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- Et si l’on écoutait Ehud Olmert...
Un mauvais sujet que ce Monsieur Ehud Olmert! Juriste de formation, il a été le Premier ministre d’Israël de janvier 2006 à mars 2009. Il a rudement bombardé le Liban en 2006. Néanmoins, sa férocité ne lui a pas porté bonheur: il a fini derrière les barreaux. Il a fait de la prison pour corruption. Cela dit, nous aurions tout intérêt à l’écouter. Après tout, il en sait plus que nous sur ces messieurs qui jouent avec l’avenir de la paix à Tel-Aviv.
Ben Gvir et Smotrich, un duo de pogromistes
Dans son réquisitoire, il(1) s’en est pris vertement aux deux ministres Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, membres de la coalition ayant porté Netanyahou au pouvoir. Il les traite, tenez-vous bien, de «gang de pogromistes»! Car, d’après lui, leur but déclaré est de «purger» la Cisjordanie de sa population palestinienne et d’éradiquer toute présence musulmane au mont du Temple. Tout cela se ferait dans le but d’annexer lesdits territoires à l’État d’Israël. Pour arriver à leurs fins, ces deux éminences grises vont jusqu’à prétendre que la guerre actuellement menée est une guerre de survie. Par conséquent, tout serait permis et Israël ne devrait pas se poser de questions quant aux moyens à utiliser pour abattre l’ennemi. Bref, il s’agirait là d’une guerre totale où nulle convention internationale n’est plus à respecter.
Pire encore, le duo Ben Gvir-Smotrich aurait d’ores et déjà sacrifié les otages entre les mains du Hamas; c’est à ce prix que l’offensive sur Rafah pourrait être menée, au point même de remettre en cause les accords de paix conclus entre l’État hébreu et l’Égypte. Un surcroît de violence est requis pour élargir les limites du conflit, quitte à bouleverser le paysage politique du Proche-Orient! Et tant pis pour les dirigeants arabes qui, souhaitant en catimini la liquidation du Hamas, ne pourront que se désengager des processus des paix «abrahamiques», sous la pression de leurs rues respectives.
MAD ou «Mutual Assured Destruction»
Ce qui vaut pour Gaza et la Cisjordanie, vaut-il également pour le Liban? Selon Olmert, le tandem en question ne veut pas d’une accalmie à sa frontière nord: il tient à y poursuivre les hostilités. «Une guerre ne pourrait que conforter l’idée qu’il n’y a d’autre choix que la destruction de tous les ennemis, sur tous les fronts et dans tous les secteurs, quel qu’en soit le prix».
Yossi Melman, journaliste et versé en stratégie militaire, a de son côté sonné le tocsin et attiré l’attention sur le risque qu’on prendrait à s’attaquer au Liban. Certes, d’après lui, si la machine de guerre israélienne est en mesure d’infliger des destructions massives à notre pays, l’inverse est tout aussi vrai. Le Hezbollah a de quoi exercer des représailles à l’identique: cette milice pro-iranienne «dispose de 120.000 à 150.000 projectiles, obus, roquettes ou missiles de tout calibre, dont certains sont capables d’atteindre n’importe quelle cible en Israël, et jusqu’au port d’Eilat»(2).
On se retrouve dans la situation envisagée par MAD (Mutual Assured Destruction), cette doctrine de l’époque de la guerre froide qui a instauré l’équilibre de la terreur nucléaire entre les pays de l’OTAN et ceux du pacte de Varsovie, coiffés qu’ils étaient par l’URSS. Et, de fait, ce fut la dissuasion qui assura la paix armée au bord du précipice.
Cela dit, qu’en est-il pour nous? Peut-on extrapoler du moment que la même situation a plus ou moins prévalu depuis 2006 à notre frontière sud?
Difficile de croire qu’une escalade militaire n’irait pas bouleverser l’équilibre instable, maintenant que Baalbeck et Nabatieh sont prises pour cible. Après tout, ne se livrent au Levant que de petites guerres conventionnelles qu’on peut attiser pour aboutir à des paix imposées. Mais une invasion israélienne arracherait plus d’un million de Libanais à leurs foyers et les victoires divines de Hassan Nasrallah peuvent nous revenir très cher. Or ce scénario est d’autant plus plausible que l’opinion israélienne y semble favorable et que les ultras aux commandes appellent à une solution finale.
Gog et Magog contre le peuple de Dieu
«Gaza n’est que le premier pas dans la course à la guerre». Ehud Olmert ne cesse d’alerter, dans sa diatribe, l’opinion israélienne contre l’aventurisme de l’extrême droite nationaliste. Et, tançant Netanyahou comme il le fait, il emprunte une posture théâtrale, un ton de prophète vétérotestamentaire ou d’une Cassandre qui dit l’avenir sans que personne veuille la croire. «Netanyahou, tout ça finira dans un bain de sang. Prends garde, tu as été prévenu», lui lance-t-il à la figure, «c’est l’Armageddon» que veulent Ben Gvir et Smotrich, ces «hallucinés (sic) saisis d’un zèle messianique». Et l’Armageddon, c’est le combat final et décisif entre le Bien et les forces du Mal ! En somme, une guerre apocalyptique.
Quand on invoque les livres saints, quand on fait appel à la pensée magique, c’est comme si on déterrerait la hache de guerre. Alors, l'émotion et la surenchère l’emportent sur la raison: tous les excès sont permis et l’on donne libre cours aux instincts grégaires. D’ailleurs, la «clôture des temps»(3) a toujours fasciné les millénaristes qui appellent de leurs vœux une rédemption collective par le fer et par le feu.
Charmantes perspectives! On peut ajouter, si cela peut consoler M. Olmert, que les hezbollahis pensent dans les mêmes termes eschatologiques. Eux aussi croient que l’heure inexorable a sonné. Elle annoncerait le retour du Mahdi, qui va livrer l’ultime bataille pour libérer Jérusalem des usurpateurs.
Youssef Mouawad
[email protected]
1.Ehud Olmert, «Netanyahu’s Messianic Coalition Partners Want an All-Out Regional War. Gaza is Just a First Step», Haaretz, 22 février 2024
2.Yossi Melman, «MAD in Lebanon, Are We on our Way to Mutual Assured Destruction», Haaretz, 22 février 2024.
3.L’expression est de Tertullien.
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