L’optimisme relayé par l’émissaire qatari concernant la position du président de la Chambre, Nabih Berry, au sujet de l’échéance présidentielle a fait long feu.
L’espoir prudent des ambassadeurs du groupe des Cinq (Arabie saoudite, Égypte, États-Unis, France et Qatar) quant à une percée potentielle, même modeste, dans l’impasse de la présidentielle, s’est aussitôt dissipé après l’engagement inébranlable de M. Berry en faveur d’une séance de dialogue en vue de parvenir à un consensus sur l’élection d’un président de la République.
Les ambassadeurs du Quintette ont conclu que la position actuelle de Nabih Berry ne correspond aucunement à celle véhiculée par l’envoyé qatari concernant le «nombre de principes relatifs à la présidentielle». En effet, M. Berry était convaincu de l’impossibilité d’accès à la présidence de la République de son candidat, Sleiman Frangié, – faute de soutien chrétien et international – et n’a exprimé aucun refus quant à un troisième élu potentiel. De plus, plusieurs noms ont été avancés, sans qu'il ne s’y oppose. Le président de la Chambre avait même approuvé la tenue d’une séance ouverte jusqu’à ce qu’un président de la République soit élu.
En amont de la visite des ambassadeurs du Quintette à Berry, une réunion à laquelle a assisté une délégation du Hezbollah et des représentants de Bkerké a eu lieu chez un député de Kesrouan. La délégation a transmis le message suivant au Patriarcat maronite: «Le parti plaide en faveur d'un dialogue pour parvenir à un consensus sur la présidence de la République.» Berry a évidemment rétropédalé suite aux développements liés au cessez-le-feu à Gaza et à l'insistance du Hezbollah sur un dialogue.
Selon des milieux proches de l’opposition, le changement de position du tandem chiite serait le résultat des efforts déployés en vue de déclarer une trêve de 45 jours renouvelables à Gaza, durant laquelle les prisonniers et otages seraient libérés des deux côtés. Cela constituerait la première étape en voie d’un règlement politique fondé sur la solution des deux États. À en croire des sources proches du Hezb, le parti est de plus en plus inquiet, notamment après la déclaration du ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant: «Que le Hezbollah se détrompe: un cessez-le-feu à Gaza ne signifie pas une cessation des hostilités au Liban. Aucun cessez-le-feu n’aura lieu avant que les habitants du Nord puissent regagner leurs domiciles en toute sécurité». Cette position a incité le Hezbollah à réévaluer la sienne suite à l'initiative du Quintette pour élire un président et aux efforts diplomatiques exhortant le parti à respecter la mise en œuvre de la résolution 1701 de l'ONU. Sans compter la délimitation des frontières terrestres avec Israël – jusqu’à Chebaa, conformément aux textes des Nations-unies et aux frontières reconnues par la communauté internationale en 1932 et consacrées par les accords d’armistice de 1949. Tous ces facteurs ont éveillé les soupçons du Hezbollah quant à un plan régional et international visant à mettre fin à son rôle de prétendue «résistance» militaire à la suite d'un cessez-le-feu à Gaza et de la délimitation de la frontière terrestre à partir du point litigieux B1 à Naqoura.
Aussi le parti pro-iranien a préféré garder le dossier présidentiel loin de toute négociation pour en faire un moyen de pression au besoin. Il ne renoncera ni à son rôle, ni à ses armes, et refusera tout candidat qui se tiendrait contre l’axe de la résistance et menacerait son existence. Au lieu de quoi, il souhaite un candidat répondant à ses conditions et spécifications.
En pratique, le Hezbollah instrumentalise les dossiers du Sud et de la présidentielle pour faire pression sur les Américains et les pousser à lui faire une nouvelle proposition, par le truchement d’Amos Hochstein, leur envoyé spécial pour les affaires énergétiques internationales, en concomitance avec le cessez-le-feu à Gaza.
À en croire des sources proches de la banlieue sud, M. Hochstein serait porteur de la proposition suivante: «Vous pouvez obtenir la présidence si vous respectez les termes de la résolution 1701». Cependant, un médiateur étranger a souligné: «Il n’y a aucune indication de la part du Hezbollah concernant un marché ou un accord sur l’application de la résolution 1701 sans contrepartie. Aucun candidat n’a été mis en avant non plus».
En parallèle, les Forces libanaises maintiennent leur refus catégorique de toute forme de compromis ou de négociation portant sur cette question. Ils affirment «qu’en 1988, nous avons refusé l’ultimatum américain “Mikhael Daher ou le chaos”, et cela vaut encore en 2024, sachant que la situation actuelle au Liban n’est pas comparable à 1988, et que l’axe de la résistance perd du terrain». Avant d'ajouter: «Les Libanais ont connu la désolation causée par les présidents pro-résistance, qui se sont avérés incapables de gérer les affaires du pays. Pour les FL, tout compromis est peu probable, et l'équation supposée d'échanger le retrait du Hezbollah du sud du Litani contre un président qui convienne au parti est catégoriquement exclue de la table des négociations.
Alors que les messages d’Amos Hochstein au Hezbollah soulignent l'impératif de respecter la résolution 1701, le parti insiste pour avoir son mot à dire dans le dossier présidentiel. M. Berry a fini par transformer les ambassadeurs du Quintette en «intermédiaires» discrets dont le rôle est de transmettre des messages entre les factions concernées.
Selon des sources diplomatiques, le dossier présidentiel occupe une place prépondérante au sein des efforts déployés pour jeter les fondements du jour d’après la guerre. À l’heure actuelle, des négociations sont en cours pour résoudre le conflit à Gaza et, plus largement, dans la région. C’est la raison pour laquelle le groupe des Cinq pousse en faveur d’une troisième option, que le tandem chiite rejette pour garder son «droit de véto» et imposer son propre candidat présidentiel. Selon l’ambassadeur égyptien à Beyrouth, Alaa Moussa, «le Quintette fait des efforts concertés, mais la décision finale appartient au Liban».
Alors que M. Berry insiste sur la nécessité cruciale du dialogue, évoquant les divisions parlementaires qui entravent les élections présidentielles, une source bien informée soutient que «ce que nous voyons actuellement n’est qu’une temporisation entre l'Iran et l'Arabie saoudite avant les élections américaines, et qu'aucune percée n'est probable (au Liban) avant celles-ci».
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