Le Moyen-Orient et les conflits dans un monde sans repères

La simple revue de presse quotidienne nous renvoie à des contradictions sans fin dans un monde dépourvu de tous repères, normatifs ou analytiques, qui permettent de prendre la mesure des enjeux en cours. La notion d’État territorial n’a plus aucune plausibilité, celle d’un État de droit n’a jamais existé, la notion de paix civile est une réalité intérimaire entre des conflits en état d’alternance. La pertinence du droit international et l’urgence des médiations diplomatiques sont reléguées aux marges des conflits qui évoluent dans des vides consécutifs et renvoient le Moyen-Orient aux scénarios du chaos institutionnalisé, aux dictatures de tout acabit, aux fondamentalismes islamistes, à la violence nihiliste et à l’arbitraire des luttes meurtrières. L’expansion des friches sécuritaires, loin d’être un effet de circonstances, est symptomatique à plus d’un titre, mais elle révèle surtout l’effondrement de tout ordre normatif hypothétique qui puisse donner forme à l’idée d’État, d’ordre régional, de civilité et de citoyenneté qui mettraient fin aux guerres civiles en gestation permanente.
Les dernières nouvelles de Gaza nous révèlent le degré d’absurdité atteint par le Hamas qui présente, de manière effrontée, en toute impunité et sous des apparences d’ingénuité, des excuses aux Palestiniens pour les souffrances qu’il leur avait infligées et leur promet de poursuivre la lutte jusqu’à la victoire. Cet oxymore fait état d’un cynisme inouï, d’un sentiment d’impunité et d’arrogance qui lui permet de poursuivre son entreprise meurtrière sans se soucier des avis d’une population saignée à blanc. Loin d’attendre la réponse, il se morfond dans une posture psychotique qui ne fait que répercuter son déni des réalités, ses supercheries et son indifférence à l’endroit d’une population civile qu’il prétend représenter, alors qu’en réalité, il l’instrumentalise au profit de la politique de subversion iranienne, des objectifs et des intérêts sordides des satrapies du Golfe et d’une oligarchie prédatrice sans scrupules et dépourvue de toute vision politique conséquente. En outre, aucune mention n’est faite de la nécessité de mettre fin à cette tuerie et d’une diplomatie d’urgence en vue d’enclencher un processus réaliste de transition.
Le rejet frontal de la résolution de l’ONU et le ralliement, sans vergogne de la politique iranienne de sabotage, ont d’ores et déjà, condamné toutes chances de réconciliation interpalestinienne, alors que serait-ce des éventuelles négociations avec les Israéliens. Les Palestiniens sont sommés de dégager un consensus autour des enjeux réels de ce conflit aux configurations mutantes, des politiques alternées de tutelle et de la restitution de leur autonomie morale et politique. La négociation d’un accord de paix avec Israël étant le passage obligé vers l’indépendance nationale et l’autonomie morale qu’ils n’ont jamais pu réaliser.
Les Israéliens, de leur côté, poursuivent leurs objectifs militaires en vue de circonscrire les aléas sécuritaires que posent les contrôles respectifs de Gaza et du Liban-Sud par le Hamas, le Hezbollah et leurs clones, en dépit et malgré les divergences idéologiques et de politiques intérieures qui caractérisent la scène politique israélienne. L’achoppement de la résolution 2728 du Conseil de sécurité tient au fait qu’elle ignore délibérément le lien entre les deux variables sécuritaire et humanitaire et, par conséquent, privilégie les politiques de sabotage des extrémistes des deux bords. La responsabilité des drames humanitaires n’incombe pas unilatéralement aux Israéliens alors que la déclaration de guerre du Hamas et ses plateformes opérationnelles (indifférenciation des zones de combat et des zones civiles, instrumentalisation des boucliers humains et des sites scolaires, hospitaliers, des lieux de culte, ainsi que les tunnels réticulaires de la mort, 500 km) et l’apathie de nature psychotique à l’égard des populations civiles, sont en somme comptables des tragédies en cascade.

Le jeu cynique et alterné de la violence et de la victimisation est un trait constant des formations palestiniennes qui puisent aux répertoires des guérillas de gauche de la guerre froide. La réussite des arrêts d’hostilité relève d’un logiciel intégré où les variables stratégiques et humanitaires se raccordent à tous les niveaux en vue de déboucher sur des scénarios réalistes. Sinon, les Israéliens sont acculés à un changement de coalition pour mettre un terme aux impasses de la droite religieuse et ultranationaliste et ses scotomes qui cherchent à éliminer la question palestinienne des registres politiques et humanitaires, en plus d’ignorer les effets dévastateurs d’un conflit ouvert.
Le Hamas et ses associés ont déjà perdu et il est temps de le reconnaître afin de mettre fin aux drames qu’ils ont occasionnés à leur propre peuple et d’en tirer les conclusions. Les Israéliens ont à faire face aux effets dévastateurs de ce conflit et à l’importance de remettre en marche la dynamique de la normalisation amorcée avec les accords de Camp David, d’Oslo et d’Abraham, dans lesquels la reconnaissance de l’État d’Israël, la résolution de la question palestinienne et la question de la complémentarité économique sont des pierres angulaires. Les deux protagonistes doivent reconnaître l’urgence d’une négociation d’ensemble afin de mettre un terme aux cycles de violence et de redonner à la paix ses chances.
La situation libanaise relève d’un schéma identique à celui de Gaza, thématisé par la devise de «l’uniformité des champs de bataille». La stratégie de prédation mise au point par le Hezbollah et ses cercles concentriques ont fini par mettre la main sur le pays au croisement d’une politique de domination à double détente. Les Libanais, à l’instar des Palestiniens de Gaza, se trouvent piégés par la politique de domination iranienne et ses configurations mutantes. Le caractère discrétionnaire de la politique de déstabilisation iranienne au Liban va servir de détonateur et de catalyseur conflictuels qui finiront par détruire le Liban et induire des effets délétères au niveau régional.
La mort de l’État libanais et son remorquage par la politique hezbollahie de subversion finiront par déboucher sur une guerre aux effets géopolitiques imprévisibles et aux retombées régionales inévitables. Les hypothèques multiples du Hezbollah vont inéluctablement mener à l’éclatement du pays et induire des mutations incalculables. Les négociations interminables autour de l’application des résolutions 1559 et 1701, butent sur des verrouillages croisés qui sécurisent la politique de mainmise iranienne, favorisent la désintégration politique et sociale et assurent à terme l’annexion du pays, envisagé comme plateforme opérationnelle axiale autour de laquelle s’articulent les stratégies mutantes de la politique de subversion iranienne. Les champs respectifs de Gaza et du Liban-Sud ne sont que des plateformes opérationnelles instrumentalisées par la politique iranienne et des portes d’entrée d’une guerre régionale qui devient inévitable.
Le crime du 7 octobre 2023 marquera la fin d’une ère dans cette région et nous laisse la tâche de retrouver les coordonnées d’un nouvel ordre géopolitique dans une aire qui a perdu des repères qu’elle n’arrive pas à retrouver. Les crises emboîtées ne font que visualiser les difficultés latentes d’un ordre social et politique en état de crise systémique, des légitimités nationales en lambeaux et des consensus affaissés dans des sociétés éclatées. Comment peut-on faire la paix dans des aires géopolitiques en état de déliquescence et dans une aire civilisationnelle qui évoluent dans les interstices d’une schizophrénie qui structure «les paliers en profondeur» de sociétés systématiquement désarticulées? Les travers du «regard mutilé» sont non seulement aveuglants, mais meurtriers.
Commentaires
  • Aucun commentaire