La mort qui tombe du ciel

Qui a dit que la farine est tueuse? Qui eût cru que le jeudi 29 février 2024 serait retenu dans l’histoire comme le jour du «massacre de la farine»? Des soldats israéliens avaient tiré sur la foule, vraisemblablement menaçante parce qu’affamée, qui s’était précipitée sur un convoi alimentaire. On croyait l’incident clos, mais, manque de pot, le 8 mars, un colis d’aide humanitaire largué par avion a tué cinq personnes et blessé dix autres en s’abattant sur une maison du camp de réfugiés Al-Shati, situé à l’ouest de Gaza city. Quand la malédiction s’acharne sur une population!
La charité viendrait de la mer
Mais d’abord un constat: sur le territoire exigu de la bande de Gaza, 2,2 millions de Palestiniens sont menacés de famine et de soif. Toutes les chancelleries du monde se démènent pour mettre un terme à la dévastation. Il s’agit toutefois de faire entendre raison à Yahya Sanouar et à Bibi Netanyahou. Les États-Unis, n’étant pas arrivés à imposer une trêve quelconque aux deux belligérants, ont décidé d’une opération humanitaire de taille pour acheminer l’aide alimentaire vers l’enclave miséreuse. Ils comptent «établir une jetée temporaire au large de Gaza qui permettra aux navires de marchandises de transférer à de plus petits bateaux des cargaisons pour les transporter et les décharger le long d’une chaussée tout aussi temporaire afin d’acheminer l’aide humanitaire à Gaza». L’idée est d’assurer plus de deux millions de repas par jour aux nécessiteux. Pour Pat Ryder, porte-parole du Pentagone, il faudra l’intervention de plus de 1.000 soldats américains pour installer ce port. Bien entendu, des dispositions seraient prises pour que le personnel militaire US ne puisse mettre pied à terre, avait-il précisé. Pour des raisons de sécurité évidentes, mais aussi pour que ces militaires ne puissent pas entrer en contact avec des affamés! Cela ne serait certes pas beau à voir, et ledit personnel pourrait rapporter les images de la faim et son récit poignant.
Notons aussi, et c’est plus grave, que cela prendra au bas mot 60 jours pour déployer et construire la chaussée et la jetée. Deux mois, si tout se passe sans accrocs, pour soulager une population au bord de l’inanition. Les délais sont rédhibitoires pour une mission soi-disant de première urgence (emergency mission). 
Trop tard, trop peu
Ayant enfin perçu la famine comme un problème des plus pressants, Bruxelles et Washington avaient annoncé, vendredi 8 mars, l’ouverture d’un corridor maritime entre Chypre et Gaza. L’Occident veut se laver les mains de la catastrophe irrémédiable, alors les effets d’annonce se multiplient. Au jour des comptes (yawm al-hissab), il ne sera pas dit que les pays de l’Atlantique Nord, ces dispensateurs de leçons à Poutine, ont failli à leurs obligations et n’ont pas réagi à temps pour prévenir l’insoutenable tragédie!
L’État d’Israël même n’est pas en reste. Voilà qu’il se «félicite» de ladite initiative qui «assurera l’augmentation de l’aide à destination de Gaza après un contrôle de sécurité correspondant aux standards israéliens». C’est ainsi que s’est exprimé sur Twitter X le porte-parole des Affaires étrangères, Lior Haiat.
https://twitter.com/LiorHaiat/status/1766071264257388822

En fait, il appartiendra au Cogat, branche de l’armée israélienne en charge de l’administration des Territoires occupés, de contrôler l’entrée des vivres dans la bande de Gaza. On imagine aisément l’empressement que mettraient ces autorités à faciliter la réception des vivres et leur arrivée à destination.
Des largages aériens ou un couloir maritime ne sont pas en mesure de soulager, dans l’imminence, une population condamnée à une fin atroce. Seules les voies terrestres grandes ouvertes, à partir de l’Égypte comme à partie d’Israël, sont en mesure de le faire. Et cela n’a même pas été envisagé.
Le passé et le présent
«Cosmetics», se serait exclamé un observateur anglophone, tout cela relève de la dissimulation! Le concert des nations a vu venir la calamité humanitaire et a laissé faire; il est coupable du crime de non-assistance à peuple en danger. D’ailleurs, les Gazaouis ne se laissent pas leurrer; ils savent que ce ne sont que des manœuvres de PR (public relation), un manège pour détourner l’attention. Ils ont le sentiment que Washington ne veut pas mettre fin à la curée ou alors que la Maison Blanche n’en est pas capable.
En 1956, le président des États-Unis Dwight Eisenhower condamna l’agression tripartite lancée par le Royaume-Uni, la France et Israël en vue de reprendre le contrôle du canal de Suez. À ses yeux, c’était une entreprise digne de flibustiers. Furieux, il intima à ces trois pays, qui, faut-il le rappeler, étaient de ses alliés, l’ordre de se retirer immédiatement d’Égypte. Ce qu’ils firent aussitôt. Sa fermeté fut payante.
Aujourd’hui, seul un coup de téléphone de Biden à Netanyahou peut résoudre le problème. Seul un coup de poing sur la table, seule une menace de lui couper l’approvisionnement en armes et en munitions peut interrompre la mort lente qui guette les innocents. Parce qu’il faut bien le dire: disposant de réserves d’eau et de vivres, les combattants du Hamas ne doivent pas souffrir de la pénurie.
P.S. Dois-je préciser comment des gosses crèvent de faim? Les récits de la Grande famine qui a sévi au Mont Liban, durant la Première Guerre mondiale, rapportent qu’ils avaient le ventre démesurément gonflé et qu’ils étaient saisis d’hallucinations. C’est en cet état qu’ils déambulaient par petits groupes dans les rues des villes côtières où ils avaient cru trouver un refuge hospitalier.
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