L’éditorial – La guerre qui ne dit pas son nom

L’impression qui pouvait se dégager des «péripéties» survenues à Ispahan, à l’aube de vendredi, était qu’Israéliens et Iraniens ont presque honte de se faire la guerre directement, face à face… Et pour se donner bonne conscience, ils se livrent à de surprenantes mises en scène ou à d’originales acrobaties militaro-médiatiques pour limiter les dégâts, éviter les pertes en vies humaines et réduire l’impact de leur action sur l’adversaire afin qu’il ne perde pas trop la face. Mais à défaut d’un affrontement frontal, ce sont les têtes de pont des Pasdaran dans plusieurs pays arabes qui pourraient sérieusement faire les frais de cette petite guerre qui ne dit pas son nom. Preuve en est l’attaque qui a visé dans la nuit de vendredi l’importante base de «Calso» de la milice irakienne pro-iranienne, la «mobilisation populaire» («Hachd el-Chaabi»), dans la province de Babylone.
Lors de l’opération menée à Ispahan, à l’aube de vendredi, il aura fallu attendre plusieurs heures pour déterminer la nature, l’ampleur et les contours de cette attaque. À en croire la version donnée par les autorités iraniennes, il ne s’est pratiquement rien passé ce jour-là (!), sauf peut-être la subite apparition de trois petits drones qui se couraient après et qui virevoltaient paisiblement dans le ciel d’Ispahan… Toutes les tournures de phrase étaient mises à contribution à Téhéran afin de banaliser au maximum l’ampleur de l’attaque. Côté israélien, silence-radio au niveau officiel; aucune revendication n’a été rapportée, dans un souci évident de permettre à Téhéran de résorber le coup, loin de tout tapage médiatique.   
Cette double prudence, accompagnée côté iranien des traditionnelles mises en garde adressées à l’État hébreu, est particulièrement significative de l’étape actuelle que traverse le Proche-Orient et qui paraît être marquée par une guerre d’un genre nouveau. Aussi bien pour Israël que pour la République islamique – plus précisément pour les Pasdaran –, l’enjeu aujourd’hui est beaucoup plus géopolitique que militaire: la route de Jérusalem est, en effet, très, très longue, beaucoup trop longue pour que les Pasdaran, le Hezbollah, les Houthis et autres consorts envisagent de l’emprunter réellement!

C’est donc, une fois de plus, sur le terrain essentiellement politique qu’il convient d’évaluer la mystérieuse attaque contre Ispahan. L’armée israélienne a vraisemblablement voulu montrer à son adversaire qu’elle est capable d’atteindre, sans encombre, l’espace aérien iranien et de mener une attaque parfaitement ciblée contre des infrastructures hautement stratégiques à l’intérieur du territoire iranien. Le choix même d’Ispahan, au cœur de l’Iran – qui regroupe d’importantes installations nucléaires, militaires et industrielles – est, en soi, un message d’autant plus grave qu’il s’est avéré que cette démonstration de force a été effectuée non pas par des drones, mais bel et bien par l’aviation israélienne au moyen de missiles de longue portée qui auraient sérieusement endommagé… un système de défense aérienne (!), selon le New York Times.  
L’importance de cette attaque menée contre Ispahan réside, en outre, non seulement dans le fait que les avions militaires israéliens ont pu agir librement sans être repérés, mais elle se situe aussi au niveau de ce qui n’a pas été effectué. Les failles de la défense aérienne iranienne dans une zone aussi névralgique qu’Ispahan ont ainsi été dévoilées au grand jour. Le pilonnage s’est fait, certes, à distance, mais il s’est fait quand même, sans réaction notable. Parallèlement, il est particulièrement significatif qu’Israël ait pris soin d’épargner les infrastructures nucléaires, ou tout au moins industrielles.
Cette retenue israélienne est-elle le résultat des fortes pressions américaines ou le fruit d’une attitude délibérée qui consisterait à éviter de trop déstabiliser le régime iranien? Dans l’un ou l’autre cas, l’option de rechange pourrait être de se rabattre sur les instruments locaux des Pasdaran. Le bombardement de la base militaire relevant de la «mobilisation populaire» à Babylone, dans la nuit de vendredi, en est sans doute l’une des illustrations. Affaire à suivre sur ce plan…      
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