Le gouvernorat de la Banque du Liban continue de faire l’objet d’une campagne effrénée dont les motivations ne sont pas toujours innocentes, car souvent suscitées par des considérations opportunistes personnelles et/ou politiques. Indépendamment des critiques qui pourraient être formulées de manière sereine au sujet de la politique suivie par la BDL au cours des dernières années, et afin de se forger une opinion à cet égard sur une base rationnelle, il convient de percevoir l’action de la Banque du Liban depuis 1993 en prenant pour une fois en considération le contexte politique et sécuritaire global qui a torpillé tous les efforts de stabilisation et de redressement dans le pays depuis vingt ans. Un paramètre que beaucoup passent sous silence soit pour des raisons inavouables, soit parce qu’ils oublient que nous n’avons pas à faire à la Banque centrale… suédoise, à titre d’exemple ! Une chronologie des faits et des événements au cours de ces vingt dernières années pourrait éclairer notre lanterne sur ce plan :
- 1993, frappe israélienne. À peine en convalescence, le pays subit une offensive israélienne suite à une attaque du Hezbollah. Une première secousse qui relativise l’optimisme qui prévaut avec la venue de Rafic Hariri au pouvoir et de Riad Salamé à la BDL.
- 1993-1995, le plan de reconstruction. Ce plan, contrairement à ce qu’on dit, ne prévoyait pas un endettement excessif, en tout cas pas interne, privilégiant les fonds arabes et internationaux au vu de leurs conditions favorables. La plupart des projets devaient être exécutés par le secteur privé selon la formule BOT (Build, Operate, Transfer). Sauf que les forces dominantes (Syriens et alliés) ne voulaient pas en perdre le contrôle, ni l’argent qui va avec.
- 1995, reconduction du mandat présidentiel. Le mandat Hraoui arrive à terme le 24 novembre 1995. Mais les Syriens entretiennent la tension jusqu’au dernier moment, provoquant une spéculation inattendue contre la livre libanaise. C’est à ce moment qu’est lancée cette fameuse émission très politisée de bons de trésor à 40%. Il y a eu de fortes suspicions sur le fait que les Syriens ont profité et de la spéculation et des bons du trésor.
- 1996, deuxième guerre Israël-Hezbollah. Le climat d’affaires commence alors à changer. La croissance des premières années sera réduite de moitié. Le risque pays se dégrade, entraînant dans sa chute les investissements, notamment productifs.
- 1997, le dollar à 1.507,5 LL. Malgré le climat politico-sécuritaire parfois lourd, Riad Salamé défend l’idée de protéger le pouvoir d’achat et de reconstituer la classe moyenne, ce qu’il finira par accomplir plus tard avec les dizaines de milliers de crédits bonifiés bénéficiant aux ménages (logement et éducation) comme aux secteurs productifs.
- 1999, troisième guerre Israël-Hezbollah. La succession de ces secousses va peser sur la situation financière, ce qui va nécessiter une initiative internationale.
- 2002, Paris II. Un groupe international se réunit pour offrir une aide multiforme. Des milliards de dollars sont promis contre des réformes… Réformes que le président Émile Lahoud balaie d’un revers de la main lors du premier Conseil des ministres après la conférence. Un scénario qui va devenir récurrent. La BDL et les banques participent néanmoins à l’effort de financement, en annulant une partie de la dette publique et en réduisant sa charge annuelle, ce qui a pour effet de diminuer les taux d’intérêts de moitié.
- Les banques sous pression. Dès les années 90, une multitude de banques politisées et/ou mal gérées constituent une menace pour le secteur. Mais Riad Salamé les force, l’une après l’autre, à s’engager dans des fusions-acquisitions. Plus de trente opérations sans qu’un seul déposant ne perde son argent …
- 2004, la banque al-Madina. Un établissement créé par les frères Adnan et Ibrahim Abou-Ayache, mais géré par la toute puissante Rana Koleilate. En offrant des taux d’intérêt élevés, la banque se hisse parmi le top 10. Le clan Koleilate et associés, clairement soutenu par les Syriens et leurs alliés locaux, met graduellement la main sur ce butin, sans se soucier des directives de la BDL. Rustom Ghazalé jouit d’une carte bancaire à plafond illimité. Rana Koleilate nargue Riad Salamé en l’appelant depuis Anjar pour lui signifier qu’il ne peut rien contre elle. Le "trou" atteint à un moment donné 1,3 milliard de dollars. Alors que les autorités du pays restent inertes devant ce fait qui risque de provoquer une contagion systémique, Riad Salamé parvient en fin de compte à réduire le déficit à 300 millions de dollars, puis, au péril de sa vie, dissoudre la banque en désignant un liquidateur.
-2005, les assassinats. Rafic Hariri d’abord, suivi de dix autres personnalités. La BDL tente de garder le système à flot malgré la sortie de capitaux. Les taux d'intérêts resteront cependant bien en dessous de ce que la notation internationale du pays prévoit.
