C’est le deal du moment: acquérir un appartement au Liban. Une idée qui semble bizarre vu les conseils qui vous tombent dessus de partout, sans que vous n’en ayez sollicité aucun et qui vous enjoignent d’un air ahuri de «ne surtout pas mettre un sou dans ce Liban qui va à la dérive».
Le justificatif de notre contre-conseil est que les prix actuellement en vigueur sur le marché sont historiquement au niveau du plancher. Il n’y a jamais eu, dans l’histoire du pays, en temps de paix, une telle crise et braderie de l’immobilier.
Le credo éternel, psalmodié comme un cantique par les professionnels, a toujours été que les prix ne baissent jamais: «Ils montent pendant un laps de temps, puis se stabilisent sur un plateau, avant de remonter de nouveau.» C’était leur message marketing favori. Le pire est que le marché leur donnait presque toujours raison. Pas cette fois.
Des chiffres officiels, il y en a, mais déjà en temps normal ils étaient peu fiables, alors maintenant… cela ne nous empêche pas de brosser un petit tableau du secteur.
- D’abord il n’y a presque plus de nouveaux projets en construction. Les rares qui proposent des appartements neufs sont des promoteurs qui étaient sur le point de terminer leur projet lorsque la crise a éclaté, et qui, ayant pré-vendu quelques unités, ne voulaient pas ternir leur réputation, préfèrant encaisser le solde des paiements et liquider le reste.
- Il est vrai que le nombre de permis de construire a augmenté au cours des premières années de la crise. Toutefois, ça ne dénote pas nécessairement une volonté de construire. C’était surtout pour profiter des taxes encore modérées et pour valoriser le bien: un terrain avec un permis de construire déjà accordé et viabilisé (raccordé aux réseaux d’eau, d’électricité…), vaut nécessairement plus cher.
Pour preuve, les livraisons de ciment ont baissé de 60% par rapport à notre période de référence (2017-2018). Et c’est surtout utilisé pour réhabiliter des immeubles, victimes de l’usure ou de l’explosion du 4 août.
- Quant aux ventes immobilières/foncières, elles sont passées par une période d’euphorie au début de la crise, quand on pouvait payer avec des chèques en lollars. Mais depuis, le marché a plongé, jusqu’au quart de notre période de référence. En plus, la moitié de ces achats concernent des terrains, probablement proposés avec une bonne réduction, que les promoteurs acquièrent en vue d’un développement futur, un jour.
- En réalité, on est devant une distorsion des plus biscornues du marché. Prenons le tandem offre/demande, la loi de base de tout marché. D’abord, d’où vient l’offre? Ce sont essentiellement des appartements plus ou moins anciens, des résidences secondaires ou mêmes primaires de ménages qui se trouvent à cours de cash pour payer les scolarités, ou la facture d’hospitalisation, ou même subvenir aux besoins essentiels. Ou alors des familles qui ont carrément plié bagage, d’où les offres «meubles inclus».
Le prix est alors bradé au-delà du rationnel: des mètres carrés à 800-900$ au Metn ou au Kesrouane, là où la moyenne tournait autour de 1.500-1.800$; des offres à 1.500-2.000$ à Achrafieh alors qu’on avait tout le mal du monde à casser le seuil de 3.000$. Les réseaux sociaux regorgent de ces offres alléchantes. Il n’y a que quelques perles rares, à Fakra, à Sursock, ou à Raouché, qui échappent relativement à cette chute.
- Mais pourquoi peut-on qualifier cela d’anormale braderie, justifiant ainsi notre conseil, si l’on admet le principe qu’un juste prix est toujours celui qui est déterminé par ce que le marché aura décidé? La raison est que, tout simplement, ces prix proposés sont au-dessous du coût de construction si ces logements devaient être construits aujourd’hui.
- Maintenant, d’où vient la demande? D’abord, elle est anémique car le crédit-logement, qui était à la base de 80% des transactions, n’existe plus. Restent les quelques fortunés, parfois puisant leur argent de l’étranger, qui saisissent ainsi une belle opportunité d’acquérir un logement au rabais, en se disant qu’après tout ça reste un actif solide, même si les circonstances sont calamiteuses.
Puis on y ajoute ceux qui ont accumulé une masse d’argent liquide, honnêtement ou pas et ne savent pas quoi en faire, n’ayant confiance, ni dans leur banque locale, ni même dans leur coffre-fort domestique. Ils trouvent alors un subterfuge des plus faciles, en achetant avec ces liasses, plus ou moins propres, un bien immobilier. Optionnellement, on peut le revendre pour le même prix, mais contre un transfert bancaire, en présentant à la banque un justificatif du cadastre. Et le tour est joué: l’argent, même sale à l’origine, devient immaculé, et au besoin transférable à l’étranger, ce qui était impossible avant.
À ce propos, on rappelle ce célèbre adage sectoriel «quand le bâtiment va, tout va» – une façon de dire que le bâtiment fait travailler 60 corps de métiers, selon le décompte français. Eh bien il s’applique aujourd’hui a contrario: quand le bâtiment ne va pas, c’est encore un énième pan de l’économie qui se trouve bloqué. Mais, franchement, qui est encore en train de compter…
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