Le sort de Rafah ne tient qu'à un fil
Entre le vote, lundi, de la résolution onusienne appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza et les préparatifs d’un assaut israélien sur Rafah, le sort de cette ville du sud de l’enclave, à présent surpeuplée, ne tient qu’à un fil.
Le Conseil de sécurité de l'ONU a approuvé, lundi, la première résolution pour un «cessez-le-feu immédiat» dans la bande de Gaza, cinq mois et demi après le déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas dans l’enclave palestinienne, le 7 octobre dernier.
Ce vote contrarie les plans du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, qui proclame haut et fort, depuis le 7 février 2024, qu’une victoire contre le Hamas est «à portée de main». Mais, pour que cette victoire se concrétise, selon lui, un assaut contre Rafah, au sud de Gaza, s’impose, cette ville étant «le dernier bastion du Hamas» qu’il a promis d’«éliminer», pour reprendre ses propos. Une victoire qui ne sera pas sans risques pour Netanyahou qui, après l'attaque inédite du Hamas, le 7 octobre, contre Israël, essaie notamment d'assurer sa survie politique.
Avant le 7 octobre, Rafah, située à la frontière avec l’Égypte, ne comptait que 280.000 habitants. Pour une superficie de 60 km², elle abrite aujourd’hui près de 1,4 million de personnes, sur les 2,3 millions de Gazaouis. À la suite des ultimatums de Tel Aviv qui avait appelé la population à quitter le nord de Gaza avant de lancer une opération militaire d’envergure contre le Hamas dans cette partie de l’enclave, les Gazaouis ont fui en masse vers le sud.
Ce mouvement de foule a multiplié par six la population de Rafah, selon l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa). La densité y serait de vingt personnes par mètre carré, d’après l’Agence palestinienne d’information.
Au cas où M. Netanyahou mènerait à terme son projet d’offensive, les milliers de Gazaouis entassés à Rafah n'auraient d'autre option que de forcer la frontière avec l’Égypte, laquelle n’est toujours pas prête à les accueillir.
Soumis à des pressions internationales accrues pour y renoncer, le Premier ministre israélien s’accroche cependant à son projet. Réagissant à des propos du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, qui avait affirmé, le 22 mars, qu'une opération à Rafah risquait «d'isoler Israël davantage», il avait répondu: «Israël mènera une offensive à Rafah, même sans le soutien des États-Unis».
Un enjeu de sécurité pour le Caire
Dans ce cas, quel serait le sort de l’accord de paix avec Israël, en vigueur depuis 1979, au cas où Benjamin Netanyahou mettrait quand même sa menace à exécution? Quelle serait la réaction de la communauté internationale qui multiplie les mises en garde? Et, surtout, quel serait le sort des Gazaouis? Plusieurs questions se posent, même si, pour l’heure, certaines restent sans réponse ou relèvent de la spéculation.
Tout indique que le Caire, résolument attaché à son accord de paix avec Tel Aviv, veut maintenir le statu quo à la frontière avec Gaza. Le 22 février dernier, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, avait rappelé «l’accord de paix en place signé depuis plus de 40 ans avec Israël», en ajoutant: «nous ferons en sorte qu’il perdure».
L’Égypte est, comme on le sait, le premier pays arabe à avoir signé, le 26 mars 1979, à Washington, un traité de paix avec Israël et à le reconnaître en tant qu’État.
Grâce à cet accord, le Sinaï avait été restitué au Caire. De plus, une zone tampon avait été établie à la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza, sous contrôle conjoint israélo-égyptien. Il s’agit du corridor de Philadelphie, bande de terre de 14 km de long et 100 mètres de large qui s’étend de la Méditerranée au point de passage de Karem Abou Salem (ou Kerem Shalom). Le couloir inclut le passage de Rafah vers l’Égypte, seul point de passage terrestre de la bande non contrôlé par Israël.
Cependant, une opération militaire israélienne à Rafah pourrait constituer une violation de cet accord de paix, dans la mesure où elle altérerait immanquablement le statu quo en vigueur depuis 1979. Or, on sait que l’Égypte s’opposera à un changement du statut du corridor de Philadelphie qui menacerait directement sa sécurité.
Nombre de déplacés internes dans des centres collectifs à Gaza par gouvernorat selon les données du Shelter Cluster au 22 janvier AFP Simon Malfatto Maxence D'Aversa Sabrina Blanchard et Sylvie Husson

Au niveau international, Benjamin Netanyahou a même perdu l’appui des États-Unis dans la guerre qu’il mène contre le Hamas, en raison de son impact sur la population civile.
La communauté internationale multiplie les mises en garde contre une attaque sur Rafah, à cause, justement, des lourdes pertes humaines qu’elle entraînerait, tout en espérant un succès des efforts diplomatiques pour un cessez-le-feu.
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, s’est exprimé à cet égard sur la plateforme X, le 10 février, relayant «l'avertissement lancé par plusieurs États membres de l'Union européenne, selon lequel une offensive israélienne sur Rafah entraînerait une catastrophe humanitaire indescriptible et de graves tensions avec l'Égypte».
De son côté, Antony Blinken a réitéré mardi «son opposition à une opération terrestre d'envergure à Rafah», selon un communiqué de Matthew Miller, porte-parole du département d'État. Tout en réaffirmant «le soutien des États-Unis à s'assurer de la défaite du Hamas, y compris à Rafah», M. Blinken a souligné «l'existence d'autres solutions qu'une invasion terrestre de grande envergure, qui permettraient à la fois de mieux assurer la sécurité d'Israël et de protéger les civils palestiniens».
Les États-Unis estiment que le gouvernement israélien n'a pas présenté de plan cohérent pour l'évacuation du 1,4 million de personnes présentes à Rafah, comme le Premier ministre israélien l’avait annoncé en février.
Un crime de guerre
Human Rights Watch (HRW) a déjà mis en garde, le 9 février, contre un éventuel plan d'évacuation de Rafah, considéré comme «catastrophique et illégal».
Le droit international humanitaire interdit le déplacement forcé de civils, sauf lorsque cela est temporairement nécessaire pour leur sécurité ou pour des raisons militaires impératives. Toujours en vertu de ce droit, les civils qui choisissent de ne pas évacuer une zone, à la suite d'avertissements, doivent bénéficier d’une protection intégrale, ce qui ne serait pas possible à Rafah.
Dans ce cadre, le chef des droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, avait accusé, le 8 février, l'armée israélienne de violer le droit international humanitaire. Il a évoqué les conséquences de la destruction des bâtiments et des terres agricoles de Gaza situés à moins d’un kilomètre de la barrière entre Israël et Gaza, dans le but de créer une «zone tampon».
Ces actions renforcent «le déplacement des communautés qui vivaient dans ces zones avant l’escalade des hostilités, et semblent avoir pour objectif ou pour effet de rendre impossible le retour des civils dans ces zones», avait dénoncé Volker Türk, rappelant aux autorités que «le transfert forcé de civils peut constituer un crime de guerre».
Même son de cloche chez le président français, Emmanuel Macron, qui a exprimé à maintes reprises sa «ferme opposition» à une offensive militaire israélienne sur Rafah, avertissant que «le transfert forcé de population constituait un crime de guerre».
«Quand on regarde Gaza, on dirait presque que les quatre cavaliers de l'Apocalypse la traversent au galop, semant la guerre, la famine, la conquête et la mort», a déploré, dimanche, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, en déplacement en Égypte.
Face à cette levée de boucliers, Benjamin Netanyahou continuera-t-il de faire la sourde oreille?
Commentaires
  • Aucun commentaire