide». Elle n’a cependant pas décrété un cessez-le-feu, en dépit du fait que la majorité des dix-sept juges ont reconnu «qu’il existait un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé» à la population civile.

Scandaleux de parler de génocide?
André Perrin, agrégé de philosophie, a considéré qu’il était scandaleux de parler de génocide à Gaza»1. Pour lui, le génocide est une catégorie juridique strictement définie par une convention adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1948 et le Statut de Rome instituant en 1998 la Cour pénale internationale. Cette définition vise des actes commis dans «l’intention de détruire en tout ou partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux...»2. Et, il faut croire, que l’on bute, encore une fois, sur l’établissement de la preuve de l’élément intentionnel du crime! D’ailleurs, une des juges siégeant à la Cour mondiale, Julia Sebutinde de l’Ouganda, dans son opinion dissidente, a déclaré que l’Afrique du Sud n’a pas apporté la preuve de l’intention génocidaire, dont elle avait cependant la charge, et que de ce fait la partie plaignante ne pouvait guère invoquer l’application de la Convention de 1948. D’ailleurs, la juge ougandaise a été la seule, avec bien entendu le représentant d’Israël, à s’opposer à l’adoption des six mesures d’urgence prises à la majorité. Cette juge ougandaise n’a pas manqué de déclarer, au titre de l’obiter dictum, que le conflit entre «l’État d’Israël et le peuple de la Palestine est essentiellement et historiquement un conflit politique ou territorial (ou oserai-je dire idéologique)»3.
Qui l’a emporté?
Les Gazaouis espéraient une décision exigeant le cessez-le-feu immédiat. Ils ont été déçus, même si on n’arrête pas de leur répéter qu’ils ont gagné cette première manche, puisque enfin un doigt accusateur pointe vers Israël. Et de fait, la Cour internationale de justice reconnaît l’existence d’un risque génocidaire à Gaza et ordonne à l’État hébreu de «prévenir et punir toute incitation au génocide».
Quant aux Israéliens, furieux, ils dénoncent cette ordonnance de la Cour mondiale et déclarent s’en moquer comme de l’an quarante. Le président israélien, Isaac Herzog, déclare que ladite décision n’est qu’un chiffon de papier à déchirer et Itamar Ben-Gvir, membre du Cabinet israélien, a été plus bref encore en twittant: «Hague Shmague», jeu de mot yiddish pour «La Haye-ineptie».


En revanche, l’Afrique du Sud estime qu’il s’agit aujourd’hui d’une victoire pour la «protection de la vie de civils innocents et pour l’avenir du droit international». En prenant l’initiative de porter plainte, elle s’est réservé une place de choix sur la scène mondiale. Elle a utilisé Gaza comme marchepied pour se hisser au rang de moralisateur dans la voie tracée par Nelson Mandela. Son président, Cyril Ramaphosa, a critiqué toutes les parties qui lui avaient déconseillé de se mêler de ce qui ne le regardait pas. Jouissant de l’adhésion de l’opinion mondiale ulcérée par la dévastation de Gaza, il a pu déclarer lors d’une adresse télévisée: «Aujourd’hui, Israël se tient devant la communauté internationale, ses crimes contre les Palestiniens mis à nu… Nous sommes en droit d’attendre de la part d’Israël, qui se proclame démocratie et État qui respecte la règle de droit, de se plier aux décisions prises par la CIJ.»
Une Palestine livrée à elle-même
Qu’une nation émergente comme l’Afrique du Sud se soit portée au secours de Gaza, cela nous laisse entrevoir qu’à l’avenir, l’affaire de la Palestine se règlera sans l’implication des pays arabes. Ces derniers auront privilégié leurs propres intérêts en cherchant la normalisation avec l’État hébreu. Ni l’Égypte, ni la Syrie n’entreront en guerre par solidarité comme ils l’auraient fait en 1948, en 1967 ou 1973. Quand on songe que pas une capitale du Moyen-Orient n’a osé porter plainte devant une instance internationale, comme n’a pas manqué de le faire si opportunément Pretoria!
Les Palestiniens sont seuls face à Israël et l’Iran mène son jeu, en laissant verser le sang des Arabes, de Bab el-Mandab jusqu'au sud libanais. C’est ainsi que le pays des mollahs croit pouvoir avancer ses pions et maintenir son avantage. Mais, par ailleurs, personne ne pouvait s’attendre à ce que le monde entier se hérisse de la sorte à la suite du raid du 7 octobre et des représailles qui l’ont suivi. Rien qu’à suivre les manifestations dans les villes européennes et sur les campus des universités américaines, nous concevons une idée du bouleversement des mentalités occidentales!
Difficile de l’admettre! Mais la cause palestinienne ne relève plus d’un antagonisme israélo-arabe, comme nous avions appris à le croire et à le vivre. C’est strictement un conflit israélo-palestinien, qui attend d’être réglé, si cela se fait, en conformité avec le droit international et ses règles, sous l’œil plus ou moins vigilant du Sud global et d’alliés virtuels.
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1- André Perrin, «Pourquoi il est scandaleux de parler de génocide à Gaza», Le Figaro, le 12 décembre 2023.
2- Article 6, Statut de Rome, 1998.
3- «Defiant ICJ judge says Israel-Gaza war is 'political,' has no place in World court», Haaretz, le 27 janvier 2024.
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