- 2006, guerre de juillet. Ce conflit de grande envergure, provoqué par le Hezbollah, va aussi mener à une fuite de capitaux, en plus des pertes colossales. C’est aussi le début d’une série de périodes prolongées de vacances du pouvoir, lequel fonctionne sans budget et à un niveau de corruption inégalé. La conférence Paris III donnera quelques mois plus tard une bouffée d’oxygène au pays tout en réitérant les mêmes demandes de réformes.
-2008, le blitz. Après 15 mois d’occupation du centre-ville, le Hezbollah envahit militairement Beyrouth-Ouest et certaines régions de la Montagne druze, laissant planer la menace d’une reprise de la guerre civile. Encore un coup dur pour la situation financière, heureusement compensé par un afflux de capitaux qui fuient la crise internationale.
-2011, la crise syrienne. En plus de l’afflux des réfugiés et de la participation du Hezbollah au conflit, les sanctions internationales contre le régime syrien mettent notre système bancaire à rude épreuve, car les hommes d’affaires syriens utilisent nos facilités bancaires pour leurs transactions. La peur des sanctions provoque chez les banques un mouvement de "de-risking" (éviter tout contact avec tous les Syriens par prudence). Cependant, les Syriens continuent d’utiliser illégalement le Liban pour se fournir en marchandises, en carburants… et en dollars. Riad Salamé y fait référence à plusieurs reprises, sans résultat.
-2015, les sanctions américaines contre le Hezbollah. Les banques, qui ne peuvent pas pratiquer ici le "de-risking" et sanctionner toute une communauté, évoluent dans un champ de mines. La BDL, appelée alors au secours par les autorités, accepte de statuer au cas par cas chaque fois qu’une banque veut clore un compte. Mais cela ne protège ni l’une ni l’autre. S’il y a erreur de calcul, ce sont la banque concernée ET la Banque centrale qui seront placées sous sanctions. Deux banques succombent pour avoir enfreint ces règles. Riad Salamé doit à chaque fois manœuvrer pour en minimiser les répercussions et la fuite de capitaux.
-2016, Riyad ferme le robinet. L’Arabie Saoudite annonce l’annulation de son plan de financement militaire et civil de 4 milliards de dollars en raison de la politique de plus en plus hostile des gens du pouvoir. Une source historique "d’argent frais" tarit ainsi subitement.
- 2017, l’échelle des salaires. Il s’agit de la dernière en date des décisions financières catastrophiques que le pouvoir prend, en dépit de l’avis contraire de Riad Salamé, des banques et des organismes économiques.
-2018, la conférence de Paris (CEDRE). Une 4e conférence bâtie sur le même système : financement contre réformes. C’est la dernière chance avant l’effondrement. À chaque étape similaire, le gouverneur a calculé que le système pourrait redémarrer si le plan mis au point était exécuté. À chaque fois, il a été dupé, tout comme les donateurs.
-2019, une vaste contestation populaire accélère l’effondrement généralisé.
Lire aussi : Liban : les télécoms en mode survie
- 1993, frappe israélienne. À peine en convalescence, le pays subit une offensive israélienne suite à une attaque du Hezbollah. Une première secousse qui relativise l’optimisme qui prévaut avec la venue de Rafic Hariri au pouvoir et de Riad Salamé à la BDL.
- 1993-1995, le plan de reconstruction. Ce plan, contrairement à ce qu’on dit, ne prévoyait pas un endettement excessif, en tout cas pas interne, privilégiant les fonds arabes et internationaux au vu de leurs conditions favorables. La plupart des projets devaient être exécutés par le secteur privé selon la formule BOT (Build, Operate, Transfer). Sauf que les forces dominantes (Syriens et alliés) ne voulaient pas en perdre le contrôle, ni l’argent qui va avec.
- 1995, reconduction du mandat présidentiel. Le mandat Hraoui arrive à terme le 24 novembre 1995. Mais les Syriens entretiennent la tension jusqu’au dernier moment, provoquant une spéculation inattendue contre la livre libanaise. C’est à ce moment qu’est lancée cette fameuse émission très politisée de bons de trésor à 40%. Il y a eu de fortes suspicions sur le fait que les Syriens ont profité et de la spéculation et des bons du trésor.
- 1996, deuxième guerre Israël-Hezbollah. Le climat d’affaires commence alors à changer. La croissance des premières années sera réduite de moitié. Le risque pays se dégrade, entraînant dans sa chute les investissements, notamment productifs.
- 1997, le dollar à 1.507,5 LL. Malgré le climat politico-sécuritaire parfois lourd, Riad Salamé défend l’idée de protéger le pouvoir d’achat et de reconstituer la classe moyenne, ce qu’il finira par accomplir plus tard avec les dizaines de milliers de crédits bonifiés bénéficiant aux ménages (logement et éducation) comme aux secteurs productifs.
- 1999, troisième guerre Israël-Hezbollah. La succession de ces secousses va peser sur la situation financière, ce qui va nécessiter une initiative internationale.
