Captagon: dans la tête du consommateur (1/3)
"Drogue du conflit syrien", " drogue des djihadistes "… les surnoms du Captagon sont nombreux et ne manquent pas d’alimenter l’imaginaire collectif. Mais qu’en est-il réellement et surtout, quels sont ses effets à court et long termes? 

Le Captagon est un stimulant à base d’amphétamines. Illégal, sa fabrication à moindre coût et relativement simple en fait l’objet de nombreux trafics, principalement au Moyen-Orient. Prisé par certains combattants durant le conflit syrien, il l’est surtout dans les pays du Golfe où la demande est la plus forte depuis les années 90. Une clientèle éclectique y est attirée par les effets de ce speed bon marché. "La prise de Captagon engendre des changements biologiques dans le cerveau, explique à Ici Beyrouth Ramzi Haddad, psychiatre. Certains neurotransmetteurs comme la dopamine, la sérotonine et la noradrénaline augmentent. Les effets psychoactifs sont surtout dus à l’action sur la dopamine et la sérotonine qui engendrent une sensation d’être high, heureux, fort et euphorique. La vigilance et la concentration sont également accrues."

Le Captagon est une contrefaçon d’un médicament éponyme aujourd’hui interdit. Un psychotrope à l’origine destiné à traiter la narcolepsie, l’hyperactivité et la dépression. "Les effets néfastes du Captagon étaient plus importants que ceux positifs, poursuit le Dr Haddad. Il a été interdit dans les années 80." Contrefaçon oblige, le Captagon actuel diffère du produit original, dont le principe actif, la fénétylline, n’est plus produit. Une composition variée et parfois aléatoire avec pour dénominateur commun la caféine, comme le relevait en 2017 Laurent Laniel, chercheur à l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), dans son rapport: Captagon : déconstruction d'un mythe. "Des analyses réalisées par le Bundeskriminalamt allemand sur quatre échantillons provenant de différentes saisies de Captagon effectuées au Liban en 2013 montrent des comprimés contenant de 8 % à 14 % de sulfate d’amphétamine, 12 % à 35 % de caféine, 10 % à 14 % de théophylline, 6 % à 20 % de paracétamol et 30 % à 50 % d’excipients divers. […]" "Il semblerait que, dans une majorité de cas, la substance active rencontrée en plus grande quantité dans les comprimés de Captagon soit la caféine." Ce dernier "amplifie l’aspect stimulant", précise Ramzi Haddad.

En ce qui concerne les amphétamines, il y en a différents types. "Il y a les amphétamines, certes, mais aussi la métamphétamine qui en est une variante, souligne-t-il. Donc la composition exacte et la quantité de produits amphétaminiques présents dans le Captagon ne sont pas toujours claires et nécessairement uniformes. Les effets néfastes sont principalement dus à cette composante, qui peut causer des délires aigus ou des hallucinations. Elle est également à l’origine du manque de fatigue." Si ces effets sont inhérents à la prise, "il y a aussi un risque à long terme de développer des psychoses, qui peuvent persister même si on arrête le captagon", précise le Dr Haddad.

Une drogue bon marché


"À Beyrouth, on voit peu de patients ayant pris du Captagon, relate le psychiatre. Mais ce que j’entends c’est que cette substance est présente dans les zones frontalières avec la Syrie comme le Nord et dans les milieux socioéconomiques très pauvres." À noter que la production libanaise semble effectivement davantage destinée à l’export qu’à une consommation locale. Selon le dernier rapport mondial de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), "le Liban et la République arabe syrienne sont les plus souvent cités comme pays d'origine des comprimés de Captagon". Dernière saisie en date : douze tonnes dissimulées dans des caisses de jus en poudre, comme l’a annoncé jeudi dernier le ministre libanais de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui. Deux jours auparavant, un autre stock destiné à l’Arabie saoudite avait été trouvé dans des caisses à thé. Fin 2021, neuf millions de comprimés avaient été trouvés dans des oranges. Côté syrien, la production industrielle massive de cette amphétamine s’effectue sous la houlette de Bachar al-Assad, dont les réseaux affiliés acheminent ensuite les cargaisons vers la péninsule arabique.

Jusque dans les années 2000, les pays balkaniques et la Turquie alimentaient le marché arabe, avec des comprimés principalement fabriqués en Slovénie, en Serbie et en Bulgarie. Mais la politique répressive menée par ces pays a engendré une relocalisation de la production au Proche-Orient, au plus près de la demande. "Ce qui est important à propos du Captagon c’est qu’il est bon marché à fabriquer, fait remarquer le Dr Haddad. Il faut un peu de connaissances en biochimie et un peu de matériel. Il est peu cher par rapport à d’autres stimulants comme la cocaïne ou la cristal méthamphétamine. Le coût de fabrication du comprimé ne dépasse pas la moitié d’un dollar." La marge des gains est donc potentiellement énorme, d’autant plus lorsque le produit est revendu dans des pays au pouvoir d’achat élevé comme l’Arabie saoudite, principal consommateur de captagon selon le rapport précité.

La pseudo drogue des djihadistes

Mis à part l’usage récréatif, la prise d’amphétamines est également plébiscitée par certains combattants pour augmenter leurs facultés. Durant la Seconde Guerre mondiale déjà, des soldats, notamment américains, avaient recours à ce stimulant pour enrayer le sentiment de fatigue et augmenter leur vigilance. Parfois considéré comme le nerf de la guerre en Syrie, le Captagon a été consommé par des combattants de factions différentes. Il n’est donc pas l’apanage de l’État islamique dont le degré de consommation de Captagon fait débat. Il convient par ailleurs de nuancer sa réputation de "drogue des djihadistes". Comme le démontre le rapport de l'OEDT, "le captagon n’a pas été mis en cause dans le cadre des divers […] attentats commis depuis 2015 en France, en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Danemark ou en Suède", contrairement aux rumeurs largement relayées à l’époque par les médias. Toujours selon le rapport, "l’amalgame Captagon-terrorisme djihadiste aurait ainsi été construit au moyen d’un procédé rhétorique reposant sur la plausibilité de certains éléments, mais pas sur l’existence de preuves solides".

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