La Syrie, épicentre mondial de la production de Captagon ? Avec une valeur marchande estimée à au moins 3,5 milliards de dollars en 2020, son commerce représenterait 5 fois la valeur des exportations légales du pays. Une source de devises étrangères non négligeable dans une économie ravagée par 10 années de conflit.

Si Damas n’a pas l’apanage de la production de Captagon, la guerre civile syrienne a indubitablement constitué un terreau propice au développement du trafic de drogues. Pendant longtemps, ce dernier a été un moyen aussi lucratif que rapide pour les groupes d’opposition d’obtenir des sources de financement. Mais aujourd’hui, et comme l’indique Jean-Gabriele de Cambourg, chargé de mission auprès de Geopragma dans une analyse parue le 12 juillet 2021, le regain d’influence territoriale du régime " rime […] avec une reprise en main du trafic de stupéfiants, tant pour la production que pour l’exportation ". Ainsi, selon un rapport du Center for Operational Analysis and Research (COAR), en 2020, les exportations syriennes de Captagon ont atteint une valeur marchande d’au moins 3,5 milliards de dollars.

À la tête, le clan al-Assad

En outre, la majeure partie de la production syrienne s’effectue aujourd’hui dans des zones contrôlées par le pouvoir. " Certains éléments objectifs laissent penser que le régime Assad y est impliqué ", note Laurent Laniel, chercheur à l’Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie. Ainsi supervisée par des proches de Bachar al-Assad, elle s’effectue dans des laboratoires sous-terrains, mais également dans des usines, la Syrie disposant historiquement d’un important complexe militaro-industriel.

Au total, au moins 15 grandes usines produisent du Captagon aux côtés d’autres drogues synthétiques, d’après les données recensées par le COAR. Selon un article publié par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) (qui réunit des journalistes d’investigation), Samer el-Assad, cousin paternel du président, dirigerait l’une d’entre elles, dans le village d’al-Basa. À noter que ces infrastructures se situent principalement le long du littoral ou de la frontière avec le Liban, notamment dans la région de Qalamoun, à l’Ouest de Damas. Un bastion du régime solidement gardé par les forces de sécurité, placées sous la responsabilité du frère du Président, le général Maher al-Assad. Chef de la Quatrième division – connue pour ses nombreuses violations des droits de l’Homme – il serait le responsable opérationnel du trafic de Captagon en Syrie. 

Selon l’OCCRP, le contrôle de Maher al-Assad " s’étend également aux villes côtières de Lattaquié et de Tartous, qui, avec leur abondance de ports officiels et non officiels, ont longtemps été un foyer pour la contrebande de marchandises illégales vers et depuis la Syrie. " D’autres personnes de l’entourage du Président, comme ses cousins germains Fawaz et Munther al-Assad, sont également reconnues comme prenant part au trafic.

Le Hezbollah complice

La position géographique des usines facilite l’exportation du Captagon. " Les régions […], notamment celle montagneuse de Qalamoun […], ont toujours été celles par lesquelles les trafics ont transité, cela en faisant des buts de guerre importants pour les milices pro-gouvernementales, notamment le Hezbollah libanais ", explique Jean-Gabriele de Cambourg dans son rapport. Car le trafic du Captagon syrien suggère a minima une implication indirecte du Hezbollah, qui exerce un contrôle accru dans les régions précitées. Mais selon le COAR, la milice ferait même passer en contrebande les précurseurs chimiques nécessaires à la synthèse des drogues. De même, " la production libanaise pour autant qu’on sache se concentre dans la Békaa, fief du Hezbollah. Il serait donc surprenant qu’il l’ignore totalement, alors même qu’il se vante d’être la première force armée du Liban ", explique Laurent Laniel.

Autre zone stratégique : celle de Nassib, un des passages les plus fréquentés de la frontière syro-jordanienne. Face à l’augmentation du trafic, la Jordanie a renforcé ses contrôles. Le 27 janvier dernier, vingt-sept trafiquants ont été tués par des militaires du royaume alors qu’ils tentaient d’y introduire des stupéfiants.

De même que l’augmentation des saisies de Captagon, cet évènement illustre une mainmise croissante du régime syrien sur ce produit. " Rien qu’en 2020, les forces de l’ordre étrangères ont intercepté pas moins de quatre cargaisons de Captagon syrien, chacune d’une valeur marchande estimée à plus de 300 millions de dollars " souligne le rapport du COAR. Mais le Liban n’est pas en reste. Premier pays à reconnaître la production sur son territoire, ses autorités s’attèlent avec un succès relatif à endiguer son trafic. " [Elles ont]  saisi 21 475 kg de Captagon en 2016 contre 116 en 2010 ", indique Jean-Gabriele de Cambourg. Première destination : l’Arabie Saoudite, où la valeur de la pilule atteint les 20 dollars pièce. 

Business mondial

Si les projecteurs sont braqués sur la Syrie à cause de sa situation politique et sécuritaire ainsi que l’ampleur de sa production, il convient de rappeler que le business du Captagon s’inscrit avant tout dans un trafic aux ramifications mondiales. " De grandes quantités d’amphétamines sont également produites en Europe et exportées vers les pays du Golfe ", note Laurent Laniel. Il ajoute également que la Chine est la principale source des précurseurs de l’amphétamine saisis en Europe et " soupçonne que ce soit la même chose [au Proche-Orient, NDLR] ".

Enfin, certains acteurs européens sont également soupçonnés de prêter main forte à la production de Captagon en Syrie et au Liban. " Il y a eu des cas dans le passé, notamment un Belge et un Bulgare qui ont été repérés au Liban. Il s’agissait d’acteurs prééminents de la production de drogues de synthèse en Europe ".  Quant aux saisies, " il y en a aussi eu en provenance d’Asie du Sud-Ouest, notamment du Pakistan. On sait également que beaucoup de méthamphétamine est produite en Afghanistan ", conclut-il.

Lire aussi : Captagon 1/3 : dans la tête du consommateur