- 2002, Paris II. Un groupe international se réunit pour offrir une aide multiforme. Des milliards de dollars sont promis contre des réformes… Réformes que le président Émile Lahoud balaie d’un revers de la main lors du premier Conseil des ministres après la conférence. Un scénario qui va devenir récurrent. La BDL et les banques participent néanmoins à l’effort de financement, en annulant une partie de la dette publique et en réduisant sa charge annuelle, ce qui a pour effet de diminuer les taux d’intérêts de moitié.
- Les banques sous pression. Dès les années 90, une multitude de banques politisées et/ou mal gérées constituent une menace pour le secteur. Mais Riad Salamé les force, l’une après l’autre, à s’engager dans des fusions-acquisitions. Plus de trente opérations sans qu’un seul déposant ne perde son argent …
- 2004, la banque al-Madina. Un établissement créé par les frères Adnan et Ibrahim Abou-Ayache, mais géré par la toute puissante Rana Koleilate. En offrant des taux d’intérêt élevés, la banque se hisse parmi le top 10. Le clan Koleilate et associés, clairement soutenu par les Syriens et leurs alliés locaux, met graduellement la main sur ce butin, sans se soucier des directives de la BDL. Rustom Ghazalé jouit d’une carte bancaire à plafond illimité. Rana Koleilate nargue Riad Salamé en l’appelant depuis Anjar pour lui signifier qu’il ne peut rien contre elle. Le "trou" atteint à un moment donné 1,3 milliard de dollars. Alors que les autorités du pays restent inertes devant ce fait qui risque de provoquer une contagion systémique, Riad Salamé parvient en fin de compte à réduire le déficit à 300 millions de dollars, puis, au péril de sa vie, dissoudre la banque en désignant un liquidateur.
-2005, les assassinats. Rafic Hariri d’abord, suivi de dix autres personnalités. La BDL tente de garder le système à flot malgré la sortie de capitaux. Les taux d'intérêts resteront cependant bien en dessous de ce que la notation internationale du pays prévoit.
- 2006, guerre de juillet. Ce conflit de grande envergure, provoqué par le Hezbollah, va aussi mener à une fuite de capitaux, en plus des pertes colossales. C’est aussi le début d’une série de périodes prolongées de vacances du pouvoir, lequel fonctionne sans budget et à un niveau de corruption inégalé. La conférence Paris III donnera quelques mois plus tard une bouffée d’oxygène au pays tout en réitérant les mêmes demandes de réformes.
-2008, le blitz. Après 15 mois d’occupation du centre-ville, le Hezbollah envahit militairement Beyrouth-Ouest et certaines régions de la Montagne druze, laissant planer la menace d’une reprise de la guerre civile. Encore un coup dur pour la situation financière, heureusement compensé par un afflux de capitaux qui fuient la crise internationale.
-2011, la crise syrienne. En plus de l’afflux des réfugiés et de la participation du Hezbollah au conflit, les sanctions internationales contre le régime syrien mettent notre système bancaire à rude épreuve, car les hommes d’affaires syriens utilisent nos facilités bancaires pour leurs transactions. La peur des sanctions provoque chez les banques un mouvement de "de-risking" (éviter tout contact avec tous les Syriens par prudence). Cependant, les Syriens continuent d’utiliser illégalement le Liban pour se fournir en marchandises, en carburants… et en dollars. Riad Salamé y fait référence à plusieurs reprises, sans résultat.
-2015, les sanctions américaines contre le Hezbollah. Les banques, qui ne peuvent pas pratiquer ici le "de-risking" et sanctionner toute une communauté, évoluent dans un champ de mines. La BDL, appelée alors au secours par les autorités, accepte de statuer au cas par cas chaque fois qu’une banque veut clore un compte. Mais cela ne protège ni l’une ni l’autre. S’il y a erreur de calcul, ce sont la banque concernée ET la Banque centrale qui seront placées sous sanctions. Deux banques succombent pour avoir enfreint ces règles. Riad Salamé doit à chaque fois manœuvrer pour en minimiser les répercussions et la fuite de capitaux.
-2016, Riyad ferme le robinet. L’Arabie Saoudite annonce l’annulation de son plan de financement militaire et civil de 4 milliards de dollars en raison de la politique de plus en plus hostile des gens du pouvoir. Une source historique "d’argent frais" tarit ainsi subitement.
- 2017, l’échelle des salaires. Il s’agit de la dernière en date des décisions financières catastrophiques que le pouvoir prend, en dépit de l’avis contraire de Riad Salamé, des banques et des organismes économiques.
-2018, la conférence de Paris (CEDRE). Une 4e conférence bâtie sur le même système : financement contre réformes. C’est la dernière chance avant l’effondrement. À chaque étape similaire, le gouverneur a calculé que le système pourrait redémarrer si le plan mis au point était exécuté. À chaque fois, il a été dupé, tout comme les donateurs.
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