Pour le quarante-neuvième et triste anniversaire du déclenchement de la guerre libanaise, le 13 avril 1975, un documentaire produit par Denise Jabbour et Jérôme Gary, Confessions from a war, a été projeté en avant-première le 13 avril 2024 au cinéma Royal, à Bourj Hammoud. D’anciens combattants de différents partis politiques avouent leurs remords d’avoir participé à la destruction du pays et à l’assassinat de leurs compatriotes, pour sauver une vision en réalité fragmentée du Liban.
Une démarche fondamentale
L’avant-première mondiale de Confessions from a War (Confessions d’une guerre) aurait dû avoir lieu le 13 octobre à Beyrouth, en collaboration avec la Fondation Liban Cinéma. La guerre à Gaza a imposé le report de l’évènement, mais l’horreur qui se répète aujourd’hui a rendu plus pertinente la sortie de ce documentaire.
Le producteur exécutif, David McKillop, qui a dirigé The History Channel, A&E, and NatGeo, considère que ce film est un message du Liban à l’humanité et un avertissement poignant sur l’absurdité et l’inanité des guerres civiles. Après la destruction massive du pays, les blessures restent béantes et se transmettent par le biais des traumas intergénérationnels.
De son côté, le réalisateur, Sean Thompson, a annoncé que le documentaire a nécessité plus de 200 heures d’entretiens filmés avec les combattants, dont quarante minutes seulement ont été retenues. Denise Jabbour nuance que tout ce qui a trait à la politique a été exclu, car le documentaire a pour mission d’unir et non pas d’envenimer les discours et nourrir les divisions.
Le film comprend des images tirées des archives, ainsi que les interventions de personnes issues de plusieurs factions politiques, qui ont combattu sur le terrain ou dont des proches ont participé à cette guerre ou en ont été victimes. Leurs noms, non dévoilés dans le film, sont les suivants : Colette Tannous, Ziad Saab, Elie Abi Tayeh, Asaad al-Shaftari, Nassim Asaad, Badri Abou Diab, Rateb al-Jibawi, Rasha al-Amin, Nabil Mounzer, Rabih al-Maghribi, Ali Abou Dahn et Wadad Halawani. Même s’ils gardent l’anonymat, on arrive à identifier leur appartenance confessionnelle et régionale, grâce à leurs récits et leurs dialectes ou patois. «Les partis politiques divisés ne sont pas cités, car l’accent est mis sur l’humanisme de ces anciens ennemis, aujourd’hui unis par la culpabilité, le rejet des Zaïms et le refus de toutes les formes de violence», souligne la productrice Denise Jabbour. En effet, ces personnages, jadis victimes et bourreaux, ont fondé l’association «Combattants pour la paix» et œuvrent ensemble pour que leurs erreurs ne se répètent pas, comme ils le révèlent dans le débat qui a suivi la projection du documentaire. Le film ne s’applique pas «uniquement à la guerre du Liban, mais à toute guerre, où qu’elle ait lieu», affirment les producteurs, Jérôme Gary et Denise Jabbour, qui ajoutent: «Nous avons tous des leçons à tirer des Libanais».
Les confessions des ennemis d’hier
La première confession vient d’un combattant qui avoue sa haine et sa rancœur passées devant le luxe indécent du Holiday Inn et du Saint-Georges, alors qu’il était à fond de cale et l'objet de risée des bourgeois. (On comprend qu’il associe la bourgeoisie aux chrétiens). Il raconte son empathie pour un Syrien sur la paille qui logeait sous le pont Salim Salam, continuellement persécuté par les autres. Pour lui, le climat ambiant, la discrimination et les inégalités sociales ne pouvaient que déboucher sur la guerre civile. Il dévoile, les larmes aux yeux, sa responsabilité dans la destruction de son propre pays, alors qu’il croyait servir une grande cause.
La deuxième confession est celle d’un homme réveillé en pleine nuit sous les coups d’un inconnu armé. Il relate le massacre de son frère cette nuit-là et sa mère broyée par le chagrin, puis son engagement avec les combattants de sa confession pour se venger «des intrus» (les Palestiniens) et protéger sa famille et ses biens. Un jour, il capture l’un des assaillants de son frère. Le coupable le supplie de le laisser en vie, «pour épargner l’effroyable choc à sa mère et ses enfants». Le combattant lui laisse la vie sauve et l’aide même à fuir. Sitôt échappé, il recommence à tirer. Le combattant se tait et reconnaît néanmoins que la violence engendre uniquement la violence.
Parmi la dizaine d’hommes qui racontent la violence subie et perpétrée, une seule femme, aux cheveux blancs et courts, dévoile son ancien statut de combattante féroce et ce qui l'y avait conduite. Ils habitaient dans les environs de Saïda et étaient extrêmement menacés. Chaque jour, un proche ou un voisin disparaissait, tué ou enlevé, jusqu’au jour où ils furent encerclés. Elle prit la kalachnikov chargée, soutenue par les encouragements de sa mère qui l’incitait à se battre, à défendre sa vie et tenir tête aux criminels. La femme n’a pas tardé à s’enrôler dans le parti qui défendait son clan confessionnel. Aujourd’hui, elle porte un regard très sévère et critique sur ce même parti ainsi que tous les autres.
Les anciens combattants constatent que «personne n’a réellement évoqué les profondes séquelles de la guerre libanaise après 1990 et qu'aucune véritable réconciliation n’a eu lieu». C’est pourquoi l’objectif de ces confessions est d’admettre la responsabilité de chaque combattant, malgré la fatalité de la guerre et le rôle incontournable des seigneurs de la guerre. Ces Libanais.es, venu.e.s de tous bords, ont présenté leurs excuses à l’ensemble du peuple libanais, en vue d’une vraie réconciliation. Bien que ces aveux ne rendent pas la vie aux centaines de milliers de victimes, ni aux dix-sept mille disparus, ils favorisent un dialogue constructif, a fortiori à cause des dissensions, et servent d’exemple pour les futures générations. Il est intéressant de souligner que le film devrait faire la tournée des festivals européens et américains, avant d’être diffusé dans les écoles.
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