La série à suspense des «plans» de sortie de crise se poursuit avec grand succès sur la chaîne cryptée gouvernementale, en gardant la même thématique, mais en variant le plaisir sur le style et l’appellation. On a eu ainsi depuis quatre ans une dizaine de plans estampillés «redressement», «sauvetage», «restructuration», «recouvrement»… En réalité, ils ressemblaient davantage, dans le genre série à braquage, à un remake de Casa de Papel, le charisme du Professor en moins.
Tout a commencé avec la feuille de chou de Hassane Diab, puis continué avec d’autres légumes de la même famille des brassicacées. Et ça ne se terminera pas avec le dernier cornichon de Saadé Chami, arrivé à maturation il y a quelques jours.
Il serait inutile et prématuré de rentrer dans le détail de ce soi-disant dernier plan qui, vu la quantité de flèches qui lui ont été lancées de tout bord, risque fort d’être mort-né. Funérailles, deuil, échanges acerbes sur les responsabilités et messe de requiem suivront avant qu’un nouveau «plan» de même acabit pousse dans le même potager.
Mais il serait intéressant d’extraire les dénominateurs communs de tous ces plans. Ou encore ce qui cloche en réalité, et qui fait de ces plans des œuvres de destruction massive.
1. D’abord, tous ces plans touchent directement le secteur bancaire, sans que ce secteur soit invité à y participer. Il n’a qu’à lire, à chaque fois, dans la presse ce qu’on a concocté pour lui et d’exécuter. Idem pour les déposants, une caste encombrante considérée comme une quantité négligeable.
2. Ensuite, dans tous ces plans, l’État fait abstraction de ses dettes, qu’il doit aux détenteurs des eurobonds, à la banque centrale, aux banques ou à d’autres. Autrement dit, il n’a pas l’intention de payer quoi que ce soit à quiconque. Un déni pathologique de la réalité, car, s’il peut tenter d’escroquer les parties locales (même au risque de détruire l’économie du pays), il ne pourra échapper aux créditeurs étrangers.
Le Conseil d’État vient d’ailleurs de donner raison aux banques qui contestaient une décision du Conseil des ministres de 2022 stipulant l’élimination d’une bonne partie des engagements de la BDL envers les banques.
3. Le pouvoir en place ne reconnaît pas que la banque centrale fait partie de l’État, que celui-ci en est responsable, juridiquement et organiquement. L’autonomie supposée de la BDL ne change rien à l’affaire. Voilà l’EDL, un autre corps autonome, qui a englouti des dizaines de milliards de dollars de l’argent public, provoquant des coliques chroniques chez le fournisseur public et les ministres successifs concernés.
4. Il n’y a pas, comme on avance souvent, quatre parties pour supporter le fardeau: l’État, la BDL, les banques et les déposants. Il n’y a que deux parties: L’État, y compris la BDL, d’un côté, et les banques avec leurs déposants de l’autre (et à travers eux, toute la société et les entreprises).
5. La tentative continue de faire opposer banques et déposants, sournoisement incrustée entre les lignes dans tous les plans, est une supercherie aussi grosse qu’une citrouille, pour rester dans le potager. Ce qui touche l’un touche l’autre et vice versa. La prospérité de l’un se reflètera sur l’autre, et une faillite bancaire entraînera les dépôts dans son abîme.
6. La rengaine de scruter la situation de chaque banque, pour décider si elle est en état de faillite ou non, est encore une supercherie, dans l’état actuel des choses. Pourquoi? Parce que pour calculer les actifs d’une banque, il faut savoir si la banque centrale et l’État vont lui rendre les montants qui lui sont dus, dans quelle proportion et dans quelle monnaie. Puis décider quelle valeur accorder à ses possessions immobilières ou aux anciens crédits. Cela dépendra aussi du taux de change du dollar à appliquer sur leurs comptes financiers.
7. Pour connaître l’avenir de la banque, savoir si elle pourra fonctionner normalement à nouveau ou sombrer, il faut d’abord avoir décidé quels moyens elle aura pour dégager des revenus, quel argent on lui permettra d’utiliser pour octroyer de nouveaux crédits, qui est son activité lucrative vitale: les 3,5 milliards dollars frais déjà déposés? Les 9 milliards de réserves toujours aux mains de la BDL? D’autres montants éventuellement récupérés de la dette étatique et des placements à la BDL?
8. Ensuite, il faut arriver à définir, en fin de compte, ce fameux «fonds de récupération des dépôts», un fantôme de l’opéra dont on parle occasionnellement, mais sans préciser comment ce fonds va être alimenté, quels montants espère-t-on dégager et comment répartir cette somme. Et ceci, au moment où le ras-des-pâquerettes du populisme bas de gamme surgit à chaque fois pour déclamer que «les actifs de l’État appartiennent à tout le peuple et non à certains déposants».
Bref, avec tous ces plans, et notamment le dernier en date («restructuration des banques»), on tente de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, avant d’acheter une carabine, d’apprendre à chasser, d’avoir un permis de chasse, de corriger sa myopie pour ne pas tirer dans la masse et même avant de planifier comment piller l’argent de la vente.
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